Affaire du 8 décembre, vers une criminalisation de Signal ?

Le procès de l’affaire dite du « 8 décembre » s'est déroulé du 3 octobre au 27 octobre. Un procès politique digne de l'affaire Tarnac, où sept militants dits "d'ultra-gauche" sont accusés d’association de malfaiteurs terroriste. Alors que les preuves matérielles sont faibles, les services de renseignement de la DGSI chargés de l’enquête judiciaire, le parquet national antiterroriste (PNAT) puis le juge d’instruction ont instrumentalisé à charge le fait que les inculpé·es utilisaient au quotidien des outils pour protéger leur vie privée et chiffrer leurs communications.

Un effet de manche dangereux car il ouvre la voie à la criminalisation du chiffrement des communications.

Dessin publié sur le blog Soutien aux inculpé-es du 8 décembre

Depuis le début le procès repose sur des preuves fragiles, une association de Paint Ball, un artificier qui travaille à Disneyland et quelques discussions de fin de soirée où il est dit du mal de la police nationale captées par des micros cachés par la DGSI...

La Quadrature du Net, qui a fait une intervention lors du procès, souligne que la DGSI s’est vraiment affairée à démontrer à travers ses différentes notes comment l’utilisation d’outils comme Signal, Tor, Proton, Silence, etc., serait une preuve de la volonté de dissimuler des éléments compromettants.

La DGSI a en plus de cela, justifier l’absence de preuves d’un projet terroriste par l’utilisation d’outils de chiffrement. C'est le serpent qui se mord la queue !

Dessin publié sur le blog Soutien aux inculpé-es du 8 décembre

Les applications utilisées sur les téléphones n'étaient pas les seuls ciblées, les enquêteurs ont aussi pointé du doigt le chiffrement des données sur les ordinateurs des septs militants. La DGSI a notamment reproché aux militants en procès d'avoir utilisé LUKS, un outil disponible sous Linux pour chiffrer ses disques, pourtant banal et recommandé pour protéger ses données.

Car le chiffrement est un procédé légal utilisé par bon nombre de citoyens et par les institutions politiques elles-mêmes, comme l'a rappelé Isabela Fernandes, la directrice exécutive du Tor Project !

« le chiffrement ne doit pas être compris à tort comme un signe d’intention malveillante mais, doit au contraire être vu comme une composante fondamentale du droit à la vie privée et à la sécurité informatique des personnes » (Isabela Fernandes)

« de manière générale, l’ensemble du dossier tend à démontrer que la police et la justice ignorent que le chiffrement par défaut des supports de stockage est mis en place par les principaux développeurs de logiciels. Et ces mêmes autorités oublient que leurs périphériques aussi sont chiffrés » (La Quadrature du Net)

Un soucis de sécurité qui se comprend d'autant plus qu'ils étaient militants ! Aujourd'hui, le développement accrue de la surveillance et de la répression, amène nécessairement de plus en plus d'entre nous à passer par ces logiciels, même si nous ne faisons rien d'illégal, par simple mesure de précaution.

Au mois d'octobre, Gérald Darmanin a déclaré que 3000 personnes d'ultra-gauche possèdaient une fiche S.

Ce sont les propres services de Darmanin qui attribuent ce classement, lequel reste secret pour la personne concernée. Il est possible d'avoir une fiche S sans avoir commis de crime ou de délit, d'après de simples présomptions. Difficile donc de savoir qui est fiché ou pas...

Voir notre article "Fiché·e S ? Comment le savoir et comment en sortir"

Des militants de gauche se retrouvent donc "surveillés" et catalogués d'extrémistes, au même titre que les néonazis ou les terroristes, alors que leurs discours et leurs moyens d'actions sont totalement différents ! Un amalgame qui sent la répression politique...

Dessin publié sur le blog Soutien aux inculpé-es du 8 décembre

Aujourd'hui on assiste de plus en plus à une assimilation des actes et des discours politiques "de gauche"au terrorisme sur la scène politique.

