Droit à la déconnexion en Belgique depuis le 1e avril 2023

Le 1e avril, la Belgique s'est dotée d'un droit à la déconnexion pour les entreprises de plus de 20 salariés. Or la France avait innové dès 2017 sur le sujet en l'inscrivant comme "principe" dans son code du travail. C'est donc l'occasion d'un bilan et de perspectives à envisager en la matière.

Dans l'exemple belge, le droit à la déconnexion devient obligatoire dans les entreprises employant au moins 20 personnes. Les employeurs ne peuvent pas exiger que les travailleurs répondent aux sollicitations professionnelles (par mails, WhatsApp, SMS ou appels téléphoniques) en dehors des heures de travail, sauf si nécessité absolue.

Cette obligation légale doit figurer soit dans une convention collective de travail, soit dans le "règlement de travail", donc dans des textes contraignants.

En France, de la com sans réelle portée juridique

En France, c'est depuis le 1er janvier 2017 (date d'application de la très problématique loi Travail ou loi El Khomri) qu'un droit à la déconnexion a été inscrit dans le Code du travail, article L. 2242-8. Il prévoit que les entreprises de plus de 50 salariés sont désormais tenues dans le cadre de leur négociation annuelle "égalité professionnelle et qualité de vie", de "traiter" du droit à la déconnexion.

On est donc là dans un dispositif beaucoup moins contraignant, limité à la seule entreprise, d'autant que justement la négociation dans les entreprises a été très affaiblie depuis par les ordonnances Macron de septembre 2017 (fusion des DP-CE-CHSCT en CSE...).

Cette loi "El Khomri" ne donnait d'ailleurs aucune définition claire de ce droit à la déconnexion ni de mode d’emploi précis, et laissait aux entreprises le soin d’en définir les contours dans un "accord collectif" (entreprise de plus de 50 salarié·es) ou dans une "charte" (jusqu'à 50).

Une avocate, Michèle Bauer, en tire 5 ans après un bilan plus que dubitatif. Pour elle, ce droit aurait toute sa place pour lutter contre les risques psychosociaux tel que le burn-out, souvent dû à une connexion permanente et déraisonnable par téléphone, mail, internet et visioconférence. Ce phénomène a bien sûr explosé avec le télétravail, mais peut aussi se constater dans beaucoup d'emplois de télémarketing, télé-assistance et autres tâches "uberisées". Ou dans des activités plus classiques, d'enseignement par exemple sous "pronote"...

Mais pour elle, la loi n’impose aucune contrainte pour les employeurs. Ainsi, aucune sanction n'est prévue pour les entreprises jusqu'à 50 salarié·es, et pour celles au delà elles ne seraient sanctionnées que pour ne pas avoir mener les négociations sur la qualité de vie au travail dans son ensemble (sans que l'objet précis de la déconnexion soit sanctionnable). Et ces sanctions "maximales" restent modestes : 1 an d’emprisonnement et 3750 € d’amende.

Dans les faits, son examen de décisions de Cours d’appel (exemples cités à Agen, Riom, Nancy) montre une certaine sévérité ... vis à vis des employé·es soupçonné·es de ne pas fournir de preuves du non-respect par l'employeur de ce droit à la déconnexion !

Ainsi, si le salarié se connecte sans cesse, en toute conscience professionnelle, l’employeur qui a mis en place une charte de déconnexion argumentera en disant "c’est de la faute du salarié", sans plus de contradiction de la part du tribunal.

L'avocate souhaiterait que les juridictions s’inspirent de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la preuve des heures supplémentaires pour faciliter la preuve du salarié de ce non-respect qui a mis sa santé en danger ou l’a rendu malade.

Pour de vraies limitations à l'obligation de connexion

Il pourrait aussi y avoir des décisions plus volontaristes des employeurs : comme celle du groupe Volkswagen (en France, en Europe ?) qui a décidé de couper l'accès à ses serveurs entre 18 h 15 et 7 h le lendemain matin (d'après une autre avocate, Marianne Lecot).

Au delà, il faut déplorer une approche très limitée de ce droit : pour nous tout·e salarié·e (ou usager) devrait pouvoir carrément refuser d'utiliser ces outils numériques, voire refuser que sa situation puisse être traitée par un système automatisé type "intelligence artificielle", comme le prévoit l'article 22 du RGPD (Réglement général pour la protection des données), applicable dans toute l'UE depuis 2018.