La région Auvergne-Rhône-Alpes continue de promouvoir les technologies sécuritaires les plus liberticides de France, enrichissant le catalogue de son ex-président (toujours "conseiller spécial"), L. Wauquiez. Au détriment de ses habitants...
Article tiré du site Médiacités.
L’opération a été savamment orchestrée, le jour de la rentrée scolaire. Ce lundi matin, les élèves du lycée Charles Mérieux, dans le 7e arrondissement de Lyon, ont été accueillis par des scanners corporels installés sous des barnums aux couleurs de la région Auvergne‐Rhône‐Alpes. Ces appareils, similaires à ceux utilisés dans les aéroports, permettent de détecter les métaux – et donc des couteaux ou d’autres armes – dissimulés dans les vêtements ou les sacs à dos des élèves. L’organisation d’un contrôle de ce genre est une première en France, ces dispositifs étant normalement interdits dans les établissements scolaires.
"Pourquoi pourrions‐nous protéger un aéroport et ne pas protéger ce que nous avons, chaque famille, de plus cher à notre cœur, c’est‐à‐dire nos enfants, c’est‐à‐dire le système éducatif français ?", a déclaré Fabrice Pannekoucke, le président de la Région qui a remplacé Laurent Wauquiez après son élection comme député l’année dernière, venu sur place endosser l’héritage de son mentor. Cette mise en scène fait suite à l’attaque au couteau en avril dernier dans un lycée à Nantes, au cours de laquelle une adolescente avait été tuée, suivie du meurtre d’une surveillante devant un collège de Nogent au mois de juin.
Une "dérive sécuritaire"
Sur place, le côté salle d’embarquement d’aéroport ne semble pas avoir convaincu tout le monde. "Ça n’a absolument aucun sens. Je pense que c’est une perte de temps et d’argent tout simplement", s’énervait par exemple une lycéenne interviewée par BFM Lyon.
"La Région a des facilités à envoyer des sous dans ces projets que ni les familles ni les enseignants ne demandent, alors que ces fonds pourraient être utilisés pour rénover nos bâtiments, par exemple pour faire face aux canicules", regrette de son côté Sandra Buteau‐Besle, présidente de l’association de parents d’élèves FCPE Rhône et métropole de Lyon, jointe par Mediacités. "Nous estimons que c’est le lien humain avec les élèves qui doit primer, la présence de l’adulte. Or, ces portiques ne sont pas déployés en complément, mais en remplacement de la présence humaine", estime‐t‐elle.
Dans un communiqué, le syndicat enseignant Snes‐FSU a dénoncé un "coup de com" mené le jour de la rentrée. "L’école n’est pas un sanctuaire. Les débats et la violence qui traversent la société l’affectent aussi", mais "les dérives sécuritaires ne sont en aucun cas de bonnes réponses", soutient le syndicat, qui se dit convaincu "que des moyens humains renforcés avec des équipes pluri‐professionnelles formées seront plus efficaces que les technologies clinquantes et non moins coûteuses exhibées par la Région".
Cette opération, présentée comme une "expérimentation", n’est pas une surprise. En juin, l’assemblée plénière de la Région avait adopté un vœu pour réclamer au gouvernement un assouplissement de la loi pour étendre l’usage de ces scanners corporels aux établissements scolaires. Pour le moment, ces dispositifs sont limités aux événements sportifs ou culturels de plus de 300 spectateurs.
Dans sa délibération, la collectivité formulait aussi le souhait d’une "adaptation législative autorisant le déploiement de la vidéosurveillance algorithmique dans et aux abords des lycées", une évolution déjà réclamée en mars 2024. Cette technologie, qui permet d’analyser automatiquement le contenu des images, est pourtant très critiquée pour son manque d’efficacité et son utilisation peu transparente par les pouvoir publics, comme cela a été le cas à Lille.
"Il faut maintenant aller plus loin", a estimé Fabrice Pannekoucke. Le nouveau patron de la Région veut déployer des scanners à ondes millimétriques qui permettent une détection plus "totale" selon lui, notamment des lames en céramique qui échappent aux détecteurs classiques.
272 lycées équipés de portiques
Depuis l’arrivée de la droite au pouvoir en 2016, la Région a déjà minutieusement claquemuré les lycées en installant des tourniquets franchissables uniquement avec un badge électronique, les fameux "portiques Wauquiez". Fin 2023, ces équipements, qui ralentissent parfois considérablement le flux d’entrée des élèves, avaient été installés dans 272 lycées sur les 305 que compte le territoire. La collectivité revendique avoir dépensé plus de 100 millions d’euros depuis 2016 pour "sécuriser" les établissements. Motivée à l’époque notamment par la lutte contre "le terrorisme", "le trafic de drogue" et – déjà – "l’intrusion d’armes à feu", leur installation avait suscité de fortes réticences dans les conseils d’administration des lycées.
Ces investissements massifs répondent‐ils à une hausse réelle des menaces ? Si l’on observe la société dans son ensemble, la délinquance des mineurs a tendance à diminuer, mais les actes les plus violents – et les plus médiatisés – sont en hausse, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Le nombre d’adolescents poursuivis pour assassinat, meurtre, coups mortels ou violence aggravée a presque doublé entre 2017 et 2023, passant de 1 207 à 2 095 en 2023. Mais qu’en est‐il dans les lycées, qui relèvent de la compétence de la Région ?
Des armes peu nombreuses
Les enquêtes Sivis publiées chaque année par le ministère de l’Education nationale permettent d’avoir un aperçu de la violence dans les établissements. Selon la dernière note d’information sortie en mai dernier, le nombre d’incidents graves signalés dans les lycées est en très légère hausse ces dernières années : en moyenne, les lycées généralistes et polyvalents ont enregistré 6 incidents graves pour 1000 élèves en 2023–2024, soit un de plus que l’année précédente. Dans les lycées professionnels, ce taux est bien plus élevé, avec 23 incidents pour 1000 élèves en moyenne (contre 20 l’année précédente).
Mais l’usage d’armes, invoqué pour légitimer l’usage des portiques, est loin d’être un phénomène massif. Dans les lycées, les violences verbales représentent 46 % des signalements, suivis par les violences physiques (24 %). La catégorie "port d’arme blanche ou d’objet dangereux (sans violence)" représente quant à elle 4 % des signalements. Par ailleurs, l’étude montre que 12 % des incidents graves signalés dans les collèges et les lycées sont motivés par le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie ou l’homophobie.
Au‐delà des chiffres, le port d’armes blanches dans des établissements ne semble pas spécialement nouveau et les données manquent pour dire si le phénomène est en augmentation, comme le relevait France info au printemps dernier. Le site de la radio publique rappelait que le port d’arme ne s’accompagne pas toujours d’une intention de s’en servir ou d’attaquer quelqu’un, les élèves pouvant agir par vantardise, suivre un effet de mode, ou dans une optique de défense.
L’opération médiatique éclair de la Région – les tentes avaient déjà disparu l’après‐midi même – rappelle surtout que le sujet de la sécurité dans les écoles est devenu un enjeu politique. En juillet, un décret de la ministre de l’Education nationale Elisabeth Borne a rendu obligatoire la saisine du conseil de discipline par le chef d’établissement lorsqu’un élève se trouve en possession d’une arme blanche ou en introduit une dans l’établissement. Jusqu’à présent, l’ampleur des sanctions était laissée à l’appréciation des proviseurs.
