Ateliers Droits sociaux - Travail - Agriculture : après-midi

Ces trois ateliers se sont séparés l'après-midi. Les formes des relevés de conclusions sont assez différentes, mais le travail de réflexion mené dans les trois a été intense.

Atelier Droits Sociaux

Constats

1. Difficulté des usagers de la CAF, de Pôle Emploi à rencontrer ou accéder à des interlocuteurs humains. Dans les agences, on dirige les usagers sur des ordinateurs où ils doivent se débrouiller tout seul, avec l'aide de personnels précaires qui sont là pour "autonomiser" les usagers (services civiques, contrats PEC). Les numéros d'appel ne fonctionnent pas ou très mal.

2. Certains travailleurs sont soulagés par le déploiement du numérique (les conseillers CAF et conseillers pour l'emploi peuvent recevoir les personnes une par une dans leur bureau, sans avoir affaire à l'accueil + conseillers indemnisation à Pôle Emploi qui ne voient plus du tout les usagers). Mais ces files d'attente évitées se retrouvent dans les zones libre service (zones avec des ordinateurs). Les usagers se retrouvent à devoir se débrouiller pour remplir des formulaires d'application standard sur une interface numérique, qui ne permet pas de traiter les situations particulières ou complexes.

3. La numérisation implique une cadence de travail plus soutenue pour les conseillers Pôle Emploi. Certaines tâches n'ont pas de sens (répondre à des multiples mails à la chaîne), le traitement des dossiers est réparti entre différents services qui ne communiquent pas toujours entre eux (indemnisation, conseil pour l'emploi) et entre différentes structures (public, privé) ce qui empêche les agents de pouvoir comprendre et agir sur l'ensemble du processus de traitement des dossiers. Sans compter que les calculs automatiques des algorithmes modifient les dossiers à leur insu. Lorsque les algorithmes buggent, les agents se retrouvent à devoir corriger les erreurs manuellement, ce qui se fait plus ou moins rapidement et leur fait du travail supplémentaire. Bref :  tant les usagèr·es· que les travailleurs des administrations publiques souffrent de ce problème. 

4. Une perte de contrôle des usagers sur leurs données personnelles. Il y a de plus en plus d'interconnexion de fichiers entre les administrations publiques (Pôle Emploi, CAF, Sécurité Sociale, impôts) et le droit d'accès des contrôleurs ne fait que s'élargir (comptes bancaires, données détenues par les fournisseurs d'énergie, opérateurs téléphoniques, employeurs...). Certaines données s'échappent parce que confiées à des entreprises privées. "France Travail" : un réseau d'opérateurs où les agences privées seront plus impliquées, élargissement de l'accès aux données personnelles

Expérience de changer de cap

 1. Surveillance et contrôles par des algorithmiques de scoring (l'algorithme classe, trie, via l'attribution d'une note "score de risque" pour sélectionner les profils devant faire l'objet de contrôles approfondis. Ce sont des algorithmes discriminatoires qui ciblent les publics les plus précaires, les éléments pris en compte sont : les revenus faibles, le fait d'être au chômage ou de ne pas avoir de travail stable, d'être un parent isolé (dont 80% sont des femmes), de dédier une part importante de ses revenus pour se loger, d'avoir de nombreux contacts avec la CAF. Ce sont toujours les mêmes qui font l'objet des contrôles. On les suspecte de fraudes, même si c'est souvent par erreur

2. Changer de Cap a recueilli beaucoup de témoignages des allocataires de la CAF. Difficulté pour les précaires de prendre la parole et de se mobiliser pour faire valoir leurs droits.

Droits

1. Droit à l'aide sociale respectueuse des usagers.

2. Droit à un accompagnement humain sur un lieu physique et un numéro de téléphone avec un temps d'attente limité sans condition (c'est-à-dire gratuitement, sans rendez-vous, sans obligation de maîtriser la langue, etc). Droit au "guichet". (cf : Article 1 Alinéa 1 du Code numérique belge).

3. Droit à plusieurs modes d'accès aux services publics (pas seulement par le portail numérique, droit au traitement papier). L'absence ou le refus d'utilisation d'un téléphone ou d'un ordinateur ne doit pas être un handicap (cf : "Droit au silence numérique" La Quadrature du Net).

