Droit à la déconnexion : sortir de la com pour un vrai respect de la vie personnelle

L'Australie, dirigée par un gouvernement travailliste, applique depuis le 26 août 2024 un "droit à la déconnexion" pour les moyennes et grandes entreprises (celles de moins de 15 salariés ont un an de plus pour l'appliquer). Celle-ci intervient après son application en Espagne (2018), Portugal et Italie (2021), Belgique et Croatie (2022), Luxembourg (2023), Slovaquie et Grèce ... et en France dès 2017 !

Il a pour objectif de respecter les temps de repos et de congé, de préserver la vie personnelle et familiale du salarié.

On ne parle cependant pas de la même chose :

  • en France, la loi qui l'a promu le 10 mai 2016 a eu lieu sans vote des députés, selon la procédure du 49-3, dans le cadre de la loi El Khomri (à la fin du Hollando-Vallsisme).
  • cette loi sur le droit à la déconnexion (article L. 2242-17 du code du travail) ne prévoit aucune mesure concrète pour assurer l’effectivité de ce droit. C’est à l’employeur de mettre en place les mesures appropriées et d’organiser d'"éventuelles" négociations.
  • la France en exclut la fonction publique (!!) et le réserve aux entreprises de plus de 50 salariés. Il fait partie des sujets à aborder obligatoirement dans la négociation annuelle, sous peine d’amende (modeste cependant : 1 an d’emprisonnement et 3 750 € maxi...). Mais l'absence d'un accord pour sa mise en oeuvre n'est pas sanctionnable, l’employeur pouvant se contenter d'une "charte de bonnes pratiques" soumise à un simple avis du comité social et économique.
  • si l'employeur a des obligations minimales, il peut par contre se servir de sanctions et interdictions listées dans la charte pour sanctionner les salariés ! La charte doit alors être annexée au règlement intérieur de l’entreprise, communiquée à l’inspecteur du travail et au conseil des prud’hommes...

En Belgique par exemple, les employeurs ne peuvent pas exiger que les travailleurs répondent aux sollicitations professionnelles (par mails, WhatsApp, SMS ou appels téléphoniques) en dehors des heures de travail, sauf si nécessité absolue. Cette obligation légale doit figurer dans une convention collective de travail ou dans le "règlement de travail", donc dans des textes contraignants.

En France, de la com sans réelle portée juridique

Une avocate, Michèle Bauer, en tire 5 ans après un bilan plus que dubitatif. Pour elle, ce droit aurait toute sa place pour lutter contre les risques psychosociaux tel que le burn-out, souvent dû à une connexion permanente et déraisonnable par téléphone, mail, internet et visioconférence.

Ce phénomène a bien sûr explosé avec le télétravail, mais peut aussi se constater dans beaucoup d'emplois de télémarketing, télé-assistance et autres tâches "uberisées". Ou dans des activités plus classiques, d'enseignement par exemple sous "pronote"...

Pour elle, la loi n’impose aucune contrainte pour les employeurs, sanctionnées que pour ne pas avoir mener les négociations sur la qualité de vie au travail dans son ensemble (sans que l'objet précis de la déconnexion soit sanctionnable).

Dans les faits, son examen de décisions de Cours d’appel (exemples cités à Agen, Riom, Nancy) montre une certaine sévérité ... vis à vis des employé·es soupçonné·es de ne pas fournir de preuves du non-respect par l'employeur de ce droit à la déconnexion !

Ainsi, si le salarié se connecte sans cesse, en toute conscience professionnelle, l’employeur qui a mis en place une charte de déconnexion argumentera en disant "c’est de la faute du salarié", sans plus de contradiction de la part du tribunal.

L'avocate souhaiterait que les juridictions s’inspirent de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la preuve des heures supplémentaires pour faciliter la preuve du salarié de ce non-respect qui a mis sa santé en danger ou l’a rendu malade.

Une étude française menée en 2018 (L’impact des outils numériques professionnels sur les salariés français) concluait à l'époque que 41 % des entreprises n’avaient mis en place aucune action en matière de droit à la déconnexion, et que 23 % avaient diffusé des chartes de bonnes pratiques sur l’usage des mails.

La même étude mentionnait que 75 % des salariés utilisent les outils numériques plus de 3 h par jour, et 43 % plus de 6 h par jour. 47 % utilisent les outils numériques professionnels le soir après le travail (68 % pour les managers et 66 % pour les 18-29 ans), 45 % le week-end, 35 % pendant les congés (53 % pour les managers).

Une étude internationale en février 2024, de l’Eurofound, tente de faire une synthèse de la prise en compte de ce "droit à la déconnexion" en Europe puisque plusieurs États ont légiféré face à l’essor du télétravail et des modes de travail flexibles accélérés par la pandémie covid. Son enquête s'est limitée à quatre pays : Belgique, France, Italie et Espagne.

Seulement 44% des salariés interrogés étaient informés d'un tel droit appliqué ans leur entreprise, 20 % se déclarant non concernés car ce droit se limitait à des services spécifiques ou aux personnes en télétravail.

Pour ceux réellement concernés, les actions les plus courantes sont la suppression des emails pendant les vacances et l'arrêt de l’envoi des emails professionnels à certaines heures. Des actions de formation ou de sensibilisation sont aussi mentionnées.

Concernant les heures supplémentaires, 40 % indiquent que leurs employeurs ont pris des mesures pour les limiter (55 % dans celles qui appliquent le droit à la déconnexion). Pour ces derniers, la satisfaction au travail est le double de celle des autres travailleurs, et ils mentionnent un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée (92 %, contre 80 %). Les mesures mises en place sont notamment des vérifications régulières pour garantir que la charge de travail est proportionnelle aux heures de travail (31 %), la mise en œuvre de processus pour garantir une collaboration fluide entre les équipes (28 %) et l’organisation de formations (27 %)...

Pour de vraies limitations à l'obligation de connexion

D'autres décisions plus volontaristes des employeurs peuvent exister, comme celle du groupe Volkswagen (en France, en Europe ?) qui a décidé de couper l'accès à ses serveurs entre 18 h 15 et 7 h le lendemain matin (d'après l'avocate Marianne Lecot).

Au delà, il faut déplorer une approche très limitée de ce droit à la déconnexion : pour nous, tout·e salarié·e (ou usager) devrait pouvoir carrément refuser d'être surveillé ou soumis au rythme de ces outils numériques, voire refuser que son activité soit soumise à un système automatisé type "intelligence artificielle", comme le prévoit l'article 22 du RGPD (Réglement général pour la protection des données), applicable dans toute l'UE depuis 2018.

Il est aussi à constater que si des efforts - limités - sont faits, principalement pour des cadres ou des chercheurs, ceux dont le rythme de travail est entièrement asservi par l'usage du numérique (tels les employés en télétravail fliqués par des logiciels de surveillance, voire les travailleurs du clic payés à la micro-tâche...) ne font l'objet d'aucune protection. Leur vie personnelle est pourtant fortement impactée, sans respecter la coupure avec le professionnel et au mépris de droits gagnés dans des luttes historiques (comme celles contre le travail rémunéré à la tâche). Voir par exemple le documentaire Travail à la demande ou les travaux du sociologue Antonio Casilli sur les travailleurs du clic.

D'autres combats d'ampleur devront être menés...

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