Le Sénat veut traquer chômeurs, étrangers, handicapés...

L e Sénat a adopté le 18 novembre le projet de lutte contre les fraudes fiscales et sociales, présenté par le gouvernement, qui veut faire de cette lutte un "enjeu majeur"... et un outil pour récupérer, sur le dos des plus pauvres (2,3 milliards d’euros dès 2026 ?), ce qu'il refuse de prélever sur les plus riches (voir le barrage contre la taxe Zucman).

Le Sénat a même émis le souhait que ce projet soit examiné à l'Assemblée nationale en même temps que les projets de textes budgétaires (PLF et PLFSS) pour 2026 ... ce qui permettrait sa validation sans réel débat, voire sans vote si le budget n'est pas voté et passe par ordonnances...

Ce texte, censé s'intéresser à toutes les fraudes fiscales et sociales, se centre sur la fraude aux allocations en donnant à France Travail, à l'assurance maladie et aux Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) des outils liberticides de contrôle sur les allocataires, les salariés et les assurés sociaux.

Alternatives économiques a produit, d'après des données de 2019, un schéma très éclairant sur le poids des différents types de fraudes fiscales et sociales :

Il en ressort que les fraudes aux prestations sociales - celles visées par ce texte - sont d'un niveau bien plus faible que celles liées à la fraude fiscale (qui ne prennent pas en compte l'optimisation fiscale, à priori légale puisque seulement basée sur l'exploitation des failles de la législation), ou celles issues de la fraude aux cotisations sociales (pratiquée par les employeurs). Manque dans ce schéma la fraude vis à vis des organismes sociaux, semble-t-il abondamment pratiquée par les professionnels de la santé (labos pharmaceutiques...).

Il ne faut pas ignorer, dans l'effet de ces contrôles de plus en plus coercitifs, tous ceux et toutes celles qui ne recourent plus à leurs droits (la moitié pour le minimum vieillesse, 34% pour le RSA, 30% pour l'assurance-chômage..., d'après la DREES pour 2022). D'une ampleur et d'une persistance dans la longue durée, sans que l'Etat n'engage de politique ambitieuse pour mettre fin à cette discrimination majeure.

Comme l'énoncait Alphonse Allais : "Il faut prendre l'argent là où il se trouve, c'est-à-dire chez les pauvres. Bon d'accord, ils n'ont pas beaucoup d'argent, mais il y a beaucoup de pauvres."

Le sénat n'en est pas à sa 1e tentative dans le domaine de la répression des pauvres. Dès 2019, un rapport, commandé par Edouard Philippe, Agnès Buzyn et Gérald Darmanin, et rédigé par une sénatrice LREM (macroniste) et une de l'Union centriste ont lancé l'offensive, largement idéologique, contre les "fraudeurs aux prestations sociales".

Cette fois, une série d'articles du texte permettent aux organismes sociaux d'accéder aux données patrimoniales des allocataires, à leurs relevés téléphoniques, à leurs données de connexion, ou encore à interroger le fichier des compagnies aériennes, à faciliter la vérification de leurs comptes bancaires en imposant leur domiciliation en France ou dans l’UE...

L'interconnexion des fichiers entre les différentes administrations (CAF, assurance maladie, France Travail, MDPH, registre des Français établis hors de France, conseils départementaux - qui financent par exemple le RSA...) devient la règle, là où la loi Informatique et libertés (de 1978...) imposait au contraire une stricte coupure entre ces différents fichiers.

Cela ouvre la voie à des suspensions conservatoires de toutes les allocations (mais aussi de la prise en charge par le compte personnel de formation [CPF], prévoit des majorations de la CSG...) lorsque "plusieurs indices sérieux de manœuvres frauduleuses" sont observés. Cela installe la suspiçion systématique et permanente de tous les allocataires quand, auparavant, ces régimes dits de protection sociale visaient à protéger contre les risques sociaux.

Cette loi, voulue par le pouvoir macroniste, a montré la capacité de surenchère extrèmiste de toute la droite (la même qui veut interdire le voile aux moins de 16 ans...). Ainsi, Alternatives économiques décrit un débat qui a eu lieu autour de l'article 27, donnant à France Travail la possibilité d'émettre des saisies administratives à tiers détenteur qui lui permettent de retenir la totalité des versements à venir d'allocations d'assurance-chômage en cas d'indus engendrés par "manquement délibéré ou manoeuvres frauduleuses".

Une sénatrice écologiste du Rhône, Raymonde Poncet-Monge, a défendu en commission un amendement de suppression de cette mesure, s'appuyant notamment sur un avis négatif du Conseil d’État : "Le Conseil d’État constate tout d’abord qu’aucun élément de l’étude d’impact ne permet d’apprécier l’importance des situations, vraisemblablement marginales [...] et que le Gouvernement n'a pas été en mesure de lui apporter plus d’informations au cours de l’examen du projet de loi. Il souligne ensuite les difficultés d'articulation de la mesure avec la mise en œuvre des dispositifs visant à garantir un niveau de ressources minimal. Dans ces conditions et au regard des objectifs poursuivis par le projet de loi, le Conseil d’État suggère de ne pas retenir la mesure envisagée"

L'amendement a été repoussé et la commission a au contraire adopté un amendement  de Frédérique Puissat, sénatrice LR de l'Isère, qui donne aux agents de France Travail les possibilités :

  • d'interroger le fichier des compagnies aériennes
  • un droit de communication auprès des opérateurs de téléphonie
  • d'interroger le registre des Français établis hors de France
  • de traiter les données de connexion des inscrits à France Travail à la seule fin de lutte contre la fraude...