"Salauds de pauvres !"

15 associations (voir liste en bas de l'article) attaquent l'algorithme discriminatoire de la CAF contre les "fraudeur.ses" devant le Conseil d'Etat.

* "Salauds de pauvres !" C’est Coluche qui avait popularisé l’expression dans les années 1980.

Depuis, l’image du chômeur fraudeur -ou de la fraudeuse-, du/de la fainéant.e, du pauvre responsable de son sort, de ces individus qui abuseraient de l’argent public a fait florès.

Les CAF (Caisses d’allocations familiales) se sont dotées d’outils pour faire face à "la fraude aux prestations sociales". C’est ainsi que data mining et scoring ont été mis en œuvre par les CAF dès 2011.

C’est une démarche d’étude statistique qui a pour objet l’extraction d'un savoir, ou d'une connaissance, à partir de grandes quantités de données, par des méthodes automatiques ou semi-automatiques. Elle utilise un ensemble d’algoritmes issus de disciplines scientifiques diverses telles que les statistiques, l’intelligence artificielle ou l’informatique pour construire des modèles à partir des données collectées.

Le modèle data mining attribue à chaque allocataire un score de risque/suspicion à partir duquel la Caf va classer les dossiers en fonction du niveau de score, donc de l’importance du risque qu’il présente. 

En résumé, un algorithme attribue à chaque allocataire un score de suspicion. Sa valeur sera utilisée pour sélectionner celles et ceux qui feront l’objet d’un contrôle dans le but de détecter les fraudes et les versements indus .

A défaut de faire la chasse à la pauvreté, les CAF se sont investies dans la chasse aux pauvres.

Par exemple, Vincent Dubois, sociologue et politiste, prouve, dans un ouvrage paru en 2021 "Contrôler les assistés. Genèses et usages d’un mot d’ordre", que les plus précaires sont celles et ceux qui font l’objet du plus grand nombre de contrôles.

D’après la Quadrature du Net, "Chaque mois, l’algorithme analyse les données personnelles des plus de 32 millions de personnes vivant dans un foyer recevant une prestation CAF et calcule plus de 13 millions de scores". Ce sont ces 13 millions d’allocataires qui sont passé.es au crible de cet outil statistique qu’est le data mining. L’algorithme serait programmé pour cibler, de manière "discriminatoire", ses allocataires les plus précaires. 

Si vous avez des revenus faibles, si vous êtes au chômage, si vous bénéficiez du revenu de solidarité active (RSA), de l’allocation adulte handicapé (AAH), si vous êtes racisé.e, si vous vivez dans un quartier défavorisé, si votre situation sociale et/ou familiale est instable, etc, vous avez le profil du fraudeur -ou de la fraudeuse.

C’est dans ce contexte que quinze associations ont saisi le Conseil d’Etat afin d’obtenir la suppression de l’ algorithme utilisé par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).

Le recours, déposé le 15 octobre auprès de l’instance, "porte tant sur l’étendue de la surveillance à l’oeuvre que sur la discrimination opérée par cet algorithme envers des allocataires déjà fragilisés dans leurs parcours de vie", écrivent dans un communiqué Amnesty International, la Quadrature du Net, la Fondation Abbé Pierre et les autres associations requérantes.

La vision du pauvre qui serait forcément, évidemment, fraudeur s’est imposée dans nos sociétés alors que cette croyance est battue en brèche et bien documentée… mais ignorée par les politiques et les média dominants.

Un rapport du Haut conseil du financement de la protection sociale évalue la fraude sociale à 13 milliards d’euros par an. Le HCFPS révèle que la fraude sociale est majoritairement le fait d’entreprises (via le travail dissimulé) ou de travailleurs indépendants, alors que "la part des assurés, et notamment des titulaires de minima sociaux est faible dans l’ensemble", à l'encontre de certains discours.

Il serait réjouissant, et productif en termes de rentrée d’argent dans les caisses, que les politiques qui sont aux manettes dénoncent vigoureusement cette fraude aux cotisations sociales. Pourquoi pas un algorithme pour ce faire ?

Non seulement les pauvres ne sont pas intrinsèquement fraudeurs et fraudeuses mais ils ne font pas forcément valoir leurs droits.

Ainsi, la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) indiquait, en 2022, que tous les trimestres, 750 millions d’euros ne sont pas versés faute d’avoir été réclamés. Soit environ 3 milliards d’euros par an. 

