Sur le site du collectif grenoblois Pièces et Main-d'oeuvre (PMO) est paru récemment un texte de Tomjo et Marius Blouin intitulé "Technopolice" : l'escroquerie du citoyennisme numérique".
Nos collectifs peuvent apprécier de PMO ses réflexions fécondes sur la technologie, principalement numérique. Ce texte, centré sur La Quadrature du net (LQDN), "escroc en association citoyenne", nous séduit moins car il se réduit à une attaque en règle.
Ainsi, ses auteurs veulent régler leur compte à toutes les "associations, think tanks et ONG [qui] grenouillent dans le marigot de l'informatisation citoyenne" : Outre LQDN, Lève les yeux, We tech care, Femmes@numérique, Emmaüs Connect, Le Coup de main numérique, Shift Project, Ademe, Usbek & Rika. Les organisations citées relèvent pourtant de logiques très différentes.
Par exemple, Lève les yeux critique les effets du numérique, des écrans sur les enfants. Les conclusions de ses "assises de l'attention" sont une inspiration pour nous, même si cette association n'a pas la force de frappe juridique et militante de LQDN.
Le Shift Project a pu collationner dans son étude sur la 5G beaucoup de sources internationales qui, ensemble, permettent d'en tirer un bilan pertinent et très sombre. Mais ce même Shift Project a émis, en conclusion, un scénario souhaitable complètement irréaliste destiné à plaire à ses financeurs, des industriels adeptes du greenwashing. Et son principal responsable, Jancovici, est pro-nucléaire.
L'ADEME est carrément une agence gouvernementale, avec les mêmes compromissions que l'ANSES ou l'ANFR.
Faire l'amalgame entre ces différentes organisations est donc particulièrement de mauvaise foi.
Pour LQDN, si on comprend bien les auteurs, son action relève de la traîtrise et doit être rejetée en bloc. Nous déplorons ce type d'approche binaire qui ne permet pas le débat. D'autre part, l'emploi de mots-clés (ici Soros) semble suffire aux auteurs pour diffamer a priori, technique de com très utilisée par les macronistes et que nous combattons.
Par ailleurs, ce texte utilise beaucoup les propos et accointances de Jérémie Zimmerman pour caractériser ceux de LQDN. Si Zimmerman a bien été un des fondateurs du collectif de départ, il n'en est plus membre depuis plusieurs années, et on ne peut donc pas attribuer à LQDN ses sympathies équivoques (LREM, APRIL...).
Il faut ajouter que, comme beaucoup d'organisations, LQDN n'est pas homogène et a évolué dans le temps : au départ elle était dominée par des informaticiens "libertaires" (promoteurs du libre et, pour certains, peu critiques sur l'outil informatique). Ceux-ci cherchaient surtout à influer sur les choix de décideurs publics ou privés.
Depuis plusieurs années, ses responsables sont engagés dans des actions d'opposition frontale, juridiques (voir bilan du 1e mandat de Macron) et/ou militantes (campagnes nationales contre la loi Sécurité globale, contre la technopolice... ; participation directe à des actions locales d'opposition à la reconnaissance faciale, aux drones... ; création d'une plateforme permettant à des collectifs locaux de préparer des actions : avec blog, forum, librairie de documents). Nous avons ici beaucoup utilisé ces outils, notamment pour combattre (victorieusement) le projet d'installation de micros dans nos rues.
Sur le point précis de nos combats Linky-5G : pour l'action contre la 5G à Lyon (manif puis débats), nous avions invité Félix Tréguer, lequel a voulu obtenir l'accord de LQDN dont il est membre. Un "zimmermanien" encore présent sur le forum interne de LQDN s'est alors énervé contre ces "dingos des ondes" (nous donc, anti-Linky-5G). Nous l'avons vertement taclé pour son obscurantisme et son sectarisme ... mais pas seuls ! Un texte d'opposition à la 5G a été adopté à cette occasion par LQDN, certes moins tranchant que celui de Félix Tréguer mais, de la part d'une organisation composite, suffisamment clair pour ne pas douter de leur soutien.
On sent, dans le billet de Tomjo & Marius, une défiance face aux informaticiens qui adhéreraient forcément au système. Nous trouvons pourtant rassurant que beaucoup d'informaticiens rejettent l'usage actuel de l'informatique, et pour un nombre croissant, combattent la numérisation généralisée de nos sociétés : Snowden ... mais aussi le CLODO toulousain (Comité liquidant et détournant les ordinateurs) [1] qui, au début des années 1980, se présentait ainsi : "Nous sommes des travailleurs de l'informatique, bien placés par conséquent pour connaître les dangers actuels et futurs de l'informatique et de la télématique. L'ordinateur est l'outil préféré des dominants. Il sert à exploiter, à ficher, à contrôler, à réprimer. Demain la télématique instaurera 1984, après-demain l'homme programmé, l'homme machine." Ses membres, qui n'ont jamais été pris, ont détruit nombre d'installations dans ce qui était alors la Mecque de l'informatique français.
Au delà se pose la question du type d'opposition. Les technologies numériques ont envahi depuis longtemps, et de manière globale, nos vies. Un rejet de principe, sans analyse, nous interdirait de peser sur le débat et nous condamnerait à la marginalité. Nous pensons qu'il faut favoriser le débat le plus large possible, notamment avec celles et ceux qui ont des doutes sans rompre avec l'usage de ces technologies. Pour cela, il faut être en capacité d'analyser les mécanismes à l'œuvre, ce qui ne vaut pas adhésion et n'empêche pas des oppositions radicales. Par exemple, personne ne songe à accuser Karl Marx de promotion du capitalisme alors qu'il a pourtant analysé en profondeur ce système dans son livre Le capital !
Pour reprendre la conclusion de Félix Tréguer devant le Conseil national du numérique : "Aujourd'hui, avec l'intelligence artificielle et la numérisation de l'ensemble des activités sociales [...] il ne fait plus de doute que le numérique est devenu aliénant, écocide [...]. Je serai donc partisan d'une désescalade numérique. Il est encore temps de mettre en place des politiques publiques numériques qui soient non seulement conformes à l'horizon démocratique mais aussi conscientes des impératifs écologiques. Pour cela, il serait [...] nécessaire de proscrire un grand nombre d'usages et de dispositifs."
Si on y ajoute les questions liées à la santé, nous partageons cette vision d'un numérique très nocif dont on doit prôner l'abandon pour nombre d'applications, et un usage très encadré pour le reste.
Nos collectifs ne sont pas affiliés à LQDN (d'autres le sont, notamment à Marseille qui organise ce mois-ci un festival Technopolice). Nous puisons notre inspiration à plusieurs sources et pouvons mener des actions avec des organisations très diverses.
Nous ne voyons pas l'intérêt de tirer à vue sur un voisin : nos combats à la David contre Goliath sont difficiles, et nous ne sommes déjà pas si nombreux.ses... D'autre part nous privilégions celles et ceux qui agissent, qui s'engagent concrètement. Nous ne savons rien de ce qu'ont fait Tomjo & Marius Blouin.
Pour les collectifs Stop Linky 5G Loire et Halte au contrôle numérique
[1] Sur l'aventure du CLODO, un film a été réalisé par Andrew Culp & Thomas Dekeyser en 2022, Machines in Flames, présenté ici