Victoire de fait à Bruxelles, pour un droit d'accès non numérique aux services publics

La Belgique est ce pays où des actions collectives pionnières en Europe ont revendiqué le retour à des guichets humains pour les services "essentiels" (publics ou privés). Nous avons invité l'un de ses animateurs (Daniel Flinker) à nos rencontres de Villeurbanne (janvier 2025).

Sur le plan juridique, cela a déjà débouché par une victoire en Wallonie. Une autre action a donc été engagée pour l'inscription d'un droit à l’accès hors-ligne (par des guichets, par le téléphone et le courrier) dans la région bruxelloise. Il vient de déboucher sur un refus de modifier la loi existante ... car la cour estime qu'elle répond en l'état aux demandes des plaignants !

L'arrêt rendu renforce donc, par cette justification, la revendication des plaignants pour obtenir / garder d'autres accès que le tout numérique aux services publics / essentiels.

Echec donc, qui recouvre en fait une victoire...

Pour l'inscription dans la Constitution du droit de ne pas utiliser Internet ?

C'est donc une étape supplémentaire en vue de l'inscription - à terme - de ce "droit de ne pas utiliser l'internet", ou "droit à l'interaction humaine avec les administrations publiques", dans la constitution belge.

La Suisse a déjà entamé ce processus de constitutionnalisation dans son "droit à l'intégrité numérique" (art 21A de la Constitution du canton de Genève), qui inclut un droit à une vie hors ligne. D'autres cantons suisses suivent cet exemple. A Neuchâtel, par exemple, un projet de décret en ce sens a été approuvé en première lecture en avril 2024.

En effet, la généralisation de la numérisation des services publics (encouragée par l'objectif européen de "100% en ligne d'ici 2030"), crée des difficultés pour un grand nombre de personnes, et exclut des catégories entières de personnes de l'accès à leurs droits.

Pour la juriste Elise Degrave (Université de Namur), un certain nombre de droits fondamentaux sont ainsi mis à mal par la technologie numérique, à savoir le droit à l'égalité et à la non-discrimination, le droit à la vie privée et à la protection des données personnelles, le droit à l'inclusion des personnes handicapées et le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.

La Constitution étant le socle commun de la nation, dominant toutes les autres normes, un droit de ne pas utiliser Internet pourrait utilement enrichir le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine ou le droit à la liberté d'expression, à l'image des travaux du Conseil de l'Europe et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Le numérique n'est pas une fin en soi. Il doit être au service de la société et non l'inverse. En ce sens, la "Déclaration européenne sur les droits numériques et les principes pour la décennie numérique" le rappelle en affirmant que "l'intelligence artificielle devrait être un outil au service de l'homme, dans le but ultime d'accroître l'humanité".

C'est pourquoi, selon cette auteure, avec la numérisation croissante des services publics un nouveau droit devrait être inscrit dans la Constitution belge : le droit de ne pas utiliser Internet.

La Cour Constitutionnelle a rendu son arrêt ce jeudi 25 septembre 2025 dans l’affaire qui oppose 24 associations et syndicats actifs à Bruxelles au gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, au collège de la COCOF et au collège de la COCOM et ce, à propos des décret et ordonnance "Bruxelles Numérique" du 25 janvier 2024.

Même si la Cour indique que les moyens invoqués par la partie requérante ne sont pas fondés, son interprétation valide les attentes de la société civile bruxelloise.

Plusieurs points essentiels sont à souligner dans cet arrêt. La Cour Constitutionnelle confirme le refus du tout-numérique dans les administrations à Bruxelles.

En outre, elle consacre le principe de l’accès hors-ligne aux administrations via les trois garanties cumulatives minimales d’accessibilité et d’inclusivité que sont les guichets, les téléphones et la voie postale.

En particulier, cet arrêt mentionne que les administrations bruxelloises ne peuvent pas se prévaloir d’une charge disproportionnée pour ne pas maintenir les guichets physiques, les services téléphoniques et la voie postale.

Au cours de la dernière législature, la société civile bruxelloise s’est mobilisée contre le projet d’ordonnance “Bruxelles numérique” et a exigé, par le biais de multiples actions collectives, plus de contacts humains dans les administrations communales et régionales.

Il s’agit d’une revendication capitale pour la population étant donné que 36% des Bruxellois (et 70% des Bruxellois peu qualifiés) sont en situation de vulnérabilité numérique.

Mais, en dépit de la mobilisation, l’ordonnance a été promulguée, sans la garantie claire de guichets physiques et de services téléphoniques pour accéder aux services publics.

