Pronote : flicage des collégiens et lycéens ... et de leurs profs


Ce logiciel de suivi des élèves en collège et lycée s’est imposé lors des confinements comme "indispensable" pour les relations avec les parents ou pour la gestion des établissements. Pourtant il change radicalement le suivi éducatif en augmentant la pression sur les élèves, il accroît les tensions entre parents et enseignant.es, et met l’ensemble du système scolaire sous la dépendance d’un opérateur privé.

Index Education, qui commercialise l’application Pronote, a été créée en 1999, d’abord autour du logiciel EDT (qui sert à la conception des emplois du temps). C’est à la demande de certains établissements qu’elle a ensuite conçu Pronote pour gérer l’ensemble des relations de suivi des élèves et de lien avec les familles. Ce logiciel fait l’objet d’un abonnement annuel payé par l’établissement selon son nombre d’élèves, les prestations attendues…

En 2020, cette entreprise privée a été rachetée par Docaposte, qui dépend du groupe La Poste, et a ouvert son capital au Crédit Mutuel. L’application Pronote est aujourd'hui utilisée dans 75% des collèges et des lycées (ce qui lui donne un quasi monopole), soit dans 8 500 établissements sur près de 11 400 en France, et peut enregistrer jusqu'à 20 millions de connexions par jour.

Ce chiffre a même explosé au moment des confinements (près de trois fois plus de connexions) car l’application y a ajouté partages de cours ou création de QCM en ligne, devenant l’un des principaux liens avec les familles. "Les outils numériques ont pris une place complètement démesurée, commente un enseignant, les élèves ont été contraints de s’en servir. Ceux qui n’y avaient pas accès se sont retrouvés exclus d’une partie de l’enseignement et de la communication."

Il n’y a "pas de législation particulière sur les données scolaires", l’Éducation nationale a juste produit en septembre 2018 un code de conduite précisant l’application du RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données).

Actuellement, les données collectées (absences, emplois du temps des élèves et des enseignants, notes, bulletins, sanctions, cahiers de texte, messages, rendez-vous avec les parents…) sont stockées par l'établissement, ou dans le data center d’Index Éducation à Marseille.

Mais, dans le futur, elle peut choisir de confier ces données à un groupe international plus puissant (par exemple – comme pour Doctolib - chez Amazon, qui gère 70 % des serveurs mondiaux), ce qui reviendrait à en donner l’accès aux autorités américaines en vertu du Cloud Act. Ou être rachetée par l’une des Big Tech US car, pour ces firmes, les données collectées représentent de l'or !

La pratique actuelle de l’entreprise ne donne pas plus de garanties sur la confidentialité des données : les données du logiciel EDT ne sont aujourd’hui accessibles, gratuitement, que depuis le logiciel Pronote, forçant ses clients à acheter toute la suite logiciel de l’entreprise. Par ailleurs, une note interne de la Direction au numérique pour l’éducation (DNE) mentionnait, en 2017, qu’Index Éducation refusait d’exporter les emplois du temps (élaborés par EDT) et les données s’y rattachant "pour éviter d’alimenter les concurrents".

Ses données sont aussi "mises à disposition" – facturées ? – du ministère pour des études statistiques (certes anonymisées, ce transfert étant contrôlé par la CNIL, les deux n'étant pas vraiment une garantie !). En 2018, un rapport de l’inspection générale s’en inquiétait : "Pronote a une connaissance statistique plus fine des établissements que l’Éducation nationale elle-même. Par exemple : statistiques par académie et par type d’établissement sur le nombre d’élèves et de professeurs absents, le nombre d’élèves ayant été exclus de cours, le nombre d’heures professeurs par élève…". "Ces statistiques « de nature stratégique », pourraient donner à ces sociétés des avantages concurrentiels dans le développement futur de services pour l’éducation, renforçant par là même la dépendance de l’institution à leur égard."

Par exemple, la réforme du lycée "ne serait pas tenable sans Pronote". Depuis sa mise en œuvre à la rentrée 2019, les filières ont disparu au profit de spécialités et d’options. Dans certains établissements, il peut exister une centaine de combinaisons possibles. Les élèves d’une même classe ont rarement cours ensemble, les enseignants font face à des lycéens de classes différentes en fonction des spécialités et des options qu’ils ont choisies. Pronote permet de gérer cette complexité administrative...

