Un tribunal social de Lérida a accordé une incapacité totale permanente à un contremaître de chantier de 49 ans, initialement refusée par la Sécurité Sociale espagnole. Ce type de décision est aussi recherchée en France, mais aboutit le plus souvent à des reconnaissances - très - partielles des Maisons Départementales pour les Personnes Handicapées (MDPH). Ce cas espagnol - qui n'est pas le premier - mérite donc d'être examiné.
Le cas espagnol
Cet homme de 49 ans, habitant Lerida (Catalogne), contremaître de chantier pour une entreprise de construction, souffre d'une grave sensibilité électromagnétique et ne peut pas être en contact direct avec les ondes magnétiques (ordinateurs et téléphones portables...), ce qui provoque également le syndrome de fatigue chronique.
Dans un premier temps, il a déposé une réclamation auprès d'un tribunal médical dépendant de la Sécurité sociale, qui a refusé de le reconnaître comme invalide. Puis il s'est présenté devant ce tribunal social qui lui a finalement reconnu cette invalidité à 100%.
Dans sa sentence, le juge observe que "les rapports médicaux démontrent que les multiples pathologies dont il souffre non seulement le limitent fonctionnellement dans l'exercice de sa profession habituelle de contremaître de chantier, qui exige certains efforts, marcher et se tenir debout, compte tenu de sa faible tolérance aux efforts répétitifs, mais montrent également des limitations qui l'empêcheraient même d'effectuer un travail sédentaire et léger avec un minimum d'efficacité et de rendement, car elles l'affectent dans la sphère neurocognitive (mémoire épisodique et fonctions exécutives)."
Pour lui, ces pathologies "possiblement dues à un syndrome de sensibilisation centrale, à une sensibilité chimique multiple [
MCS pour Multiple chemical sensitivity, qui se manifeste souvent en même temps que l'électrohypersensibilité] et à une électrosensibilité" peuvent provoquent des maux de tête à la moindre exposition, et à leur tour provoquent des intolérances pharmacologiques.
Il conclut que "compte tenu des limitations fonctionnelles causées par les multiples pathologies dont souffre le plaignant, il se produit une situation qui le rend impossible à l'exercice de tout travail avec un minimum de continuité, de professionnalisme et d'efficacité, et par conséquent il doit être déclaré atteint d'une incapacité absolue permanente".
En Espagne, la Sociedad Española de Síndrome de Sensibilidad Central (SESSEC, ou Société Espagnole du Syndrome de Sensibilité Central), qui regroupe des médecins de différentes spécialités et des chercheurs, mène un travail de fond pour la reconnaissance de ces pathologies.
Elle déplore que ce trouble, dont les symptômes n'ont pas encore été définis comme une maladie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), ne bénéficie que d'une reconnaissance partielle et datée des instances européennes : le Parlement européen a adopté, le 2 avril 2009, une "résolution sur les préoccupations quant aux effets pour la santé des champs électromagnétiques" et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté le 27 mai 2011 la Résolution 1815 sur "le danger potentiel des champs électromagnétiques et leur effet sur l’environnement". Depuis, sous la pression des lobbys, plus rien ne bouge...
Et en France ?
Dans un article déjà ancien (2015), le CRIIREM énonce les démarches pour faire reconnaître son invalidité par les Maisons Départementales pour les Personnes Handicapées (MDPH). Il présente déjà un cas espagnol similaire (incapacité totale permanente).
Si l'étape du formulaire CERFA (13878*01) est maîtrisée, son traitement par les MDPH est plus aléatoire car celles-ci s'en tiennent souvent aux injonctions budgétaires d'économie...
Localement, le collectif Sail-santé-environnement a pu obtenir des interventions hors normes (comme le "blindage" d'un appartement, sujet connexe) après un très long travail en direction de certains élu.es. Le même a aussi inspiré à son corps défendant l'initiative plus controversée du dépôt d'une proposition de loi visant à reconnaître l'électrosensibilité (sans aucun débouché à ce stade alors qu'elle a été déposée en septembre 2023). L'association Robin des toits a pu relayer d'autres décisions favorables, par exemple dans le sud-ouest.
Il reste que la disparition des tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) , créés en 1985 et supprimés par la "loi de modernisation de la justice" due à Macron en 2018, ramènent à de simples décisions administratives des affaires qui pouvaient être tranchées de manière plus favorable par ces tribunaux spécialisés et plus éclairés. Leurs remplaçants (les tribunaux judiciaires, non spécialisés) sont moins aptes à se saisir de ce type de question ("contentieux médical/non médical de la sécurité sociale"). Certains cas passent cependant ces barrages comme celui traité par la Cour d'Appel de Poitiers en février 2024. D'autres encore passent par le Défenseur des droits (04/2019).