Parcoursup, ou le numérique pour "tuer" un dispositif éducatif, le bac


L’application Parcoursup gère depuis 2018 les vœux d’inscription des lycéens vers la majorité des formations de l’enseignement supérieur français. Depuis sa mise en place, des réformes du lycée et du bac ont fait exploser les taux de réussite au bac. Pourtant, l’accès à l’enseignement supérieur est devenu de plus en plus sélectif.

Parcoursup est aujourd'hui l’enjeu principal pour les lycéens, tandis que la disparition du bac - cet examen majeur du système éducatif (doublement centenaire !) - est évoquée...

À la rentrée 2025, l’ex ministre de l’éducation nationale Élisabeth Borne (remplacée depuis par l'obscur Édouard Geffray), annonçait une énième évolution de la réforme du lycée et du baccalauréat général et technologique mise en œuvre depuis 2019. Comme le détaille une note de service du 25 août, les lycées doivent dorénavant établir un "projet d’évaluation" qui indique les notes "prises en compte pour le contrôle continu du baccalauréat, donc aussi pour Parcoursup".

Le SNES-FSU dénonce cette mesure qui reviendrait à une "fabrication bureaucratique de la note", dans un fatras de préconisations où les notes collectées pour Parcoursup ne compteraient pas forcément pour le bac , et vice versa. Notamment celles affectées d'un coefficient 0 attribué arbitrairement à ce qui relèverait du "diagnostic" ou du "formatif"…

À la session 2025, le taux de réussite a atteint 96,4 % au bac général et 91,2 % au bac technologique, soit les plus élevées jamais enregistrés. Ils étaient respectivement de 91,1 % et 88 % en 2019, avant la "réforme Blanquer". Entre 2017 et 2024, les effectifs de bacheliers ont donc progressé de 7 %.

Cette "réforme Blanquer" (du nom du ministre de l'éducation de mai 2017 à mai 2022, soit tout le 1e mandat d'E. Macron) a consisté à introduire une grosse part de contrôle continu (40 %) dans le calcul de la note totale au bac, et de réduire à cinq le nombre d'épreuves d'examen, contre entre douze et seize précédemment. Cette réduction était la volonté d’E. Macron, qui l’avait placée dans son programme de 2017 afin de "simplifier" (d'économiser sur ?) l’organisation de l’examen

Pour le SNES-FSU, c'est une "catastrophe industrielle", provoquant une hausse des inégalités entre élèves en raison de la suppression d’épreuves nationales et anonymes et de cette prise en compte du contrôle continu. Dans un rapport de 2023, l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche observe une "inflation du niveau des notes de contrôle continu".

Ce que la DEPP (service statistique du ministère), dans une étude de 2025, confirme en notant que les notes de contrôle continu sont généralement plus élevées qu’aux épreuves terminales dans certaines disciplines. Dans une étude réalisée sur un échantillon d’établissements, le SNES-FSU constate que, sans la prise en compte du contrôle continu, le taux de réussite au bac serait similaire à celui d’avant la réforme.

Depuis, le ministère a procédé à des "ajustements" qui ont complexifié comme jamais l’organisation de l’examen... Conséquence de cette inflation : le bac n’est plus le point central du lycée

Mathilde, en terminale générale (spécialités maths et SES) à Pauillac, n’est pas stressée par le bac, grâce aux notes de contrôle continu : "Je savais que je l’avais déjà alors que je ne l’avais pas encore passé." Sa camarade Houda confirme avoir été "plus stressée par Parcoursup que par le bac" : "on nous a présenté la plateforme dès la seconde, et en terminale on nous a mis un sacré coup de stress, on nous rabâchait 'Parcoursup' encore et encore".

Les élèves sont sans cesse renvoyés à l’enjeu d’obtenir un diplôme du supérieur, dans un pays où l’emprise du diplôme sur les trajectoires professionnelles est très forte. Parcoursup oblige à être stratège, à anticiper, à ne pas rater les échéances, à se connaître et à se vendre : c’est la quintessence de la dimension compétitive de l’école française.

La période des vœux sur la plateforme Parcoursup est en effet devenue cruciale pour les plus de 900 000 lycéens et étudiants, durant laquelle chacun pourra formuler ses 10 vœux d'orientation parmi les 24 000 formations inscrites sur la plateforme.

En 2025, un "simulateur de chances d'intégrer une formation" a été introduit pour estimer leurs chances réelles d'être retenus. A partir de la moyenne générale de terminale et des spécialités choisies pour le bac, il indique - selon les données des trois dernières années et le profil du lycéen - la chance d'admission : "rarement", "occasionnellement", "régulièrement""à plus de 50%" ou "à plus de 80%"... Pour Hania Hamidi, secrétaire générale du syndical étudiant Unef : "la plateforme apprécie le niveau d'un lycéen qui n'a même pas 18 ans. C'est démoralisant. C'est une machine à autocensure et à présélection sociale".

Parcoursup est un ensemble d’algorithmes et d’interventions humaines. L’algorithme national crée des appariements entre la demande des étudiants et les offres de formation. Les algorithmes locaux sont paramétrés par les établissements d'enseignement supérieur (qui peuvent décider si telle ou telle spécialité choisie au lycée pèsera plus dans l'attribution à leur formation) pour classer les candidatures. En plus des algorithmes peuvent être mises en place des commissions constituées d’enseignant.es, qui peuvent prendre en compte des lettres de motivation, voire des entretiens. Mais de fait, c'est bien l'algorithme, basé sur les seules notes et la référence au lycée de formation, qui semble prendre une place dominante.

