En Ukraine les drones tueurs (commandés par IA) tuent et épouvantent, à Gaza aussi ("quadricoptères"), mais s'y ajoutent des chars télécommandés, lestés de tonnes d’explosifs (voir en fin d'article "Gaza face aux monstres de fer"), des canons pilotés par IA et nourris par les données collectées par les caméras et autres capteurs...
Toutes les guerres sont meurtrières et, comme telles, absolument condamnables. Mais celles-ci, automatisées et déshumanisées, où l'agresseur ne prend plus aucun risque, encore plus meurtrières (notamment pour la population civile : plus de 83% du total des morts à Gaza, selon des experts israéliens), conduit à un massacre aux dimensions industrielles, à une logique génocidaire.
La campagne Stop Killer Robots (stop aux robots tueurs) relaie les travaux d'un groupe interrégional d'États prêts à entamer des négociations pour un traité sur les armes autonomes.
Une deuxième réunion en 2025 du Groupe d’experts gouvernementaux (GEG) sur les armes autonomes le 9 septembre a voulu démontrer sa volonté politique d’avancer vers des garanties juridiques contre les assassinats automatisés.
Il y a urgence...
Compte-rendu des travaux du Groupe d'experts gouvernementaux
Le Brésil a fait une déclaration commune au nom de 42 États *, affirmant être "prêts à avancer vers les négociations" sur un instrument relatif aux systèmes d'armes autonomes, sur la base du texte évolutif de la présidence . Cela représente un tiers des 128 États parties à la Convention sur certaines armes classiques (CCAC), cadre dans lequel se déroule le GEG.
Ce texte évolutif contient des éléments susceptibles de servir de point de départ à l'élaboration et à l'adoption de règles dans un traité. Il a été élaboré et peaufiné depuis 2024 par les États membres du GGE, sous la présidence de S.E. l'Ambassadeur Robert in den Bosch du Royaume des Pays-Bas. Le GEG est actuellement mandaté pour travailler sur un ensemble d'éléments d'un instrument, sans préjuger de sa nature, ainsi que sur d'autres mesures possibles, visant à traiter la question des systèmes d'armes autonomes. La déclaration commune exprime l'avis du groupe selon lequel le texte évolutif "constitue une base suffisante pour remplir le mandat du GEG sous sa forme actuelle" et une "base suffisante pour des négociations sur un instrument relatif aux systèmes d'armes létaux autonomes".
Il est significatif que ce large groupe d'États régionalement et politiquement divers ait reconnu sa capacité à engager des négociations et partagé la volonté d'avancer dans ce sens. Le mandat du GEG restera en vigueur jusqu'à la septième Conférence d'examen de la CCAC en 2026, où les États auront l'occasion de franchir une nouvelle étape en convenant d'un mandat de négociation pour un instrument juridiquement contraignant sur les systèmes d'armes autonomes.
Par le passé, les avancées du GEG ont été entravées par un petit groupe d'États qui ont abusé des règles de consensus du forum, où un langage fort soutenant des interdictions et des réglementations juridiquement contraignantes est affaibli pour parvenir à un consensus. Malgré cela, les discussions lors des deux réunions du GEG cette année ont démontré que les États partagent en réalité de nombreux points communs : sur la nécessité d'une approche à deux niveaux des interdictions et des réglementations ; sur la nécessité d'un contrôle humain significatif ; et sur de nombreux éléments fondamentaux de ce contrôle.
Stop Killer Robots exhorte les États à saisir l’opportunité du terrain d’entente qu’ils partagent pour passer à des négociations – des négociations qui doivent inclure tous les États désireux de transformer les discussions en loi, avec la pleine participation de la société civile et d’autres observateurs.
Depuis plus de dix ans, Stop Killer Robots appelle les États à lancer d'urgence des négociations sur un instrument juridiquement contraignant relatif aux systèmes d'armes autonomes afin de rejeter l'automatisation des assassinats et de garantir un contrôle humain significatif sur le recours à la force.
Les discussions du GGE sur d'éventuelles garanties juridiques ne se déroulent pas en vase clos. En effet, la nécessité d'un nouveau droit international se fait plus pressante à mesure que des rapports continuent de faire état du développement de systèmes d'armes aux niveaux d'autonomie préoccupants en Ukraine et à Gaza , ainsi que de l'utilisation de systèmes d'aide à la décision alimentés par l'IA dans cette dernière. Les dommages humanitaires résultant de l'utilisation de ces technologies sont une réalité et doivent être traités de toute urgence.