Pour un observateur, un arrêt de ses activités pourrait entraîner "l’impossibilité d’assurer une rentrée scolaire normale". Un rapport de la Cour des comptes épinglait en 2019, la "quasi-dépendance du ministère de l’éducation nationale s’agissant des logiciels de gestion de la vie scolaire" et recommandait à la puissance publique d’en "reprendre [la] maîtrise.

Ceux-ci peuvent désormais consulter les notes de leurs enfants en quelques clics, accéder aux corrections, vérifier leur emploi de temps, être prévenu.es des absences et retards de leurs enfants (voire des circonstances d'un incident) et de l’absence d'un.e enseignant.e. Pour certaines classes, des fils de discussion avec l’équipe pédagogique sont ouverts pour partager les informations, et bien sûr des notifications arrivent pour chaque information générée sur le smartphone des parents...

Comme le souligne une psychologue, la relative opacité de ce que vivait auparavant l’adolescent.e dans l’établissement lui permettait de s’autonomiser vis à vis de ses parents, de se construire. Il est désormais pisté, ses parents sont même prévenus avant que les copies aient été rendues, empêchant aussi la relation pédagogique d’explication, la prise en compte d’une progression...

Cela déresponsabilise l’élève : "apprendre à assumer l’annonce d’une mauvaise note, c’est aussi un apprentissage." Symétriquement, un parent très connecté "n’a plus besoin de faire confiance à son enfant".

Par ailleurs, c’est pour les parents (surtout les mères) une nouvelle charge mentale (d'après l'enquête L’école du like. Les nouvelles relations école-famille à l’ère du virtuel, septembre 2024). Ils se sentent tenus de montrer qu’ils s'investissent dans l'éducation de leur enfant.

Une CPE relève que ces systèmes automatisés peuvent avoir des bugs. "Une année, des courriers générés automatiquement par Pronote sont partis par erreur". Et que l’utilisation de ce logiciel s’avère "chronophage au détriment d’une relation physique". Pour elle, "ce n’est pas un outil qui garantit la qualité de la communication" mais qui, au contraire, dramatise inutilement chaque "faute". 

Plus globalement, cela induit une relation pédagogique uniquement centrée sur la performance individuelle (pour chaque devoir rendu est mentionné la note la plus haute, la plus basse, la moyenne), un onglet "profil" permet même d’évaluer quotidiennement la performance scolaire de l’enfant via des graphes et des histogrammes… Chaque parent est donc placé dans l’obligation de pousser son enfant, avec de grosses disparités sociales. Ceux des parents qui se débrouillaient bien dans la relation avec l’école sont à l’aise avec ces applications. Ceux plus en retrait par rapport à leur origine sociale, à la maîtrise des codes sociaux, ont plus de mal (sans parler de la langue).

Certaines informations annexes privilégient des activités plus ludiques, de l’ordre de l’épanouissement, de l’ouverture culturelle, lesquelles renvoient à une conception bourgeoise de l’éducation, à l’attention pour son bien-être. Là aussi au détriment des parents les moins aisés.

Cela installe donc les parents dans une logique de consommation, où ils vont demander des comptes à l’école, aux enseignant.es. Certains parents refusent ces logiques éducatives imposées et les risques sur les données collectées de leurs enfants, voire sur les leurs. Ils dénoncent aussi l'addiction générée par cette application qui envenime les relations avec leur enfant.

Deux appels les rassemblent :

- Pour un droit à une Scolarité Libre de Numérique, lien vers leur Lettre ouverte

- celui du COllectif de Lutte contre l'Invasion Numérique de l'Ecole (CoLINE) : collectif plus présent dans le 1e degré mais qui a des correspondants locaux, leur Appel

Sam, un collégien en 5e : "quand tu rentres en cours, le prof fait l’appel sur son ordi et un projecteur montre un tableau avec le nom des élèves et les colonnes des observations, retards, exclusions… Du coup on voit tous ce qui est noté pour tout le monde. On a l’impression d’être fliqué par le collège, c’est comme s’il savait tout à l’avance. Comme si on voulait nous foutre tous dans le même moule ! "

Toujours Sam, fin limier : "Pronote se rappelle des vieilles choses. Par exemple, t’es à la fin de l’année et les heures de colle et observations du premier trimestre sont encore inscrites." On a même accès aux données de l’année précédente. Certain.es réclament un droit à l’oubli, qui existe dans le RGPD (article 17, droit à l'effacement), mais n'est donc pas respecté vis à vis de ces adolescent.es.