4. Droit de refuser qu'une décision nous concernant soit soumise à un algorithme (cf : "Droit à l'intervention humaine face à notre profilage ou à une décisions automatisée", article 22 du RGPD).

5. Droit de retrait pour les agents des administrations publiques obligés d'utiliser le système informatique occasionnant des sanctions automatisées injustes et violentes pour les allocataires.

Revendications, idées

1. Des guichets avec des humains dans les administrations publiques et plusieurs modes d'accès.

2. Concertation des travailleurs et travailleuses, ainsi que des "experts du vécu" (= usagers) avant de modifier l'organisation du système des administrations publiques. Il faut co-construire, co-améliorer les programmes avec les usagers, que ceux-ci aient leurs mots à dire (cf Changer de CAP qui avait fait remonter des revendications à la CAF).

3. Plus de recours à des agences privées dans le traitement des dossiers (sécurité des données).

4. Plus d'imposition des contrôles des usagers par des algorithmes. Comme revendiqué par Changer de Cap, il faut "Mettre fin aux suspensions préventives des prestations" et "Respecter le reste à vivre et la présomption d'innocence".

5. Implanter dans chaque région et chaque quartier, des guichets de proximité avec un représentant de chaque grand organisme social, des impôts, Pôle Emploi, un travailleur social, un ou plusieurs traducteurs et un médiateur social (cf : revendications de 60 millions de consommateurs). Les humains ont une expertise spécifique essentielle. Contre l'intelligence artificielle faire le choix de l'intelligence collective.

Actions, pistes

- Organiser des actions festives avec les usagers (cf : Code du numérique belge).

- Recueillir et partager des témoignages d'usagers victimes du traitement algorithmique sur une plateforme en ligne (exemple de Changer de Cap).

- Mettre une aide en ligne pour que les usagers puissent connaître et faire valoir leurs droits existants vis à vis des administrations publiques + répertoire des organisations pouvant les aider. 

- Créer du lien avec les syndicats et le secteur associatif. Avoir un livret de résistance au changement.

Perspectives prochaines

Travailler sur la question de France Travail.

Travailler sur la question de la plateforme et du recueil de témoignages.

Atelier Travail

Il y a une pluralité de mondes numériques, parmi lesquels il y a des usages positifs et d’autres qu’il faut encadrer voire combattre.

Parmi les usages créatifs, nous avons notamment évoqué un usage de l’intelligence artificielle par une bande de jeunes d’une banlieue de La Courneuve ou d’une commune voisine qui, se déclarant "philosophes", ont maquetté une pluralité d’hypothèses urbaines de leur quartier populaire, en ouvrant des avenues, en les fermant, en les remplaçant par des rivières, etc. ; ils en ont fait un outil de débat avec les élus municipaux. Il existe aussi des outils qui ouvrent le chemin de l’autonomie, tels que ceux permettant à quelqu’un de concevoir sa maison.

En examinant les impacts du numérique sur le travail, nous avons focalisé sur les ERP (Enterprise Resource Planning, en français planification des ressources d’entreprise, ou mieux progiciel de gestion) [1]. Il y a partout des ERP, état de fait incontournable : ERP de production, ERP de gestion, ERP de recrutement, etc.

Pour l’un d’entre nous, ils révèlent la volonté du système économique dominant de tout automatiser, de supprimer toute dépendance à une main d’œuvre dangereuse. L’industrie 4.0 est à ses yeux une impasse économique, écologique et sociale. Inutile de perdre du temps à se battre contre ce système qui ne produit plus, ne nourrit plus, ne soigne plus. L’avenir est ailleurs, notamment dans des formes nouvelles de travail, et dans l’artisanat. Inventons donc une autre informatique, moins lourde et plus performante, au service d’un autre système économique.

Sans contester l’analyse précédente, d’autres membres du groupe ne partagent pas sa conclusion, et ne renoncent pas à tenter de répondre aux attentes de ceux qui aujourd’hui subissent l’emprise de ces ERP.

