Depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, la jeunesse se mobilise aussi bien dans la rue que sur les piquets de grève. Au moins une cinquantaine d'universités ont été occupées partout en France (y compris à Saint-Étienne) ! Et pourtant tout est fait pour mater la mobilisation étudiante !
Non content de subir une répression policière particulièrement brutale, les étudiants doivent également faire face à de nombreuses fermetures administratives, dont la systématisation est rendue possible par l'utilisation normalisée du distanciel.
Comme nous l'avons déjà souligné dans un article d'août 2022, le distanciel tout comme le télétravail constitue un danger pour les mobilisations des étudiants et des salariés, non seulement par leur utilisation pour casser les mobilisations mais aussi en tant qu'outil de surveillance.
Voir : https://halteaucontrolenumerique.fr/?p=1502
Ce qui était redouté à l'époque, à savoir leur systématisation pour briser les mobilisations, semble aujourd'hui se confirmer.
« Généralisé pendant le premier confinement, « l’enseignement à distance » ou « distanciel » est désormais utilisé en complément des fermetures administratives et des appels à la police par des président·es qui jouent les « préfets aux petits pieds » pour entraver la mobilisation, pour casser la grève. (Université Ouverte)
Des voix s'élèvent contre ce nouvel outil numérique et son utilisation problématique.
Le distanciel "nouvelle arme de destruction massive de la grève à l'université"
« Le rêve de tous les pouvoirs autoritaires est en passe de se réaliser : garder les étudiant·es chez elles et chez eux, les éloigner le plus possible des campus. C’est aussi vrai pour les personnels, qu’ils soient enseignants ou personnels administratifs, incités massivement au télétravail. Bien au chaud ou au froid chez elles et chez eux, iels ne seront ni en AG, ni sur le pavé. Il n’est même plus besoin de faire intervenir les CRS pour débloquer ou évacuer les locaux. Du moins dans un premier temps… Et finie l’angoisse des conservateurs de voir se développer le syndrome du tube de dentifrice : il restera fermé. Le panoptique est désormais numérique. » (Pascal Gaillard, le 8 mars 2023)
Des prises de position contre le distanciel se sont multipliées ces derniers mois : le communiqué de la CGT Lyon-2 du 22 février 2023, le communiqué de l’AG de Paris-1, 24 février 2023, la motion du 6 mars 2023 du Conseil académique de l’université Paris-Saclay, la mobilisation des étudiant·es à Nantes, ou encore cette tribune publiée dans Libération le 9 mars 2023 :
« Après deux ans de Covid et de fermeture des universités, ces passages à distance à répétition sont à l’image du projet de Macron pour l’université, où l’enseignement est avant tout conditionné par les intérêts du patronat et dépourvu de toute dimension critique et émancipatrice.
Face au risque de fermeture des centres universitaires les jours de grève, nous revendiquons le maintien ouvert de nos lieux d’étude et de travail le 9 mars et les jours suivants, pour qu’ils puissent être le lieu où se développe et s’organise la mobilisation contre la réforme des retraites. Par ailleurs, pour permettre à chacun de prendre part au mouvement et exercer ses droits de grève et de manifester, nous demandons la banalisation des cours toute cette semaine et pour chaque jour de mobilisation, ainsi que la fin des politiques d’assiduité qui ciblent en premier lieu les étudiant·e·s les plus précaires. »
À Saint-Étienne aussi le syndicat étudiant OSE-CGT a critiqué cet usage du distanciel comme outil casseur de grève et essayé de faire passer sa suspension dans le cadre d'une motion voté au CA de l'Université Jean Monnet, visant à permettre aux étudiants de se mobiliser sans sanction administrative (vis à vis des examens et vis à vis des bourses).
L'Unef de l'université de lyon 2 est allé plus loin, en appelant les enseignants et les étudiants à refuser le distanciel et à se mobiliser contre sa mise en place, en rappelant que "le distanciel constitue un facteur de dégradation des conditions d'études et d'aggravation des inégalités entre étudiant-es".
Une pratique illégale
Un excellent article d'Academia Hypotheses, démontre que le recours systématique au distanciel est illégal pour plusieurs raisons, notamment parce qu'il ne s'agit pas de "télétravail" sur le plan juridique.
