Ci-dessous excellent article de Médiapart sur l'utilisation par la police macronienne des drones ce 10 septembre. Le journaliste a fait les mêmes vérifications pour les manifs du 18 septembre, avec les mêmes constats...
La quasi-totalité des villes ou zones rurales potentiellement concernées par la mobilisation du mercredi 10 septembre ont fait l’objet d’autorisations de surveillance par drones, publiées souvent à la dernière minute par les préfets. Seules quelques-unes ont été annulées.
C’est dans une France en grande partie couverte par la surveillance aéroportée des drones que se déroulera la journée de mobilisation du mercredi 10 septembre, et ce malgré une bataille juridique d’ampleur menée par des juristes devant les tribunaux pour tenter d’éviter leur déploiement.
Selon un décompte arrêté mardi 9 septembre en milieu de soirée, et encore temporaire, plus d’une cinquantaine d’arrêtés d’autorisation de déploiement de "caméras installées sur des aéronefs", certains couvrant parfois des départements entiers.
Blocage du viaduc de Calix dans le cadre du mouvement de protestation "Bloquons tout" à Caen, le 10 septembre 2025. © Photo Lou Benoist / AFP
Paris sera ainsi surveillée par dix drones, et l’ensemble de l’Île-de-France par hélicoptère, détaille Serge Slama, secrétaire général de l’Association de défense des libertés constitutionnelles (Adelico) et professeur de droit public à l’université de Grenoble, dans une note qui égraine la liste des zones visées : Lyon, Toulouse, Nantes, Bordeaux, Strasbourg, Montpellier, Nice, Saint-Étienne…
Ampleur inédite
Quasiment aucune agglomération n’échappera à la surveillance aérienne de la police. Et de nouveaux arrêtés étaient encore publiés au moment de l’écriture de cet article, dans la soirée de mardi. "On se rend compte que les drones sont déployés dans toutes les grandes villes, mais également dans des villes moins grandes et en zones rurales, même dans des zones réputées tranquilles", analyse Me Vincent Souty, avocat au barreau de Rouen et membre du Syndicat des avocats de France (SAF).
"Le recours aux drones est devenu systématique, un réflexe, poursuit-il. Une consœur qui a plaidé à Caen faisait remarquer à juste titre que le ministre de l’intérieur a annoncé 80 000 forces de l’ordre alors qu’environ 100 000 manifestants sont attendus. Soit presque un policier par manifestant. Et pourtant, ils déploient quand même des drones et à peu près partout sur le territoire."
Un collectif de défenseurs des libertés publiques a pourtant essayé de contrer ce déploiement massif de drones d’une ampleur inédite. Au total, plus d’une cinquantaine d’arrêtés avaient été repérés, mardi en milieu de soirée, grâce à La Quadrature du Net et à son outil de recherche d’arrêtés préfectoraux, Attrap’Surveillance.
Ils ont été en partie listés et accompagnés de cartes permettant de visualiser la zone surveillée, sur le compte Mastodon de Bastien Le Querrec, juriste à la Quadrature du Net, qui propose même une carte des départements concernés par les autorisations (en vert).
Les arrêtés repérés par la Quadrature ont parallèlement été analysés par des juristes de l’Adelico, du SAF et du Syndicat de la magistrature (SM), pour y repérer d’éventuelles failles juridiques.
"Nous n’avons pas visé toutes les préfectures, car ça serait fastidieux et nous n’aurions pas les moyens, explique à Mediapart Serge Slama. Il y a des arrêtés pratiquement partout mais nous n’en avons ciblé qu’un certain nombre, et tout d’abord dans les préfectures où nous avons quelqu’un localement disponible pour intervenir, les avocats du SAF notamment."
Car le déploiement de drones, même s’il est devenu un outil habituel du maintien de l’ordre, doit tout de même répondre à certaines conditions. "Le premier principe est celui de la subsidiarité, détaille Serge Slama. La police ne peut utiliser un aéronef muni de caméras que s’il n’y a pas d’autre moyen de surveiller efficacement. Ensuite, le juge doit appliquer le triple test : est-ce nécessaire ? est-ce adapté ? et est-ce proportionné ?"
Un arrêté annulé à Lyon dès le 8 septembre
Ainsi, vendredi dernier, la préfète du Rhône avait pris un arrêté autorisant le déploiement de drones le lundi 8 septembre à Lyon pour surveiller un rassemblement célébrant le rejet de la motion confiance de François Bayrou. Une décision annulée par le tribunal administratif de la ville le jour même de la manifestation.
