Médiapart vient de sortir un article sur un demandeur d'emploi qui a gagné en procès contre Pôle Emploi devant la Cours de Cassation. Pôle Emploi lui avait fait des retenus sur ses allocations, alors qu’il était en train de contester la légitimité d’une procédure de recouvrement de trop perçu engagée contre lui. À travers cet article il apparaît nettement que l’automatisation des contrôles via l’outil informatique participe au renforcement de la violence institutionnelle à l’encontre des demandeurs d’emplois.
Chaque fin de mois, les personnes inscrites doivent pointer à Pôle Emploi pour faire leur « actualisation ». Elles déclarent si elles ont, ou non, travaillé (il faut alors indiquer le nombre d’heures ainsi que le salaire), si elles ont eu une activité. Sur la base de ces éléments déclarés, Pôle emploi verse, ou non, une allocation-chômage.
Une fois ces données rentrées, il y a une comparaison et une mise en relation entre les déclarations formulées et les fiches de paie ou les attestations employeurs qui sont envoyées. Si une anomalie est constatée entre les différentes déclarations et les papiers qui ont été envoyés, une alerte se crée. Si le demandeur d’emploi a bénéficié pendant ce temps de traitement d’allocations qu’il n’aurait pas dû toucher au vu de ce qu’il avait travaillé, alors une procédure de recouvrement de « trop-perçu » se met en route pour réparer ce qui est considéré comme une « fraude ».
Sauf que, la plupart du temps, il s’agit d’erreurs venant soit des demandeurs d'emplois, soit (bien plus souvent) des employeurs ! Au moment de déclarer les heures travaillées lors de l'"actualisation", les demandeurs d’emploi n’ont pas toujours de fiches de paie ni d'attestations employeurs, ni la certitude de les avoir ! (à ce sujet les aides ménagères sont victimes d’une exploitation honteuse)
De plus, les demandeurs d’emplois ne savent pas toujours s’ils vont obtenir des primes, ni de combien celles-ci s’élèveront… Ajoutons à cela le risque d’erreur de la part de l’employeur au moment de la saisie et on s’apercevra de l’absurdité d’un tel dispositif, ainsi que de sa violence à l’encontre des demandeurs d’emplois !
On culpabilise et criminalise les demandeurs d’emplois pour des erreurs de procédures administratives dont ils ne sont pas responsables, et ensuite le système les sanctionne, sans leur laisser le temps de s’expliquer ! Ceux-ci, déjà dans une situation de grande précarité, se retrouvent du jour au lendemain à devoir payer des sommes rétroactivement sans en avoir les moyens. Et lorsqu’ils sont accusés à tort de malveillance, ils doivent se débrouiller seuls pour faire les démarches leur permettant de contester la sanction, sous peine d’être définitivement radié et/ou de voir leurs allocations suspendues (ce que Pole-Emploi fait apparement sans respecter les délais de recours), une honte !
Mediapart avait déjà documenté cette pratique de recouvrement sauvage dans un article de 2018 : https://www.mediapart.fr/journal/economie/290518/rembourser-pole-emploi-le-casse-tete-de-milliers-de-chomeurs
Cela fait également plusieurs années que le CNTPEP (Comité national des Travailleurs Privé d'Emploi et Précaires de la CGT) lance des alertes sur ces pratiques (1) : https://chomeurs-precaires-cgt.fr/guide-des-droits/indus-et-trop-percus-systematiquement-les-contester/
Entre les suspensions et les suppressions automatiques (pour cause d’oubli d’actualisation, d’absence à un rendez-vous), et les procédures de recouvrement liés aux erreurs au moment de l’actualisation, nombreux sont les demandeurs d’emplois à se décourager et à préférer abandonner définitivement leurs demandes d’allocation.
À travers ces deux articles, il apparait clairement que le système informatique a renforcé la violence institutionnelle de Pole Emploi vis à vis de ses usagers, par son augmentation du risque d’erreur, par ses sanctions automatisées dépourvues d’explications et par sa limitation des possibilités de recours pour les demandeurs d’emplois, qui se retrouvent seuls face à un système abstrait, avec de moins en moins interlocuteurs humains pour les aider.
Le médiateur national de Pole Emploi a d’ailleurs établi une critique similaire dans son rapport sur l'année 2021 : https://www.mediapart.fr/journal/economie/280622/rapport-du-mediateur-de-pole-emploi-ces-regles-qui-pourrissent-la-vie-des-chomeurs
Heureusement face au rouleau compresseur administratif, les usagers s'organisent. Jacques, dont il est question dans l'article de mediapart, a obtenu un dédomagement de 3000 euros de la part de Pole Emploi. Une victoire juridique qui offre un nouveau levier pour contester ces pratiques de recouvrement abusives.
Des collectifs de demandeurs d’emploi et de bénéficiaires de la CAF apparaissent également un peu partout en France. Deux se sont notamment montés à Lille et à Mulhouse.
Voir ces articles de Bastamag :
Pour rappel un groupe s’est également créé sur Saint-Étienne en avril !
Voir : https://lenumerozero.info/Organisons-nous-face-a-la-CAF-et-pole-emploi-5637
Par ailleurs, suite à notre invitation du 09 juin, le collectif Changer de Cap a décidé de revenir à Saint-Étienne le 26/08 pour faire un séminaire à l’Amicale laïque du Crêt de Roc : https://changerdecap.net/seminaire-2022/
Si pour l’instant les collectifs en lutte sur ce sujet à Saint-Étienne sont assez disparates, on voit que les choses sont tout de même en train de bouger.
Peut-être bientôt une fronde collective sur Saint-Étienne ?
Notes
(1) À Saint-Étienne, le CTPEP tient des permanences hebdomadaires à la Bourse du Travail : https://www.facebook.com/cgt.precaires.saintetienne/
Pour aller plus loin
Article sur la réforme de l'assurance chômage : https://www.monde-diplomatique.fr/2022/06/LEFAUCONNIER/64784
Article sur la transformation de Pôle Emploi en "France Travail" : https://blogs.mediapart.fr/olivier-tonneau/blog/080722/pole-emploi-france-travail-une-semantique-piegee
2 réponses sur « Pôle emploi et recouvrement de trop perçu, un bug dans la machine »
[…] d’administrations comme la CAF (https://halteaucontrolenumerique.fr/?p=1383) et Pôle emploi (https://halteaucontrolenumerique.fr/?p=1445) […]
[…] comme nous l'avons déjà souligné dans de précédents articles sur Pôle Emploi, la plupart des supposées "fraudes" sont davantage le fruit d'erreurs de la part des allocataires, […]