Amazon Logistique condamné pour surveillance de ses salariés

Le 27 décembre 2023, Amazon a été condamné à une amende de 32 millions d’€ par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL, communiqué du 23 janvier) "pour avoir mis en place un système de surveillance de l’activité et des performances des salariés excessivement intrusif". La sanction concerne aussi "la vidéosurveillance sans information et insuffisamment sécurisée".

En la matière, la décision de la CNIL reste modeste (d'après elle "quasiment sans précédent") mais donne des pistes à des salarié.es d'actions possibles à engager.

La CNIL a effectué plusieurs missions de contrôles depuis 2019 suite à des articles de presse et des plaintes signifiées par des salarié.es. A l'époque Amazon France Logistique comptait 6 200 salarié·es en CDI et faisait travailler, sur l’année, 21 582 intérimaires. Pour rendre sa décision, la CNIL se réfère au règlement général sur la protection des données (RGPD) pour infliger cette amende équivalente à environ 3 % du chiffre d’affaires, le maximum prévu étant de 4 % du CA.

Cette affaire souligne en tout cas l'aliénation technologique qui touche la plupart des travailleurs et travailleuses dans de multiples secteurs de la production, de la logistique (le scanner comme outil de contrôle permanent rappelle le film de Ken Loach Sorry We Missed You ! de 2018), et le ballet incessant de signaux numériques, des sons et des lumières qui leur indiquent chaque geste à faire.

Cité par Médiapart, David Gaborieau, sociologue du travail et chercheur au Centre d’études de l’emploi et du travail, la surveillance des salarié·es n’est que la suite logique de l’organisation du travail comme elle est pensée dans le domaine de la logistique : "dans le travail quotidien en entrepôts, ce qui est le plus perturbant pour un salarié c’est que tous ses gestes sont totalement encadrés. La façon dont on travaille est entièrement dictée par des machines, des progiciels, et on a très peu de marge de manœuvre. La pénibilité du travail sans autonomie est très importante et le stress de la surveillance ne vient qu’ajouter à cette pénibilité."

Pour lui, bien que la décision de la CNIL soit une avancée, elle ne pose pas le problème correctement : "Amazon va un peu plus loin que les autres entreprises du secteur, ils enregistrent les données de manière plus précise, les gardent plus longtempsMais ce qui existe à Amazon existe partout ailleurs. Quand on fait la traçabilité très précise des colis et de la vitesse de la circulation des flux dans la logistique, automatiquement, on crée de l’intensification du travail et du contrôle de l’individu."

Ikea France (il y a 10 ans, article de Mediapart), n’avait été condamné en 2021 qu’à un million d’€ d’amende par le tribunal de Versailles pour avoir mis en place un système de surveillance de ses salarié·es et des syndiqué·es, entre 2009 et 2012. Le parquet avait pourtant requis une peine deux fois plus lourde.

Chaque salarié des entrepôts est muni d’un scanner qui enregistre en temps réel l’exécution des tâches (stockage ou prélèvement d’un article dans les rayonnages, rangement ou emballage…). Ces données sont conservées et aboutissent à trois "indicateurs" sur la qualité, la productivité et les périodes d’inactivité de chacun.e.

La fourniture d’une "aide au salarié" par les "superviseurs" ou la nécessité d'une réaffectation de salariés supplémentaires à une tâche en cas de pic d’activité ne nécessitent pas d’accéder "aux moindres détails des indicateurs de qualité et de productivité du salarié qui ont été collectés au moyen des scanners sur le dernier mois". "Une sélection de données agrégées, par exemple hebdomadaire, serait suffisante".

Pour la CNIL, trois indicateurs sont illégaux :

  • "Stow Machine Gun", qui signale une erreur lorsqu’un salarié scanne un article "trop rapidement" (moins de 1,25 seconde après avoir scanné le précédent)
  • "Idle time", "temps d’inactivité" estimé si inactivité d’un scanner pendant 10 minutes et plus
  • l'indicateur qui mesure le temps écoulé "entre le moment où l’employé a badgé à l’entrée du site" et celui où il a scanné son premier colis.

Pour la CNIL, cela conduit les salariés à justifier toute interruption, même "de trois ou quatre minutes", de l’activité de son scanner, faisant ainsi "peser sur eux une pression continue". D'où ses prescriptions :

  • Est "illégale la mise en place d’un système mesurant aussi précisément les interruptions d’activité et conduisant le salarié à devoir potentiellement justifier de chaque pause ou interruption".
  • Est excessif "le système de mesure de la vitesse d’utilisation du scanner lors du rangement des articles".
  • Est disproportionné "de conserver toutes les données recueillies par le dispositif ainsi que les indicateurs statistiques en découlant, pour tous les salariés et intérimaires, en les conservant durant 31 jours".
  • jusqu’en avril 2020, les intérimaires travaillant pour la société n’étaient pas correctement informés, puisque Amazon ne s’assurait pas de leur consentement avant que leurs données personnelles ne soient collectées au moyen des scanners.
  • pour la vidéosurveillance, les salariés et visiteurs extérieurs n’étaient pas correctement informés (ni sur les panneaux d’affichage, ni dans d’autres supports ou documents).

L’accès au logiciel de vidéosurveillance n’est pas suffisamment sécurisé, puisque le mot de passe d’accès n’est pas d’une robustesse suffisante et que le compte d’accès est partagé entre plusieurs utilisateurs. Cela "rend la traçabilité des accès aux images vidéo, ainsi que l’identification de chaque personne ayant effectué des actions sur le logiciel, plus difficiles".

La CNIL "se réserve la possibilité de faire de nouveaux contrôles".