"Dans cette étude rendue publique, à l’issue de deux ans de recherches, il est établi, en 2018, que 34 % des foyers éligibles ne demandent pas à percevoir le revenu de solidarité active (RSA) chaque trimestre et que 20 % des personnes éligibles seraient en situation de non-recours pérenne (plus de trois trimestres consécutifs)".

Alors, salauds de pauvres ?

* Formule utilisée par Coluche pour la dénoncer. Il n’en était pas l’auteur. Il l'avait empruntée à Jean GABIN dans le film "La traversée de Paris" de Claude Autant-Lara, en 1956.

Une fonction intelligente, que pourrait remplir l’algoritme CAF, serait de verser automatiquement les prestations auxquelles les allocataires ont droit. Nombre d’entre elles/eux ne savent pas qu’elles/ils peuvent prétendre à une allocation, certain.es ont des difficultés à remplir leur dossier, d’où les non recours massifs.

Cela dit, la question de la protection de la vie privée reste entière. D’après La Quadrature du Net, l’algorithme CAF disposait de 37 variables en 2010, de 35 variables en 2014, de 41 variables en 2018 (algorithme utilisé actuellement) : technologie partout, vie privée nulle part !

En cette veille de journée mondiale du refus de la misère, 15 organisations de la société civile attaquent l’algorithme de notation des allocataires des caisses d’allocations familiales (Caf) en justice, devant le Conseil d’Etat, au nom du droit de la protection des données personnelles et du principe de non-discrimination. Ce recours en justice contre un algorithme de ciblage d’un organisme ayant mission de service public est une première.

Cet algorithme attribue à chaque allocataire un score de suspicion dont la valeur est utilisée pour sélectionner celles et ceux faisant l’objet d’un contrôle. Plus il est élevé, plus la probabilité d’être contrôlé-e est grande. Chaque mois, l’algorithme analyse les données personnelles des plus de 32 millions de personnes vivant dans un foyer recevant une prestation Caf et calcule plus de 13 millions de scores. Parmi les facteurs venant augmenter un score de suspicion on trouve notamment le fait d’avoir de faibles revenus, d’être au chômage, de bénéficier du revenu de solidarité active (RSA) ou de l’allocation adulte handicapé (AAH). En retour, les personnes en difficulté se retrouvent sur-contrôlées par rapport au reste de la population.

Notre recours devant le Conseil d’Etat porte tant sur l’étendue de la surveillance à l’œuvre que sur la discrimination opérée par cet algorithme envers des allocataires déjà fragilisé-e-s dans leurs parcours de vie. En assimilant précarité et soupçon de fraude, cet algorithme participe d’une politique de stigmatisation et de maltraitance institutionnelle des plus défavorisé-e-s. Les contrôles sont des moments particulièrement difficiles à vivre, générateurs d’une forte charge administrative et d’une grande anxiété. Ils s’accompagnent régulièrement de suspensions du versement des prestations, précédant des demandes de remboursements d’indus non-motivés. Dans les situations les plus graves, des allocataires se retrouvent totalement privé-e-s de ressources, et ce en toute illégalité. Quant aux voies de recours, elles ne sont pas toujours compréhensibles ni accessibles.

Alors que l’utilisation de tels algorithmes de notation se généralise au sein des organismes sociaux, notre coalition, regroupant des organisations aux horizons divers, vise à construire un front collectif afin de faire interdire ce type de pratiques et d’alerter sur la violence dont sont porteuses les politiques dites de "lutte contre la fraude sociale".

"Cet algorithme est la traduction d’une politique d’acharnement contre les plus pauvres. Parce que vous êtes précaire, vous serez suspect-e aux yeux de l’algorithme, et donc contrôlé-e. C’est une double peine." déclare Bastien Le Querrec, juriste à La Quadrature du Net.

* cette municipalité a voté, en octobre 2023, une délibération "en faveur d'un droit au non-numérique dans l'accès aux services publics municipaux"

Maltraitance institutionnelle, illégalités, vies broyées : 50 propositions pour remettre le droit et l'humain au coeur de l'action des CAF Dossier réalisé par l'association Changer de cap

LQDN propose un outil Demande ton score : si vous avez récemment fait l’objet d’un contrôle CAF, Pôle Emploi, URSSAF ou de l’Assurance maladie et si vous voulez comprendre sur quels critères vous avez été sélectionné·es ? Les administrations sont légalement tenues de vous communiquer les "scores de suspicion" qu’elles vous ont alloués ainsi que des explications concernant leur calcul.

Espionnage sur Facebook, algorithme de "flicage" : les méthodes scandaleuses de la CAF Bastien Le Querrec (La Quadrature du net), invité par Cyril Lemba (Le Media)

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