Fragilité de ces ERP

Ces ERP, présentés comme infaillibles, ne sont pas fiables. Ils s’empilent en générations successives, chacune condamnant la précédente au rebut. Les langages informatiques se succèdent, toujours plus complexes pour tenter de manipuler une quantité exponentielle de données. Les outils sont des prototypes livrés à leurs clients toujours inachevés, en attendant que les clients essuient les plâtres avant d’acheter une nouvelle version.

Quant aux machines qui les gèrent, elles sont elles-mêmes soumises à la faculté des opérateurs de mettre à leur disposition les données dont elles ont besoin. Mais la saturation des serveurs est telle que leur accessibilité sera de plus en plus problématique, et que le débit de la fourniture des données sera très probablement demain soumis à la fortune des utilisateurs : gros débit pour les gros clients, débit limité pour les autres.

Décrochage du réel

Les ERP sont comme "la carte", ils ne sont pas "le territoire". Ils décrivent le travail tel qu’il devrait être dans la tête de leurs concepteurs, et non pas le travail tel qu’il est.

Ils proposent une forme de management uniforme, prétendument applicable à tous les types d’activités, à tout type de service. Ils détruisent toutes les formes de travail collectif, de coopération, de partage des compétences. Ils portent les formes de l’aliénation à des niveaux extrêmes.

Une partie des managers se fient à cette carte, ils se nourrissent de tableaux Excel déconnectés du réel qu’ils transmettent à la hiérarchie au-dessus, et sans prise sur la réalité de la production de biens et de services.

Mais la carte n’est pas le territoire. Le territoire, lui, il existe. Des ouvriers, des ingénieurs et des techniciens le font vivre, quasiment indépendamment des ERP [2]. Le travail réel ne fonctionne que parce que certains sur le terrain font autre chose que ce qui est commandé par l’ERP. Dans les hôpitaux, la période covid a été particulièrement révélatrice : les manageurs et leurs tableaux ont provisoirement disparu, et les personnels soignants, infirmières et médecins, ont pu s’auto-organiser de manière efficace au milieu des pires difficultés et pénuries.

S’ouvrent les questions du droit à la coopération et du droit au collectif de travail librement choisi. Et particulièrement difficile, la question du droit à l’infraction.

Résistance au changement et régulation de ce changement

Il y a de multiples résistances à l’installation des ERP. Il faut populariser au maximum ces résistances. Les plus visibles sont celles qui résistent à des changements organisationnels qui réduisent les emplois.

Bien des changements organisationnels n’ont pas d’influences, au moins immédiates, sur l’emploi. Mais ils impactent les travailleurs et leur santé. Si les systèmes mis en œuvre tendent plutôt à la réduction des risques physiques et de la pénibilité physique – les robots se substituant aux hommes et femmes – nombre d’entre eux augmentent lourdement la pénibilité psychique, élèvent le stress, l’exigence d’une attention soutenue ; ils suppriment les micro-temps de pause où le salarié se régénère dans une alternance de temps forts et de relâches ; ils conduisent à une intensification du travail qui peut parfois provoquer de gros drames individuels ou collectifs, et qui a toujours des effets sanitaires désastreux.

Les organisations syndicales, à travers les CSE – lesquels devraient reprendre toutes les fonctions des CHSCT mais n’y parviennent guère - devraient en principe être consultées sur tous les changements d’organisation du travail. Il est impossible d’accepter que l’introduction d’un ERP soit le résultat d’une décision unilatérale de la direction. Cette consultation devrait prendre la forme d’une simulation de la mise en œuvre de l’outil prévu et de ses effets [3].

L’exigence des organisations syndicales, ou des collectifs là où il n’y a pas de présence syndicale, devrait être que les ERP laissent des marges de manœuvre aux opérateurs et aux responsables hiérarchiques de terrain. Car il n’y a de "travail réellement humain" [4] que là où le travailleur peut apporter une part de son intelligence et de sa créativité [5]. Elles devraient disposer d’un droit de veto.

Nous souhaiterions proposer un livret de résistance au changement ou de mise en œuvre d’un changement satisfaisant. Résister, fédérer, amorcer. Donc construire notre propre changement : nos propres formes d’organisations du travail, notre droit à définir la finalité de nos activités, au fond notre droit au travail créateur.

A été proposée une plateforme #balance ton algorithme : les salarié-es témoignent de ce qu’ils et elles vivent au travail, partagent leur souffrance, se sentent moins seul-es.

