39 ans après, l’EF du Sang va effacer les fiches de donneurs ayant eu des relations homosexuelles

C'est l'histoire d'une très longue discrimination qui prend fin :
en 1983 le don du sang était interdit aux hommes ayant eu des relations sexuelles avec d'autres hommes, "en raison des risques de transmission du sida".

Déjà une discrimination insupportable basée sur des critères moralistes et non scientifiques, en prétendant que le sida était une "maladie gay" (récit colporté par des médias et quelques responsables politiques à l'époque). Mais le deuxième scandale est le fait que le fichage des personnes ainsi discriminées, organisé dès 1986, ait perduré jusqu'à aujourd'hui. C'est la preuve que le non respect des droits humains en matière de fichage administratif est devenu une habitude, alors que celui-ci est totalement illégal !

Après l'interdiction totale de don de 1983, en 2016 une loi autorisait les homosexuels à donner leur sang, mais à la condition d'avoir été abstinents depuis un an (limite ramenée à quatre mois en 2019). Condition levée en mars 2022 lorsque toute référence à l'orientation sexuelle dans les questionnaires préalables au don du sang a été supprimée.

Ce 22 août 2025 (soit 39 après les premiers fichages !), l'Etablissement français du sang (EFS) annonce qu'il va supprimer de ses archives les données concernant les hommes ayant eu des relations homosexuelles. 

Sara-Lou Gerber, directrice générale déléguée de l'EFS, explique : "Jusqu’en 2022, nous avons été conduits à collecter, lors des entretiens préalables au don, des données sur ce qui était une contre-indication réglementaire au don de sang, avec la mention "HSH" (homme ayant eu des relations sexuelles avec un homme)".

En 2022, l’EFS a eu "des interrogations sur ce qu’il fallait faire de ces données", et a préféré "ne pas les supprimer immédiatement". Elles ont alors été "archivées" dans le respect du règlement général de protection des données (RGPD), conservées dans "une sorte de capsule à part du système d’information, accessible à un nombre très limité de salariés, et cryptées", assure-t-elle.

Au printemps 2025, une personne a écrit à l’EFS pour connaître les données la concernant, en demander l’effacement et aussi pour interroger sur la conservation de ces données "HSH". "L’EFS a alors estimé qu’elles n’apportent pas d’élément sur la sécurité transfusionnelle justifiant leur conservation, mais on n’a pas voulu procéder à leur suppression sans en référer au ministère de la Santé et à l’ANSM".

L’association LGBT+ TOUS.TES, a lancé fin juillet une pétition en faveur de cette suppression, qui a recueilli près de 16.000 signatures.

Depuis, "L'EFS a pris contact cet été avec les autorités compétentes, l'ANSM [l'Agence nationale de sécurité du médicament] et le ministère de la Santé, et a obtenu de supprimer toutes les données relatives aux hommes ayant eu des relations sexuelles avec d'autres hommes".

La suppression de ces données n'est cependant pas encore effective. "On est en train de mettre à jour notre système d'information, mais étant donné la sensibilité des données, cela va prendre plusieurs semaines ou mois", explique l'EFS. "Les équipes techniques nous ont dit que la majorité des données seront supprimées d'ici fin septembre."

Pour les donneurs écartés pour ce motif qui n’ont jamais donné de produit sanguin, "leur dossier et toutes les informations sur eux seront supprimés, et s’ils se présentent en collecte ils seront considérés comme des nouveaux donneurs", a précisé la responsable.

Monsieur le Président de l'EFS [Frédéric Pacoud]

L’Etablissement Français du Sang a appliqué une politique de refus du don de sang de la part de personnes homosexuelles, sur l’unique base de leur orientation sexuelle réelle ou présumée, entre 1983 et 2016. De 2016 à 2022, cette politique a également été amenée à évaluer la possibilité de donner son sang de manière différente et substantivement plus difficile envers les personnes homosexuelles, par rapport à leurs homologues hétérosexuels, amenant également à des ajournements de don.

Pendant près de 40 ans, l’Etablissement Français du Sang a donc récolté les données personnelles, comprenant le nom, prénom, date de naissance, lieu de naissance, sexe, adresse postale et numéro de téléphone de plusieurs milliers d’homosexuels afin de les conserver dans des fiches ayant pour but de leur empêcher la possibilité de tout don pendant 274 ans.

Depuis 2022, les critères de sélection appliqués pour prétendre à un don du sang sont enfin les mêmes pour toutes et tous, indépendamment de leur orientation sexuelle.

En 2025, trois ans après cette entrée en vigueur, l’Etablissement Français du Sang conserve néanmoins toujours toutes ces données personnelles obtenues pendant près de 40 ans de discriminations. Cela a pu être vérifié par un·e des membres de l’association TOUS.TES qui, très difficilement, a pu avoir accès à ses données et constater que vous les aviez encore toutes en votre possession, ainsi que la trace de son ajournement fait 16 ans plus tôt.

Il est intolérable qu’en 2025, des fiches pouvant permettre de recenser les Français homosexuels existent encore, à l'heure où cela n'est fort heureusement plus possible. En écho aux heures les plus sombres de notre Histoire, ces données sensibles devraient pourtant recevoir une attention toute particulière.

Monsieur le Président, vous avez déjà été contacté dès avril 2025 pour dialoguer à ce sujet, mais la sollicitation est restée lettre morte.

La conservation par l'EFS de toutes ces données enfreint manifestement le Règlement Général de Protection des Données (RGPD), notamment :

  • les articles 6 et 9 concernant l’obligation de base légale, puisque la règlementation a évolué de manière à ne plus discriminer selon l’orientation sexuelle ;
  • les articles 5.1.b et 15.1.a concernant l’obligation de finalité, puisque les candidats n’ayant pu effectuer de don du sang, aucune nécessité de sécurité transfusionnelle ne saurait être avancée ;
  • l’article 5 concernant entre autres le principe de minimisation des données, puisque vous conservez non seulement l’identité mais également de multiples données de contact de milliers de personnes qui n’ont jamais donné leur sang.

La violation de ces principes, introduits dès 1978 dans la première loi Informatique et Libertés, est d’autant plus grave que vous avez déjà été condamnés en 2022 par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui a jugé que vous enfreignez l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme protégeant les individus contre les ingérences de l'Etat, attentiez manifestement à la vie privée de manière disproportionnée, et que votre durée de conservation des données personnelles, de 274 ans, est excessive.

Contactée pour être à l’écoute de vos éléments de réponse face à ces infractions, votre Direction Juridique & Conformité n’a pas répondu aux sollicitations.

Face à ce constat, l’association TOUS.TES a déposé une plainte auprès de la CNIL.

Monsieur le Président, par cette pétition, nous demandons de toute urgence :

  • l’effacement de l’intégralité des données personnelles des personnes ajournées pour un don du sang en raison de leur orientation sexuelle entre 1983 et 2022 et qui n’ont été acceptées pour un don depuis ;
  • un audit interne sur le respect du RGPD par l’Etablissement et ses équipes afin de mettre vos services et votre base de données en conformité avec le RGPD et la loi bioéthique de 2021 ;
  • une communication publique sur le sujet.

Après près de 40 ans à contribuer à véhiculer largement dans notre société des stéréotypes aussi stigmatisants que faux sur les personnes homosexuelles, en dépit de l’évolution des connaissances scientifiques, sociologiques et de la réglementation, ferez-vous enfin un premier pas, pourtant essentiel, vers la réparation publique de vos actes ?

Une réponse sur « 39 ans après, l’EF du Sang va effacer les fiches de donneurs ayant eu des relations homosexuelles »