Dans ce contexte, vingt-quatre acteurs de la société civile bruxelloise se sont associés pour introduire, le 19 août 2024, une requête en annulation à l’encontre de l’ordonnance "Bruxelles numérique" devant la Cour constitutionnelle.

Pour rappel, la requête ne visait pas à annuler toute l’ordonnance organisant la numérisation des services publics à Bruxelles, mais uniquement à supprimer les aspects problématiques du texte contenus dans deux phrases de son article 13.

Il s’agit de formules susceptibles de ne pas garantir des guichets, des téléphones et des courriers postaux dans les administrations et donc l’accès aux droits des personnes vulnérabilisées par le tout-numérique.

Plus précisément, l’article 13 de l’ordonnance Bruxelles numérique énonce que les garanties minimales pour accéder aux services publics sont le guichet, le service téléphonique et le courrier postal. Mais cet article prévoit également deux possibilités qui remettent en question ces garanties minimales d’accessibilité.

Premièrement, il explique que les administrations peuvent mettre en place des alternatives aux trois garanties minimales d’accessibilité précitées. Deuxièmement, il indique que les administrations peuvent ne pas mettre en place ces garanties minimales d’accessibilité si elles jugent que c’est une charge disproportionnée.

Formulé de la sorte, l’article 13 pose trois problèmes constitutionnels.

Premièrement, les citoyens qui ont des difficultés avec le numérique sont discriminés par rapport aux autres usagers dans leur accès aux services publics.

Deuxièmement, ils se voient retirer l’accès à des services vitaux permettant d’accéder aux droits fondamentaux économiques, sociaux et culturels.

Troisièmement, il faut souligner le fait que ce problème d’accès aux droits touche notamment les personnes qui sont vulnérabilisées par le numérique en raison d’un handicap.

Entre l’introduction de la requête et aujourd’hui, Unia s’est joint à la démarche. Durant cette période, les requérants ont pu observer les conséquences de la mise en œuvre de "Bruxelles Numérique", notamment en matière d’inscription scolaire.

Ils ont aussi constaté que la Wallonie avait, en novembre 2024, adopté le même type de décret et ce, sans les défauts de l’ordonnance bruxelloise.

Nouveaux éléments qui ont été signifiés à la Cour lors de l’audience publique du 14 juillet 2025.

Dans son arrêt n° 126/2025 du 25 septembre 2025, la Cour Constitutionnelle confirme l’interdiction du tout-numérique dans les administrations à Bruxelles et consacre le principe de l’accès hors-ligne aux administrations via les trois garanties cumulatives minimales d’accessibilité et d’inclusivité que sont les guichets, les téléphones et la voie postale.

Plus précisément, la Cour stipule qu’"il n’est possible de déroger à la triple garantie cumulative que pour autant que soit garanti un niveau de service au minimum équivalent à chacun des accès non numériques précités”. Aussi, la Cour précise que “la charge disproportionnée” dont peuvent se prévaloir les administrations pour ne pas mettre en place certaines alternatives au numérique “n’a pas trait au deuxième alinéa des paragraphes susvisés, qui énonce la triple garantie d’un accueil physique, d’un service téléphonique et d’échanges par voie postale ou une garantie non numérique équivalente”.

Par son arrêt, la Cour Constitutionnelle va un pas plus loin dans la garantie des guichets physiques. Forts de cette décision, nous avons l’intention de maintenir notre vigilance face à la numérisation débridée de la société et de militer sans relâche pour une région bruxelloise plus inclusive et plus humaine. Dans cette perspective, nous interpellons ensemble les autorités des communes de la capitale pour qu’elles respectent la loi : qu’elles améliorent l’accessibilité de leurs administrations via des guichets physiques, des services téléphoniques de qualité et la voie postale.

Les 24 plaignants

Altéo asbl, ATD - Quart Monde asbl, Brussels Platform Armoede vzw, CAWAB asbl, CIEP Bxl asbl, CIRE asbl, CSC Bruxelles, Énéo asbl - Régionale de Bruxelles, Fédération des Maisons Médicales asbl, Fédération des Services Sociaux asbl, FGTB, Hobo vzw, Liages asbl, Ligue des Droits Humains, Lire & Ecrire Bxl, Maks vzw, soutenues dans leur démarche par huit autres associations : Ara vzw, Bij Ons / Chez Nous vzw/asbl, Buurthuis Bonnevie Maison de Quartier vzw/asbl, De Buurtwinkel vzw, DoucheFlux asbl, Pigment asbl, Syndicat des Immenses, Vrienden van het Huizeke vzw