"Le magistrat a considéré que, par rapport à l’ampleur de la manifestation envisagée et le lieu, il y avait d’autres moyens pour les policiers de surveiller la place notamment avec les caméras qui sont déjà sur place, explique Serge Slama. De plus, la surveillance du centre devait durer pendant quasiment quatre jours. On peut donc imaginer que, en revanche, un arrêté qui serait beaucoup plus ciblé, en termes d’amplitude géographique et d’horaires, aurait pu passer."
Le 24 juin dernier, l’Adelico a par ailleurs obtenu devant le tribunal administratif de Paris une victoire ouvrant la voie à la reconnaissance d’un autre fondement par la jurisprudence.
L’un des avocats de l’association, Me Jean-Baptiste Soufron, a en effet invoqué, pour demander au tribunal administratif de Paris l’annulation d’un arrêté autorisant la surveillance d’une manifestation de pompiers, le droit des données personnelles encadré par le règlement général de protection des données personnelles (RGPD) et la directive européenne dite "police justice".
"Ces textes sont très exigeants en matière de subsidiarité et de minimisation de la collecte des données, détaille Serge Slama. Or, lorsque les drones filment des pompiers manifestants, ce sont des données très sensibles car la plupart sont syndiqués. On peut estimer que les drones permettent de recueillir l’opinion politique des gens en les filmant."
Le tribunal administratif de Paris a accepté cette analyse dans sa décision. "Le ministère a fait appel donc, pour l’instant, on ne sait pas si la jurisprudence va être maintenue, tempère Serge Slama. Mais si c’est le cas, cela sera très intéressant dans le cadre de mobilisations telles que celle du 10 septembre."
Les manœuvres dilatoires des préfets
Concernant la trentaine de recours en référé déposés par le collectif, il était impossible, mardi en milieu de soirée, de tirer un bilan. Après la victoire à Lyon, des tribunaux administratifs ont annulé quelques arrêtés, notamment sur l’ensemble du département de l’Orne et à Pau. D’autres recours ont été rejetés, comme à Toulouse ou Saint-Étienne.
Mais de nombreuses décisions étaient en effet encore attendues et certains arrêtés continuaient même d’être découverts. Car les juristes doivent en outre composer avec la roublardise de plus en plus assumée des préfectures qui multiplient les stratégies visant à gêner, voire à rendre impossibles les recours.
La principale consiste à déposer au plus tard les arrêtés, si possible en s’inspirant de décisions déjà rendues. Après l’annulation de l’arrêté visant le rassemblement du 8 septembre, la préfecture de Lyon a ainsi d’elle-même retiré trois arrêtés prévus pour le mercredi 10 septembre… avant d’en publier trois nouveaux mardi 9 septembre dans l’après-midi.
De nombreuses préfectures ont attendu la fin d’après-midi, voire la soirée, pour publier des arrêtés entrant en vigueur le lendemain matin, rendant ainsi quasi impossible les recours. "Les préfectures jouent clairement avec la procédure pour éviter le contrôle juridictionnel, et c’est une pratique totalement déloyale", s’indigne Me Vincent Souty. L’avocat explique avoir même pu horodater des fichiers PDF publiés mardi soir, alors qu’ils étaient prêts depuis la veille.
"Le mouvement du 10 septembre est annoncé depuis trois mois, poursuit-il. La semaine dernière avait fuité dans la presse une note des renseignements un peu catastrophique. Ce qui veut dire qu’ils avaient des remontées d’informations et que cela fait plusieurs semaines que les préfectures sont au courant de la situation. Lorsque l’on publie ainsi des arrêtés au dernier moment, c’est qu’il y a clairement une volonté d’empêcher tout recours effectif. Ce qui est un grave problème de libertés fondamentales."
Le même journaliste de Médiapart a procédé aux vérifications des arrêtés préfectoraux pour les manifs du 18 septembre dans l'article Surveillance des manifestations : les drones passent en force, notamment en utilisant l'outil développé par La Quadrature du Net, Attrap’Surveillance.
Il constate la même pratique des préfectures, étendue à la France entière : 1e arrêté contesté et recalé en tribunal adminstratif, suivi d'un quasi identique déposé à l'heure de la manif que le tribunal laisse passer car il n'a plus le temps de l'examiner...
Des méthodes de délinquant !
