Directive en faveur des livreurs à vélo finalement adoptée, mais sans la France de Macron

Dessin tiré du site Chalon TV

Après un long marathon de 2 ans depuis le projet déposé par la Commission en décembre 2021, une directive européenne pour requalifier les travailleurs "indépendants" des plateformes (type Uber, Deliveroo, chauffeurs de VTC...) en employés a finalement été adoptée le 11 mars, soutenue par 25 pays mais sans la France et l'Allemagne (où les libéraux, membres de la coalition au pouvoir, s'y opposaient).

Macron et ses ministres ont tout tenté pour faire capoter le projet, tentant de faire jouer la minorité de blocage (il suffit de réunir des pays reprsentant au moins 35% de la population de l'UE) en s'alliant à l'extrême droite (l’Italie de Giorgia Meloni, la Hongrie de Viktor Orbán et la Suède d’Ulf Kristersson) ou à des pays liés aux lobbyistes (l’Estonie de la plateforme de VTC Bolt, la Finlande de Wolt, la Grèce...) et au final à la seule Allemagne paralysée par ses divisions internes. Mais les pays favorables à cette législation (dont l'Espagne qui a déjà pris un décret dès 2021, la Belgique qui préside actuellement le conseil de l'UE) ont finalement réussi à l'imposer, avec le soutien massif des travailleurs et travailleuses à vélo de toute l'Europe (comme souligné par Leïla Chaibi, ancienne militante de Génération précaire, depuis eurodéputée LFI et négociatrice pour ce texte, co-autrice d'un livre où elle aborde la question)

Sur 28 millions de travailleurs concernés en 2022 (un chiffre qui pourrait monter à 43 millions en 2025), la Commission européenne estime à 5,5 millions le nombre de "faux" indépendants. Cela concerne, particulièrement en France, une grande majorité de travailleurs sans papier [1]. Elle doit à terme leur donner tous les droits sociaux des salariés et les faire bénéficier du droit du travail.

Le texte est cependant moins ambitieux qu'au départ, notamment parce qu'il laisse le choix à chaque État de définir ses propres règles pour apprécier la "présomption légale de salariat". Déjà, la France déclare qu’il n’y aura pas de requalification "automatique", suivant en cela les prescriptions d'Uber...

Il faut rappeler qu'en 2022, le journal Le Monde avait révélé l'affaire des Uber Files qui montrait que le ministre Macron, à l'Économie, à l'Industrie et au Numérique de 2014 à 2017, avait sciemment oeuvré pour empêcher toute tentative de régularisation des travailleurs des plateformes.

Un rapport d'enquête parlementaire de juillet 2023 étaie même ces accusations en montrant la collusion du ministre avec les dirigeants d'Uber (par exemple un sms qu'il leur a envoyé pour les prévenir d'une perquisition !). Contre un financement de sa campagne ?

Le pacte de corruption n'est pas totalement établi et nécessitera sans doute que le "président" Macron, encore couvert par son "immunité", quitte le pouvoir. Son prédécesseur Sarkozy a lui aussi bénéficié de ce décalage entre ses actions délictueuses et leur sanction...

De fait, l'enquête parlementaire a montré que ces actions avaient continué après l'élection présidentielle, on pourra y inclure cette dernière...

L'économiste Cédric Durand estime que la requalification en salariés des travailleurs ubérisés entraînerait pour les plateformes un surcoût de 20 % à 30 % (d'après l'exemple américain) qui bénéficierait aux travailleurs en salaires et prestations sociales.

Cela aiderait particulièrement les travailleurs sans papiers qui peuvent arguer de la présomption de salariat pour prouver qu'ils travaillent depuis deux, trois, cinq ans sur le sol français.

Ces travailleurs et travailleuses pourront contester devant les tribunaux de leur pays leur statut d’indépendant·es si elles ou ils considèrent que le statut de salarié·e (et la couverture sociale afférente : congés payés, paiement des heures supplémentaires, couverture maladie) devrait leur être appliqué. Pour Pierre-Yves Dermagne, ministre belge du travail, "La charge de la preuve passe des épaules du travailleur à celles de l’entreprise pour qui il exerce son activité", ce que confirme la Confédération européenne des syndicats dans un communiqué.

La directive introduit également des règles sur l'utilisation des algorithmes : elles ne pourront plus décider des rémunérations, désactiver le compte ou interdire de travailler à un chauffeur ou un livreur sans voie de recours, ni automatiser certains aspects de la coordination des travailleurs, par exemple en matière de répartition des tâches et de suivi des performances, comme l'explique le site Le monde de l'informatique

L'utilisation de certaines données, notamment l'état psychologique et émotionnel, la religion, la sexualité, les conversations privées et l'activité syndicale des travailleurs seront interdites.

[1] D'après le livre de Sophie Bernard, #Uberusés, au sous-titre évocateur "le capitalisme racial de plateforme". Résumé : Après l’immigré OS à vie et l’épicier maghrébin, le chauffeur Uber racisé se présente comme une nouvelle figure du système d’emploi. Si le déploiement des plateformes numériques marque l’avènement de formes renouvelées, voire exacerbées d’exploitation, il s’inscrit dans un capitalisme racial de plateforme reposant sur celle d’hommes racisés. L’enquête inédite menée auprès d’une centaine de chauffeurs Uber à Paris, Londres et Montréal est l’occasion d’aller à la rencontre de cette figure emblématique de l’"ubérisation" pour décrire la réalité de leur quotidien de travail. [...] Elles peuvent ainsi tirer parti d’une main d’œuvre disponible et docile qui, au moment même où elle croyait y échapper, se voit à nouveau assignée à "un travail pour immigré".