Pister son enfant par GPS, pour sa sécurité ?


Un sondage Ipsos de 2022 chiffrait à 41% des parents qui auraient installé une application de géolocalisation (GPS) sur le portable de leur enfant. Et, sur ce marché désormais très fourni, plusieurs applis permettent l'écoute en direct et à distance de l’environnement sonore, dans la rue, en classe ... ou chez le conjoint divorcé, déclenchable sans accord de l'enfant. Souvent, elles intègrent aussi l'accès au suivi de l'activité de l'enfant sur son smartphone (applications utilisées, appels émis ou reçus, pages consultées en ligne…). 

Eduquer ainsi son enfant, n'est-ce pas le conditionner pour une société de la surveillance permanente ?

Ces 41% sont bien sûr à relativiser car tous les enfants ne sont pas équipés de smartphone. D'après le Défenseur des Droits en 2022, plus de la moitié des écoliers âgés de 7 à 14 ans possèdaient un téléphone portable, cet équipement s’étant fortement accéléré en 2021, notamment chez les 9-10 ans. Il n'y a pas que les smartphones : des montres connectées et autres porte-clés connectés ... sont dotés des mêmes fonctionnalités.

Il reste que le phénomène est massif, sans doute encouragé par un traitement de l'actualité très anxiogène.

La question de la protection de l'enfant, qui est d'ailleurs une obligation légale pour tout parent (Art. L. 112-3, loi n° 2016-297 du 14 mars 2016) est bien sûr à prendre en compte, comme le besoin de se rassurer.

Mais ce type de dispositif très inquisiteur fait basculer la relation parentale dans la surveillance permanente, le flicage qui va nuire à la relation de confiance parent-enfant.

Ce dernier a besoin, pour se construire, d'avoir des espaces d'intimité, d'émancipation, d'expérimentation sans contrôle et tutelle. Mentir, ne pas tout révéler de ce qui lui arrive sont, d'après les spécialistes, des étapes obligées du développement cognitif.

Le risque est même qu'une surprotection le rende moins apte à gérer les situations de danger. Cela peut aussi devenir contre-productif en poussant l’enfant à se rebeller et à se construire en opposition permanente avec ses parents, à prendre trop de risques en bravant les interdits.

La négociation saine des règles (vouloir sortir un peu plus tard, aller voir les copains, ne pas rentrer tout de suite après l'école...) risque d'être empéchée par ce "tracking" permanent des parents, notamment à l'adolescence, où il est nécessaire d'avoir des espaces sans les parents.

Ces applis, d'une part ne sont pas infaillibles : des décalages peuvent intervenir entre le positionnement réel et celui communiqué par l'appli...

Surtout, d'autres que les parents peuvent utiliser les données : d'après Symantec, les transmissions sans fil restent facilement piratables. Un pédophile pourrait ainsi accéder à ces données de déplacement... ce qui revient à l'inverse de la protection recherchée.

Au delà, les fournisseurs de ces applis (souvent gratuites) sont intéressés par les données collectées pour les vendre à des publicitaires, des commerciaux très friands de connaissances sur ces consommateurs en devenir... Le principal objectif de ces applis n'est pas le bien-être des personnes, mais le profit que leurs données peuvent générer.

Le respect de la vie privée (Article 9 du code civil) et les sanctions qui y sont attachées en cas de non-respect (Article 226-1 du code pénal) concernent toute personne mineure, dans leur cas le consentement à ces immixtions doit émaner des titulaires de l’autorité parentale.

C'est même un droit consacré sur le plan international, par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (Article 12), par la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Article 8 : le droit au respect de la vie privée y est associé au droit à la vie familiale).

La Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 prévoit une protection de sa vie privée à travers ses articles 8 - droit de l’enfant à préserver son identité, son nom et ses relations familiales - et 16 - droit de l’enfant à la protection contre les immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile, sa correspondance et contre les atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.

L'institution française du Défenseur des Droits complète cette approche par un examen de la jurisprudence : elle note que certains éléments de cette vie privée sont particulièrement protégés et ne peuvent être divulgués qu’avec l’autorisation de la personne concernée :

  • intimité des individus, notamment vie sentimentale ou sexuelle (d'après un jugement de la Cour européenne des droits de l'homme [CEDH] sur un cas hollandais),
  • état de santé (idem, sur un cas français),
  • croyances religieuses ou philosophiques.

La vie privée englobe ainsi tout ce qui touche à l’intimité de chacun, ce que l’on ne souhaite pas soumettre aux regards des autres, ce qui doit n’appartenir qu’à soi, y compris lorsque l’on est un enfant.

Elle en déduit que, sur la surveillance physique des enfants par des outils numériques (par la géolocalisation), "la nécessité d’espaces et de moments préservés pour les enfants se pose aussi au-delà des lieux où ils vivent. Sur le chemin de l’école, lors des premières sorties sans l’accompagnement d’un adulte et particulièrement au cours de l’adolescence, les enfants et les jeunes ont besoin de ne pas être constamment soumis au regard des adultes."

Elle cite une intervention de la CNIL en 2018, suite à la contestation par des parents d’élèves de la décision d’une cheffe d’un établissement privé d’équiper tous les élèves de porte-clés connectés qu’ils devaient "avoir en permanence sur eux", afin de s’assurer de leur présence en classe et au sein de l’établissement. La CNIL a rappelé l’obligation de respecter les dispositions du règlement européen de protection des données (RGPD), et a interdit cette "expérimentation".

Au delà de la géolocalisation, cette étude - qui cite le point de vue des enfants - traite de l'usage des réseaux sociaux, du cyberharcèlement, de l'accès à la pornographie...

Pour ses auteurs, "La transformation numérique n’est pas qu’une évolution technologique, c’est aussi et surtout une révolution culturelle qui impacte directement le développement des enfants, qui restent éminemment dépendants des interactions sociales pour se construire.

L’objectif, en définitive, peut se résumer ainsi : offrir à l’enfant la protection et l’éducation qui lui permettront de construire une intimité suffisamment solide, résistante, pour établir un rapport au monde ouvert et confiant.

Reconnaître aux enfants leur droit à la vie privée, c’est les considérer comme sujets, sans méconnaître leur statut d’enfant à protéger et à émanciper."