Avant 2019, l’obtention du baccalauréat n’était pas certaine mais, en cas de réussite, 65% des formations du supérieur étaient accessibles directement. Aujourd’hui, toutes sont potentiellement sélectives. Ce qui a déplacé l’attention principale sur Parcoursup à la place du bac. "Parcoursup a déjà suppléé le bac dans l’esprit des familles comme rite emblématique de la fin de la scolarité secondaire".

Les 40% du poids du contrôle continu lui donne "une importance colossale" qui pose question en termes d’égalité des élèves"Le lycée d’origine a un effet très important et donne lieu à des stratégies telles que l’inflation des notes, notamment à l’initiative des parents CSP+, comme dans les grands lycées parisiens", pointe Annabelle Allouch, sociologue à l’université de Picardie-Jules-Verne.

Ce qui fait le bonheur des formations du privé hors contrat (préparant par exemple à un "bachelor", titre non reconnu par l’État). Celui-ci a crû entre 2010 et 2022 en effectifs étudiants de 70% (quand le public est à 14%), progression qui a continué depuis. La part des étudiants dans le privé supérieur est désormais de plus de 25%, alors qu’elle n’était que 12% au début du 21e siècle.

Les candidat.es issu.es d'un lycée situé dans une zone périphérique, en zone rurale ou d'un lycée professionnel, technologique seront mécaniquement mal classés, quel que soit leurs résultats personnels aux épreuves d'examen. Alors qu'auparavant des lycées de banlieue pouvaient avoir une évaluation très favorable aux examens, et qu'à titre individuel des lycéens de communes défavorisés pouvaient, au titre de leur réussite aux examens nationaux, rejoindre des formations dans des lycées plus huppés.

Les établissements de l’enseignement supérieur s’appuient quasi uniquement sur les notes obtenues aux contrôles continus pendant l’année de première et jusqu’en mars de l’année de terminale pour sélectionner leurs étudiant·es. D'après la présidente de l’APMEP (Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public), "Il y a sur chaque contrôle une pression qui nuit aux apprentissages".

Parcoursup se révèle aussi très violent pour les élèves et leurs familles. 83 % des candidats de 2024 jugent la procédure stressante, en hausse, et que confortent des travaux quantitatifs, comme ceux de l’Observatoire de la vie étudiante. D’autres enquêtes par entretiens, comme celles d’Annabelle Allouch et Delphine Espagno-Abadie dans 
Contester Parcoursup, montrent un sentiment d’injustice parfois très difficile à vivre pour les élèves.

Arrimer davantage le lycée à l’enseignement supérieur était un des objectifs de la réforme. Avec un risque alors bien identifié, celui que l’examen ne soit plus "qu’un simple certificat de fin d’études secondaires, sans aucun lien ni avec la préparation d’un projet d’avenir, ni avec les processus d’accès à l’enseignement supérieur", écrivait Jean-Michel Blanquer dans sa lettre de mission.

Ainsi, les séries S, ES et L sont remplacées par des enseignements de spécialité, élaborés en lien avec ceux de licences de l’université, et programmées pour pouvoir être prises en compte dans Parcoursup. Une nouvelle épreuve au bac, le "grand oral", est créée pour préparer les futur·es étudiant·es aux oraux de l’enseignement supérieur.

Pour ceux qui auront tenté l'Université, seule une petite moitié d'étudiants parvient à obtenir la licence en 4 ans, un gros tiers en seulement 3 ans. La lenteur de la procédure Parcoursup, qui impose des affectations souvent non conformes au choix des lycéens.es, conduit à beaucoup de réorientations, de façon croissante. Mais seulement 53% des étudiants concernés intégrent une nouvelle formation à la rentrée suivante.

Les "spécialistes" de l'éducation proposent des formations et/ou, surtout, de recourir à l'IA pour "accompagner les apprentissages". Les spécialistes de la "santé mentale" proposent, eux, des "plans santé mentale" pour tenter d'enrayer la montée des dépressions, anxiétés et tendance suicidaires chez les jeunes (en 2024, plus de la moitié des jeunes interrogés présentent des plaintes psychologiques ou somatiques récurrentes).

Claire Guéville (SNES-FSU) interroge : "Veut-on continuer à élever le niveau général des jeunes ? Je pense que l’objectif politique est le contraire. Il y a l’idée qu’il y a trop de diplômés du supérieur." Le projet de loi de finances 2026 a en effet dans ses objectifs une… diminution du nombre d’admis·es dans l’enseignement supérieur : 93 % des néo-bacheliers y sont espérés en 2026, contre 93,5 % en 2025 et 94 % en 2024.

Le gouvernement l’explique notamment par le fait que "l’amélioration des taux de réussite au baccalauréat […] génère une pression supplémentaire importante sur les capacités d’accueil des formations". En l’absence d’investissements en places dans l’enseignement supérieur, il n’y a pas d’autre choix que de sélectionner...

Parcoursup a-t-il tué le bac ? (Médiapart, 11/2025)

Inscriptions post-bac : Parcoursup, l’orientation par algorithmes ? (The Conversation, 01/2025)

Parcoursup : comment les élèves font-ils face au dilemme de l'orientation ? (France Culture, 01/2025)

ParcourSup, incarnation d’une politique de sélection et de marchandisation de l’Enseignement Supérieur (HACN, 03/2024)