Linky : face à la propagande, les faits

Cet autoproclamé "journal de référence" (ou "de révérence", c'est selon) nous gratifie, depuis de longues années, de ces articles de promotion du Linky. C'est encore le cas avec celui-ci, paru le 24 novembre, soit juste après la fin de la consultation de la CRE (Commission de Régulation de l'Energie, laquelle ne mentionne aucune décision sur le sujet...).

Ce qui n'empêche pas Le Monde de prétendre qu'à compter du 1er août 2025, "tous les foyers encore réfractaires au compteur Linky [dixit Le Monde] devront verser à Enedis 41,58 € par an plus 25,08 € si les usagers ne transmettent pas eux-mêmes leur relevé de consommation ou s’ils ne planifient pas un rendez-vous de relève".

Retenons pour notre part que

  • 1° la CRE doit obligatoirement prendre une délibération sur le sujet (qui n'existe pas actuellement !),
  • 2° une telle "sanction" du refus du Linky serait bénigne (3,46 € par mois) face aux contraintes qu'impose le Linky à ses heureux détenteurs (ondes, télécommande à distance de son installation par Enedis, surveillance, changement de prix instantané...) !

En effet, l'énergie est affublée d'une "redevance d’acheminement et de comptage" (TURPE [1] pour 25 à 30 %) et de taxes diverses (pour 20 à 25 %), soit plus de 50% du coût de l'énergie facturée.

Il est tentant pour un pouvoir aux abois (et qui ne veut surtout pas taxer les riches, ses sponsors) de ... taxer les pauvres, qui ont l'avantage d'être nombreux. Et c'est en plus assez indolore (une petite variation par ci...).

Comme le recommande le rapport ci-dessous, les fournisseurs d'électricité pourraient même profiter du déploiement du Linky pour passer à la tarification dynamique, soit le changement de tarif appliqué à tout moment en fonction de l'évolution du marché de l'énergie ! Le Linky est alors présenté comme outil de réglage à distance de son installation depuis son smartphone : on reçoit une alerte (notification) et on coupe le chauffage, l'eau chaude depuis sa voiture, son travail...

Un nouveau gouvernement, "pro-business", peut y penser...

Après celui de 2018, la Cour des comptes vient de publier un nouveau rapport sur le programme Linky. Certes, il ne faut pas attendre de la part de ce type d'instance une critique sociétale prenant en compte les oppositions contre le Linky (on reste entre technocrates !). Le rapport adresse donc son lot de statisfécits :

  • respect des délais dans le déploiement, sans envisager les poses forcées et les méthodes de voyous de certains poseurs, dépendants de sous-traitants mais cornaqués directement par Enedis.
  • maîtrise des coûts, sans envisager le formidable gaspillage du remplacement de 34 millions de compteurs "durables", pour des nouveaux fragiles et à la durée de vie très limitée : le coût total du programme s'établit à 4,6 milliards d'€, bien plus qu'un simple remplacement de compteurs en fin de vie...
  • dans "La levée des principaux obstacles au déploiement", cette Cour veut expédier "l’exposition aux ondes électromagnétiques" (l'ANFR et l'ANSES disent que "c'est au dessous des normes", alors...) et "la diminution des oppositions et contentieux (certes des procès gagnés, notamment par des victimes EHS, mais c'est "minoritaire"). Idem pour "la protection des données individuelles" ("le cadre étant jugé [par qui ?] suffisamment protecteur").

Certains points incidemment cités donnent cependant d'autres perspectives :

  • le parc de compteurs en France est de 37,7 millions. Le remplacement réel de 34 millions laisse donc 3,7 millions de foyers SANS LINKY (soit 10 % de refuzniks !)
  • il est rappelé que, suite à la directive européenne du 13 juillet 2009, chaque État-membre de l'UE pouvait renoncer à ce déploiement s’il estimait que son bilan économique était défavorable (par exemple si coût trop élevé des équipements pour une efficacité limitée). Quatorze pays sur 28 (Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Grèce, Hongrie, Lituanie, Irlande, Pologne, Portugal, Tchèquie, Slovaquie) ont décidé de ne pas déployer ces compteurs communicants pour tous, notamment l’Allemagne qui en a estimé le coût prohibitif. En France ? Pays sans doute trop riche, on ne se pose pas ce genre de question...

Mais, au delà, il faut s'interroger sur l'apport réel de ce programme pour le bien commun, et à qui profite-t-il vraiment ? Là, il faut lire entre les lignes :

  • le grand bénéficiaire est Enedis (qui, dans le projet Macron, devrait être privatisée). La Cour relève qu'Enedis a bénéficié d'un "FINANCEMENT FAVORABLE", dérogatoire à toutes les règles habituelles, à coup de "primes de performance" sur les poses (plus de 400 millions d'€ sur la période 2016-2022) et de "rémunération garantie" (à taux fixe de 7,25%).
  • pour les usagers-consommateurs, véritables financeurs de ce programme très coûteux, "un mécanisme de différé tarifaire" permet de planquer la hausse du TURPE [1]. La Cour rappelle qu'elle avait recommandé à la CRE en 2018 de faire évoluer ce dispositif pour en réduire le coût pour le consommateur, recommandation ignorée... A ce jour, le financement assuré par les consommateurs serait déjà de plus de 700 millions d'€...
  • surtout, Enedis - et le gouvernement - avaient vanté des avantages conséquents de ce déploiement des Linky que la Cour - très discrètement - infirme : prévision de gains sur la distribution d'énergie de 200 millions d'€ sur la période 2014-2034 ramenés à ... zéro ("à l'équilibre"). Pour les consommateurs, gain considérable attendu de 9,7 milliards d'€ (entre baisse de la consommation et "amélioration du marché de détail"). La Cour rappelle qu'en 2018 déjà elle estimait que "les gains attendus [...] étaient plus affirmés que démontrés". Le rapport 2024 (point 3.1.3 p.36) ... évite soigneusement tout chiffrage des résultats !
  • même pour les fraudes, supposées fortement diminuées grâce à l'usage des Linky, c'est l'inverse qui s'est produit : en 2023, Enedis a évalué son coût à 275 millions d'€ (en forte augmentation d'après le rapport et cette vidéo de TF1) ! Seul avantage du Linky : il permettrait de les identifier plus rapidement - sans vraiment aider à leur élimination.

Lien vers la vidéo en cliquant l'image

  • le seul gain est encore pour Enedis, par la télécommande à distance qu'il a instaurée grâce au Linky : en effet, cette société peut instantanément réduire la puissance délivrée à ceux qui rencontrent des difficultés pour payer (les précaires énergétiques qui, avant, bénéficiaient de la protection de la "trève hivernale"), ou à ceux qui ont la malchance d'être dans une zone en déficit de production d'électricité (voir communiqué sur les coupures ciblées d'électricité) !

[1] TURPE : Tarif d'Utilisation des Réseaux Publics d'Electricité