« Ce qui est frappant, c’est que depuis la pandémie du Covid-19, ni le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, ni les établissements n’ont véritablement avancé dans la réponse à apporter à ces deux questions des conditions de la bascule en distanciel et du statut des enseignements en distanciel. A l’évidence, au contraire, ils semblent se complaire dans le bazar actuel. » (Academia Hypotheses)
De plus, la décision d'un passage au distanciel ne relève ni du pouvoir des enseignants, ni des directions de départements, composantes, facultés ou d'université.
« Le basculement en distanciel se fait le plus souvent en dehors de tout cadre réglementaire et il est susceptible d’être caractérisé d’abus de pouvoir quand il relève d’une décision explicite d’une direction de département, de composante, de faculté ou d’université. A fortiori d’une décision d’un responsable de parcours, de formation, ou de diplôme. Ils ne peuvent valablement en donner la consigne. En effet, pour que la mise en place d’un enseignement en distanciel soit légale, il conviendrait, a minima, que cette possibilité soit dument inscrite dans la maquette du diplôme, laquelle doit être adoptée par le conseil de composante (UFR, Faculté, École, Institut …) et par la CFVU de l’université. Or ce type de disposition n’existe pas dans la très grande majorité des universités. En leur absence, le basculement en distanciel est susceptible d’être attaqué au Tribunal administratif pour abus de pouvoir » (Pascal Maillard).
« Les ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur ont simplement mobilisé un gigantesque principe de droit administratif français, celui de la « continuité du service ». Ce principe peut à peu près tout écraser… Mais pas dans n’importe quelles conditions. Un usage s’est imposé, sans être explicité clairement, à part en cas de pandémie. Nous considérons qu’utiliser désormais cet outil pour des raisons aussi banales que « j’ai un rhume donc je reste chez moi », comme c’est le cas aujourd’hui, ou pour casser une grève, ce n’est pas possible. » (Noé Wagener, professeur de droit à l'Université Paris-Créteil)
C'est pourquoi des universitaires se sont lancés dans la bataille juridique "contre le recours sauvage aux cours à distance dans l’enseignement supérieur" !
Voir l'article de mediapart : https://www.mediapart.fr/journal/france/220323/le-distanciel-un-outil-redoutable-pour-contrer-la-mobilisation-l-universite
Le début d'une fronde juridique et politique
Le syndicat Snesup-FSU (Syndicat national de l’enseignement supérieur - Fédération syndicale unitaire) a déposé deux recours contre le passage en distanciel de 800 étudiant·es le 7 mars dernier à la demande d’un directeur de département de l’université Paris-Créteil, au motif « des difficultés de déplacement engendrés par le mouvement de grève ».
Le premier recours, en « référé-suspension » (procédure d’urgence), était examiné mardi 21 mars devant le tribunal administratif de Melun. Le second, déposé sur le fond pour « excès de pouvoir », ne passera pas en audience avant plusieurs mois.
Mais pour les universitaires mobilisés, il s'agit avant tout d'un enjeu et d'un point de bataille à la fois pédagogique et politique qui dépasse le cadre juridique.