De nombreuses lois politiques ont changé la législation pénale (loi anti casseurs, loi sécurité globale, loi séparatisme...). Les moyens d’enquête antiterroriste sont de plus en plus utilisés pour réprimer les mouvements sociaux : militant·es des Soulèvements de la Terre détenues par la Sous-Direction-Antiterroriste (SDAT), unités antiterroristes mobilisées contre des militant.e.s antinucléaire, syndicalistes CGT arrêtés par la DGSI, unités du RAID déployées lors des révoltes urbaines… Le tout accompagnés d’éléments de langage sans équivoque (« écoterrorisme », « terrorisme intellectuel »).

Un phénomène que nous avons dénoncé lors de l'émission radio de la Machine à découdre au moment de menaces de dissolution de Nantes Révoltée et que nous avons continué à dénoncer dans d'autres articles.

Pourtant, l'illégalisme politique n'est pas du terrorisme. Un point que la défense a rappelé et défendu au cours du procès du 8 décembre :

« La défense a déconstruit les termes de « terroriste » et d’« ultragauche » : le premier est un terme que les gouvernements utilisent pour désigner un ennemi avec qui aucun dialogue n’est possible (et qu’on peut donc priver de certains droits au passage) ; le second n’a pas de définition précise, mais est bien le signe que les prévenu-es sont jugé-es pour leurs opinions politiques. Les inculpé-es ont des avis politiques, mais il n’y a eu aucune intimidation ou terreur, ce qu’on est censé avoir dans une AMT. »

Paris lutte infos, "Suivi du procès du 8/12"

Une tribune est également sortie pour critiquer cet amalgame.

Cette affaire du 8 décembre, laisse craindre que les auteurs et autrices d’illégalismes politiques puissent un jour être inculpés pour terrorisme…

Image de Contre attaque

« Le Monde, Politis, Telerama – pour ne citer qu’eux – évoquent pêle-mêle les « contradictions fondamentales du dossier », des « preuves évanescentes » et des éléments « particulièrement fragiles ». Tous soulignent avant tout la crainte d’un « effet tâche d’huile sur les mouvements sociaux et écolos » en cas de condamnation. Car en l’absence d’éléments matériels, c’est bien la criminalisation des idées politiques de gauche qui est en jeu dans ce procès.

Nous, intellectuel·les, artistes, activistes, personnes concernées par la répression, humoristes, universitaires, journalistes, femmes et hommes politiques, affirmons notre peur et notre colère face à cette course sécuritaire menée par le gouvernement. »

Contre attaque, "Tribune : ne nous laissons pas (anti)terroriser"

De plus, en présentant la protection des données personnelles comme un instrument favorisant et légitimant les présomptions de terrorisme, elle pourrait également donner libre cours à la répression politique de plus grosse importance dans un avenir plus ou moins proche.

Il ne reste plus qu'à espérer que cette affaire ne fera pas jurisprudence.

Prises de parole des inculpé-es à la sortie du procès :

Enfin, tour à tour, les prévenu-es prennent la parole à la barre. Iels réaffirment que cette « tempête judiciaire disproportionnée » a pourri leur vie depuis trois ans, qu’iels ne sont pas des terroristes. Iels expriment la peur du jugement, d’être qualifié-es de terroristes et de devoir porter ce
stigmate dans les années à venir. Il leur faudra du temps pour se reconstruire, aspirent à « vivre en harmonie avec les un-es et les autres », et sont « fier-es des luttes menées et des idées défendues ». « L’avenir n’est pas la violence mais la solidarité » !

Malgré les réprimandes de la présidente, la salle applaudit chaque prise de parole, et les conclut en scandant « LIBERTÉ ! LIBERTÉ ! »

Paris lutte infos, "Suivi du procès du 8/12"

L'ensemble des dessins réalisés pendant le procès par le groupe de soutien aux inculpées sont disponibles sur leur site.

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