Par ailleurs, que fait-on de la part du secret à l’école, interroge un militant au Planning familial, enseignant qui a plusieurs fois accompagné des élèves de son établissement à l’hôpital pour un avortement ? Depuis 2001, la loi Aubry-Guigou permet aux mineures d’avoir accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) sans autorisation parentale. La jeune fille doit toutefois être accompagnée d’un adulte référent de son choix. Cet enseignant a joué ce rôle à plusieurs reprises. L’adolescente concernée était absente une demi-journée du lycée. Le chef d’établissement, seul autre membre de la communauté éducative à être au courant, se rendait simplement à la vie scolaire pour retirer son carton d’absence. "Aujourd’hui, nous n’avons plus ces marges de manœuvre. L’informatique nous met en difficulté".

Pronote a souvent pour effet de tendre la relation entre les enseignants, les élèves et leurs parents, en contribuant à faire de l’immédiateté la norme. C’est cette élève à peine sortie de sa classe qui s’étonne de ne pas encore trouver sur la plate-forme le document promis en cours. Ce sont ces parents qui demandent une explication pour une mauvaise note, le vendredi à 21 heures. Une professeure : "Avant, l’élève était au centre de la relation parents-professeur. Les élèves voyaient les mots dans le carnet de correspondance. Aujourd’hui, ils sont court-circuitésinfantilisés et mis sous pression".

Les enseignants sont nombreux à relever l’augmentation des tâches administratives que génère Pronote. Y décrire le contenu du cours effectué importe désormais presque autant que la réalisation du travail en elle-même. C’est désormais largement sur ce travail administratif que repose l'évaluation par les inspecteur.trices.

Pronote contribue aussi à isoler les enseignant.es et à mordre sur leurs temps privés. Aujourd’hui, chacun.e remplit toutes ses tâches administratives, d'évaluation... de chez lui, sans aucun échange avec ses collègues, et doit répondre aux sollicitations de l'administration, des élèves et de leurs parents directement, sans concertation. Sans réponse collective non plus : il n'y a pas de discussions syndicales ou au sein des établissements sur une possible désactivation de la messagerie interne de Pronote, par exemple après 20 heures et les week-ends. Le droit à la déconnexion ne touche pas les enseignants, même s'il existe dans certains - petits - collèges un boycott de fait en n’y saisissant que le strict minimum.

Autre temps : Base élèves, une application informatique qui conduisait au fichage des élèves, utilisée à partir de 2007 en maternelle et élémentaire, a été très fortement contestée (grèves, blocages divers, et sanctions lourdes en retour). Finalement, le ministère a supprimé des données relatives à la nationalité et à la culture d’origine par exemple. Cette sensibilité collective semble en sommeil.

Du côté syndical, les visions sont plus du côté de l'organisation générale de l'informatique à l'école, et de la nécessité de garder sa souveraineté face à l'offensive des GAFAM : pour le SNES-FSU, cela passerait par la création d’un vrai service public du numérique de l’enseignement, et donc par la nationalisation et la gratuité pour les établissements du logiciel. Pour Sud Éducation, par la mise en place d'une solution centralisée pour toutes les écoles, relevant du libre.

En cela, il rejoint la position d'une activiste barcelonaise de l’association Xnet qui veut mettre la pression sur les États et l’Union européenne pour une plateforme européenne libre pour la numérisation de l’éducation. "Pour nous, c’est immoral que la numérisation de l’éducation et de l’administration en général se fasse par des moyens qui ne garantissent pas la souveraineté des données des citoyens."

Mais cette approche ignore les menaces que le numérique fait peser sur les libertés des individus (élèves, profs et même parents) et sur une vision éducative qui voudrait promouvoir l'émancipation.

Pronote semble surtout servir à banaliser la gestion informatique de la vie et le fichage des individus par sa batterie de mouchards, véritables jalons d’une philosophie orwellienne à l’œuvre dans toute la société.

Le logiciel Pronote banalise la surveillance informatique des enfants (Reporterre)

Dans les lycées et les collèges, la vie scolaire sous Pronote (Le Monde diplomatique)

Profs, parents d’élèves et activistes se bougent pour libérer l’école de l’emprise de Google et Microsoft (site Basta!)

Dans l’Education nationale, le confinement révèle un numérique noyauté par le privé (Médiapart)

"L’école du like" : le numérique change-t-il la place des parents d’élèves ? (The Conversation)

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