Algorithmes, privatisation et contrôle social

Le jeudi 9 juin, nous avons organisé un débat à la Cale (Saint-Etienne), avec Valérie, du Collectif Changer de cap, qui combat le déploiement d’un système algorithmique dans les CAF, lequel permet le pistage et la discrimination des allocataires, et Gilles Jeannot, co-auteur du livre "La privatisation numérique : Déstabilisation et réinvention du service public" qui critique la généralisation de ces techniques dans les services publics.

Enregistrement du débat : d'abord Valérie, de Changer de cap, puis Gilles pour le livre "La privatisation numérique...", puis débat avec le public

Action de Changer de cap face aux algorithmes déployés dans les CAF

Ruptures multiples de l’égalité devant les droits

  • en zone rurale et de montagne, seuls 30% des territoires profitent d’un réseau internet haut débit, contre 80% en zone urbaine et périurbaine. [1]
  • 25% des Français n’ont pas d’accès internet à leur domicile, dont 53% des 75 ans et plus. [1]

- seules 13% des démarches administratives étaient accessibles aux personnes handicapées en 2020. [2]

- 17% de la population française est en situation d’illectronisme (incapacité ou difficultés dans l’utilisation d’outils numériques) et 38% des usagers d’internet manquent d’au moins un compétence pour effectuer leurs démarches (recherche, utilisation de logiciels…). [2]

- 31% des Français [3] ont renoncé en 2021 à effectuer une démarche administrative.

- ... et une part coissante de la population refuse désormais l'asservissement au numérique, ILS EN ONT LE DROIT (article 22 du RGPD [4]) !

Des conséquences en cascade

  • une barrière supplémentaire pour accéder aux droits.
  • un poids supplémentaire pour les aidants.
  • le renoncement à certains droits (37% pour le RSA !) et un sentiment d'abandon.

"La dématérialisation, telle qu’elle a été conduite jusqu’à présent, s’accompagne d’un report systémique sur l’usager de tâches et de coûts qui incombaient auparavant à l’administration." (Défenseure des droits, février 2022)

Des contrôles sous l’autorité de la machine

- un millier de données sont potentiellement accumulées pour chaque allocataire : par la récupération massive de données venant des CAF, de Pôle Emploi, de l'URSSAF, des impôts, de la préfecture, des CPAM...

- les agents "chargés de la prévention des fraudes" bénéficient d’un "droit de communication" : ils peuvent demander des informations à des tiers (banques pour les relevés bancaires, fournisseurs d’énergie, employeurs…).

La CNAF se vante de ces pratiques

Les allocataires premières victimes

- des retenues sur les aides, voire des suppressions de versements, sans explication, pendant plusieurs mois voire plusieurs années.

  • ces contrôles débouchent sur un véritable harcèlement des personnes en difficulté : "Ces contrôles successifs me donnent l'impression de ne pas être légitime à faire valoir mes droits et d'être fautive d'être malade, handicapée et précaire, ce que je trouve tout bonnement abominable".
  • les agents des CAF, qui subissent des conditions de travail de plus en plus dures, sont transformés en agents presse-bouton.
  • les accompagnants, qui se transforment en experts informatiques et juridiques, doivent déjouer bien des pièges.

De nombreux témoignages ont été collectés par Changer de cap.

Les CAF dans l’illégalité

  • l’interruption soudaine de versements de prestations contrevient aux obligations des CAF. Dans de nombreux cas, les allocations sont suspendues pendant toute la durée du contrôle, sans respect du reste à vivre légalement imposé à tous les créanciers.
  • la plupart de ces contrôles sont déclenchés automatiquement, sans en informer les allocataires et parfois sans notification, ce qui est contraire à la loi. [5]
  • les procès-verbaux sont remplacés au mieux par des notifications sommaires, qui ne précisent ni les modalités de calcul de l’indu, ni les délais de réponse, ni les voies de recours.


Propositions du collectif Changer de Cap

En collaboration avec des juristes, le collectif a établi une note à destination des allocataires et de leurs aidants.

Par ailleurs, il a rédigé un appel, notamment en vue de la prochaine convention d’objectifs CNAF-Etat, qui sera négociée à l’automne.

Présentation du livre "La privatisation numérique…", par Gilles Jeannot

Note de lecture sur le site de Changer de cap :

Dans un court ouvrage (148 pages) publié aux éditions Raisons d’agir, Gilles Jeannot et Simon Cottin-Marx expliquent comment le développement numérique aboutit à une forme de privatisation qui ne dit pas son nom, et ses conséquences. « Il s’agit d’une transformation des relations entre l’Etat et les usagers : substitution d’algorithmes aux agents publics, généralisation des mécanismes de notation, développement de l’ubérisation des tâches (…) Cet ouvrage porte au jour, derrière les sympathiques applis de nos smartphones les conséquences économiques et techniques réelles de cette privatisation numérique, ainsi que les perspectives de résistance et de réinvention du service public ».

Quelles alternatives à la « privatisation numérique » du service public ? (extraits)

Dans leur petit ouvrage La privatisation numérique. Déstabilisation et réinvention du service public, les chercheurs Gilles Jeannot et Simon Cottin-Marx passent en revue les transformations induites par l’introduction du numérique dans la sphère publique. Au phénomène de privatisation progressif qu’ils constatent dans de nombreux domaines, ils opposent la possibilité d’une réappropriation des outils numériques et de leurs finalités par les agents publics et la sphère associative.

... Outre le transport et la santé, ces dernières années de nombreux autres domaines ont pris de plein fouet cette vague de privatisation, parfois avec un transfert de propriété très direct, d’autres fois sous forme de substitution par une offre privée d’une offre publique.

... S’il est impossible de rendre justice aux nombreux autres exemples amenés par les auteurs, mentionnons les controverses plus récentes sur lesquelles ils s’arrêtent : du Health Data Hub confié à Microsoft en pleine pandémie, aux systèmes de surveillance urbaine dans les mains de sociétés françaises ou chinoises dans plusieurs villes (Nice, Valenciennes)...

... Tous ces mouvements renforcent la place du privé, y introduisent parfois des façons de fonctionner qui lui appartiennent ... contreviennent à l’idée la nécessité d’une « souveraineté numérique » qui semble pourtant rassembler tous les bords politiques...

... La seconde partie d’ouvrage est dédiée au mouvement de réappropriation ... Ce sont avant des projets humains sur lesquels les auteurs se concentrent : « fonctionnaires et militants » qui parce qu’ils sont passionnés et soucieux de l’intérêt général, défendent une informatique libre et ouverte...

Gilles Jeannot et Simon Cottin-Marx offrent avec La privatisation numérique un intéressant travail de synthèse et d’analyse, et des illustrations aussi précises que nombreuses du phénomène de privatisation qu’ils décrivent...

Pour lire un extrait du livre


[1] INSEE (chiffres de 2019)

[2] Mission d’information « Lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique » (2019-2020),

[3] Baromètre des résultats de l’action publique, janvier 2021

[4] Règlement Général pour la Protection des Données, article 22

[5] Code des relations entre le public et l’administration

9 réponses sur « Algorithmes, privatisation et contrôle social »

[…] 3° privatisation déguisée : des emplois publics (municipaux) sont remplacés par d'autres, privés et souvent précarisés. Et la maitrise de fonctions essentielles passe sous la coupe du privé, les municipalités perdent de leur autonomie politique. Un auteur que nous avons reçu, Gilles Jeannot, analysait ça très précisement dans son livre "La privatisation numérique : Déstabilisation et réinvention du service public". […]