« Le problème n’est pas principalement juridique. Il concerne d’abord et avant tout l’université que nous voulons. Car dans cette affaire, nous avons beaucoup à perdre : de l’enseignement dégradé, des conditions de vie déprimante pour les étudiant·es, l’invisibilisation de nos grèves, et enfin un clou de plus dans la disparition de l’université comme communauté politique. » (Academia Hypotheses)
« Au cœur d’un mouvement social historique, alors que les luttes pour l’égalité n’ont jamais été aussi urgentes, la réponse que la communauté universitaire devrait immédiatement apporter à cette violence insidieuse et destructrice du distanciel est simple. D’abord refuser et dénoncer publiquement de telles pratiques. Ensuite rejoindre les étudiants et les étudiantes courageuses qui transportent à 6h du matin des barrières lourdes et des poubelles pour bloquer les bâtiments et construire des piquets de grève. La force et l’honneur de l’Université sont avec elles et avec eux. Enfin il s’agit avant tout de refaire des universités des lieux de vie, où l’on partage des savoirs et des expériences de lutte, où la solidarité s’éprouve par des voix et des corps, par une présence physique et non les leurres mortifères du numérique.» (Pascal Maillard)
Un nouveau collectif, « Stop distanciel »
Les artisans de cette première bataille juridique ont lancé le collectif « Stop distanciel », à l’issue d’une large assemblée inter-facs réunissant personnel et étudiant·es de l'ESR d'Ile-de-France à Paris-3, le jeudi 16 mars « pour ne pas [se] contenter de dénoncer le passage imposé au distanciel, mais le combattre efficacement »
Texte de lancement du groupe :
« L’assemblée générale des personnels de l’ESR d’Ile-de-France qui s’est tenue le 16 mars 2023 propose de fédérer nos forces pour lutter contre le distanciel qui casse nos mobilisations et, d’une façon plus générale, met en péril nos conditions de travail et d’étude. Pour ne pas nous contenter de dénoncer le passage imposé au distanciel, mais le combattre effectivement, nous pouvons construire collectivement différents outils. Academia a déjà publié un modèle de recours en justice, pour attaquer devant le tribunal administratif des consignes de bascule en distanciel, notamment les jours de grève ou en cas de fermeture administrative des locaux. D’autres collectifs ont proposé différentes modalités d’action, recensées notamment dans un billet d’Université Ouverte.
Suite à l’AG interfac du 16 mars, nous proposons donc de coordonner des actions contre le distanciel, notamment par des campagnes d’affichage, le recensement de motions et des actions en justice (qui ont déjà été lancées dans certaines universités).
Etudiant·es ou personnels, si vous avez reçu des injonctions à passer en distanciel, que vous voulez devenir référent·es anti-distanciel ou rejoindre l’équipe, contactez-nous à esr.stop.distanciel@protonmail.com.
En finir avec ces utilisations du distanciel est crucial, pour la mobilisation en cours, pour les suivantes et pour l’existence même de l’université que nous voulons. Depuis que la pandémie a été déclarée terminée, le retour dans les salles et les bureaux n’a pas été complet : des réunions, des cours, des séminaires passent en distanciel, le plus souvent pour remédier à des conditions de travail et d’étude dégradées.
Depuis le début de la mobilisation sur les retraites, nous avons beaucoup vu le distanciel utilisé pour assurer une continuité des enseignements ou des services — que ce soit à l’initiative de certain·es enseignant·es, ou que ce soit imposé par des autorités.
Ce passage en distanciel vient renforcer les inégalités dans l’ESR au détriment des personnels précaires et des étudiant·es défavorisé·es, mal connecté·es, sans équipement informatique adéquat, et sans espace de travail approprié. Ce sont des atteintes très graves à ce qu’est l’université — en plus d’être nul et illégal. L’université en distanciel, c’est une université de téléspectateurices. On ne veut pas de cette université-là !
L’université n’est pas qu’un lieu de consommation de cours, dont les modalités importent peu tant que le service semble rendu et le diplôme délivré. C’est surtout un lieu d’échange et de production collective de savoirs, qui doit être vivant et ouvert, pour toute la société.
Pour défendre nos retraites, pour défendre l’université ! »
Texte publié sur : https://universiteouverte.org/2023/03/18/sorganiser-pour-defendre-luniversite-contre-le-distanciel/
La résistance contre l'imposition du numérique et contre la réforme des retraites continuent donc, à l'université et dans la rue !
À Saint-Étienne aussi la mobilisation continue, avec des rassemblements certains soirs en ville à 19h, de nombreux blocages et occupations (notamment à l'Université Jean Monnet) et une manifestation intersyndicale annoncée pour jeudi 23 mars à 10h30 au départ de la CCI cours Fauriel.
Et comme l'a si bien dit Pascal Maillard dans son billet de blog :
« Télétravailleurs, télétravailleuses de tous les secteurs professionnels, unissez-vous : fermez vos ordinateurs et prenez le chemin de la rue. Etudiant·es et enseignant·es de toutes les universités, retrouvez votre liberté et soyez uni·es : refusez le distanciel, bloquez et occupez les universités ! »