Lors des réunions du GGE à l'ONU à Genève, Stop Killer Robots et ses membres ont souligné que des éléments essentiels d'un instrument juridique manquaient encore au texte évolutif. Parmi ces éléments figurent l'interdiction de systèmes fondamentalement inacceptables, notamment ceux qui ciblent les personnes, ainsi que d'autres considérations éthiques et relatives aux droits humains.
Bien que ces éléments cruciaux ne soient pas actuellement reflétés dans le texte évolutif, les États devraient s'engager à les aborder lors des négociations.
Nous exhortons les États à s'appuyer sur la volonté politique et le courage dont ils ont fait preuve lors de ces réunions et à lancer des négociations visant à créer un nouveau droit international afin de combler au plus vite l'écart entre innovation et réglementation. Il est temps de garantir un monde où la vie humaine est valorisée et protégée contre la déshumanisation numérique et l'automatisation des meurtres.
* 39 Hautes Parties contractantes et 3 États observateurs ont soutenu la déclaration commune, dont : l’Autriche, la Belgique, le Brésil, la Bulgarie, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, le Danemark, la République dominicaine, l’Équateur, El Salvador, la Finlande, la France, l’Allemagne, le Guatemala, l’Islande, l’Irlande, l’Italie, le Kazakhstan, Kiribati (observateur), le Lesotho, le Luxembourg, le Malawi, le Mexique, le Monténégro, Nauru, la Nouvelle-Zélande, la Macédoine du Nord, la Norvège, le Pakistan, la Palestine, le Panama, le Pérou, le Portugal, les Samoa (observateur), la Sierra Leone, la Slovénie, l’Espagne, la Suède, la Suisse, la Thaïlande (observateur) et l’Uruguay.
Gaza face aux monstres de fer
Le journaliste et traducteur Ibrahim Badra décrit dans le site Médiapart les ravages commis par les robots explosifs de l’armée israélienne dans sa conquête de la ville de Gaza. "Un chantage sans début ni fin, sans intrigue ni logique."
"Nous sommes ceux qui vivent derrière le brouillard, venant des profondeurs du gouffre, marchant dans les labyrinthes des ténèbres. Nous sommes la seule version de la douleur. Nous sommes l’autre nom des tombeaux ouverts. Ici, il n’y a aucune autre issue que la mort."
L’armée d’occupation ne s’est pas contentée des bombardements aériens, des tirs d’artillerie ou d’une invasion terrestre. Elle a introduit à Gaza une arme nouvelle et encore plus terrifiante : les robots explosifs.
Des véhicules télécommandés, lestés de tonnes d’explosifs, sont dirigés vers le cœur de quartiers résidentiels et vers les tentes. Quand ils explosent, ils réduisent en cendres les maisons, et sèment partout la mort.
Je ne sais pas si l’humanité a disparu ou si nous avons été oubliés. Nos vies sont-elles devenues à ce point insignifiantes ?
Dans le seul quartier de Zeitoun, à Gaza-ville, plus de cinquante robots ont explosé en quelques jours, détruisant des dizaines de maisons et déplaçant des milliers de familles. Même les hôpitaux n’ont pas été épargnés : l’hôpital Kamal-Adwan et l’hôpital indonésien ont été endommagés ; le personnel médical et des patient·es ont été blessé·es.
Selon des témoins, les explosions des robots sont plus violentes que les bombardements aériens. "J’ai eu le sentiment que le sol s’ouvrait sous nos pieds et que mes oreilles allaient exploser à cause du vacarme. La nuit s’est transformée en une scène d’enfer. Le ciel s’est embrasé, la terre a tremblé violemment, et à ce moment-là, j’ai eu l’impression que mon cœur sortait de ma poitrine et que mes oreilles éclataient."
Les voix crient encore
Des robots tueurs viennent donc s’ajouter aux missiles et aux avions. Pourtant, les voix de Gaza continuent de crier : quelqu’un va-t-il nous aider et mettre fin à ce bain de sang ? Quelqu’un va-t-il défendre mes droits contre mes meurtriers ? Vous, les gouvernements du monde, vous regardez de loin, vous fermez les portes de la miséricorde.
Où sont les résolutions que vous avez promises ? Où sont vos prises de position pour les droits humains ? Ici, nous tombons, nous nous relevons, nous comptons les corps, et nous enterrons l’espoir avec nos noms. Voyez-vous les ruines de nos maisons ?
Ces "véhicules militaires explosifs" ont été introduits en avril et en mai 2024, quand l’occupant a cherché à étendre la portée de sa campagne de bombardements pour tout raser en prévision du déplacement de la totalité des Gazaoui·es.
Les robots explosifs sont à l’origine des véhicules blindés de transport de troupes M113 de fabrication états-unienne. Après avoir été attaqués par des combattants palestiniens pendant la guerre de 2014, ils ont été convertis en robots télécommandés. Leur mécanisme a été repensé : les sièges, dans le cockpit, ont été retirés ; ils ont été remplis de grandes quantités d’explosifs.
Il en existe deux catégories : l’une vise une destruction complète et un incendie dans un rayon de 50 mètres ; l’autre, une destruction partielle dans un rayon de 150 mètres.
Selon le directeur général du ministère de la santé de la bande de Gaza, le docteur Munir al-Barash, l’armée d’occupation a utilisé, quotidiennement, entre sept et dix robots explosifs à Gaza-ville, tous capables de transporter environ sept tonnes d’explosifs.
L’imagination destructrice
L’armée d’occupation israélienne invente toujours de nouvelles méthodes pour massacrer la population. Le long des routes par lesquelles ils se rendent à Gaza-ville, les soldats innovent. Pour tuer et torturer. Des témoins oculaires attestent la présence de quadricoptères transportant une échelle avec environ vingt boîtiers explosifs.
Ils balancent l’échelle depuis le toit d’un immeuble et appuient sur le détonateur. L’explosion ressemble à celle d’un robot. Cela ne suffit plus de tuer deux ou trois innocent·es : il faut désormais tuer des centaines de personnes à la fois.
Gaza aujourd’hui représente une extension directe du massacre de Sabra et Chatila, dans les camps du Liban il y a quarante-trois ans : la mentalité est la même (plus de 3 000 Palestinien·nes et Libanais·es avaient été tué·es), mais les outils se sont modernisés et sophistiqués. Tuer n’est pas seulement l’apanage des armes à feu et des couteaux : c’est une activité organisée autour des drones, d’avions de combat performants, de robots explosifs et d’algorithmes qui identifient les cibles à distance, réduisant les êtres humains à des nombres dans une base de données.
Imaginez une petite machine sur des chenilles, comme un minitank, transportant une charge explosive dans son ventre et une caméra de précision dans son œil. Elle entre dans les ruines et les tentes comme un serpent de métal, guidée à distance par des soldats grâce à une caméra, puis explose instantanément, faisant s’écrouler les pierres des maisons sur leurs habitant·es, et détruisant tout autour.
Ce sont des monstres de fer sans âme, envoyés pour écraser tout ce qui restait de vivant. Ce ne sont pas que des machines, mais des outils silencieux de mort, des armes démoniaques destinées à l’anéantissement de Gaza.
C’est le chantage ultime. Un chantage sans début ni fin, sans intrigue ni logique, une vente aux enchères de nos âmes, de nos vies, de notre humanité : tuer, tuer, tuer…
Depuis deux ans, nous sommes exterminés et brûlés par l’intelligence artificielle et toutes sortes d’armes perfectionnées. Nous sommes devenus des cobayes pour tester de nouvelles méthodes de mise à mort, jusqu’à ce que notre ville devienne la plus grande plateforme d’exécution de l’histoire.
Pensez-vous que notre extermination adviendra sans que vous soyez maudits ? Nous attendons, et si nous restons en vie, nous serons là pour témoigner.

2 réponses sur « Les robots tueurs sont déjà là »
[…] contre Gaza a montré qu'à côté de systèmes d'IA avancés échappant au contrôle humain (des "robots tueurs", entièrement automatisés), des systèmes de surveillance par IA bien plus banals et peu sophistiqués sont déjà utilisés […]
[…] a montré qu’à côté de systèmes d’IA avancés échappant au contrôle humain (des « robots tueurs », entièrement automatisés), des systèmes de surveillance par IA bien plus banals et peu sophistiqués sont déjà utilisés […]