Le droit d’accéder à ses données personnelles dans l’entreprise, et à leur protection, mérite d’être creusée.

De même que celui d’avoir du temps pour travailler correctement sans être dérangé sans cesse par des courriels, des SMS, etc. (une sorte de droit à la déconnexion sur le lieu de travail).

Source possible : étude de Stephen Bouquin, publiée le 1er août 2023 sur le site https://lesmondesdutravail.net/management-algorithmes-part1/ [article publié dans Travailler au Futur n° 6]. Stephen Bouquin, sociologue, est professeur à l’université d’Évry, directeur de publication de la revue Les Mondes du Travail. L’étude est en deux parties. La première partie décrit le travail dirigé par les algorithmes, la seconde montre comment des travailleurs, dans divers secteurs, tentent de résister.

[1] Sur le site d’Oracle : "Un système ERP (Enterprise resource planning) est un type de logiciel que les entreprises utilisent pour gérer leurs activités quotidiennes telles que la comptabilité, les achats, la gestion de projets, la gestion des risques et la conformité, ainsi que les opérations de supply chain. Une suite ERP complète comprend également un logiciel de gestion de la performance (EPM) qui aide à planifier, budgétiser, prévoir et générer un rapport sur les résultats financiers d’une entreprise."

[2] Le logiciel qui a prétendu optimiser les tournées des préposés à la distribution du courrier (les facteurs) ne tient pas compte du territoire réel dans lequel agissent les postiers. Le service n’est désormais rendu que parce que des postiers jonglent avec le règlement et souvent accomplissent bénévolement des heures supplémentaires. Les organisations syndicales ont demandé à la Direction de La Poste de leur faire connaître les algorithmes de ce logiciel. La Direction a botté en touche : elle les avait perdus. (Voir le livre de Nicolas JOUNIN – Le caché de la Poste, éditions de La Découverte 2021).

[3] L’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) propose des outils de simulation.

[4] C’est la formule de l’OIT, qui devrait juridiquement s’imposer à toute entreprise.

[5] Cf. Alain SUPIOT, https://www.youtube.com/watch?v=VW0eQzrgiMY&themeRefresh=1

Atelier Agriculture

Droits

Droit au refus du contrôle subi et accès au données : surveillance des parcelles agricoles pour la PAC qui va se faire dorénavant par satellite (plutôt que par la déclaration de l'agriculteur·ices), géo-localisation des engins agricoles par des multinationales comme John Deere, puçage des animaux etc.

Actions

1. Information et sensibilisation des scolaires en lien avec la restauration (scolaire et collective). Les profs de SVT, d'histoire, de langues, etc. Il faut informer les élèves des enjeux de l'agriculture.

2. Action auprès des SAFER : les collectivités locales présentes dans les SAFER devraient porter les politiques publiques face aux enjeux fonciers.

3. Le numérique ne peut pas être décorélé de la taille des exploitations. Si l'on veut se passer du numérique il faut diminuer la taille.

4. Créer un parlement des technologies paysannes.

5. Actions sur (contre) des fermes expérimentales et des salons pros

6. Actions de désarmement et de piratage.

7. Les agriculteurs peuvent devenir de plus en plus dépendants de certains services numériques.

8. Retirer les technologies numériques des aides aux agriculteurs : ne plus financer les outils technologiques, rediriger ces financements plutôt sur le nombre de travailleurs présents sur l'exploitation.

9. Agir sur la pénibilité du travail agricole : moins il y a de paysans, plus les fermes s'agrandissent et deviennent de vraies firmes, avec un travail de plus en plus important, assisté par des technologies (culture hors sol, robotisation, exosquelette etc.). Le travail agricole doit être moins pénible. La taille des fermes doit être limitée.

10. Droit au boycott de l'enseignement : par les enseignants en lycée agricole

11. Actions en faveur de l'agriculture paysanne et de l'augmentation du nombre de paysans-paysannes.

Sources

Conférences et prix remis dans le cadre des salons pros, par exemple :
https://m.simaonline.com/Evenements/SIMA-Innovation-Awards/Decouvrez-les-Laureats-de-l-edition-2022

Pour la filière élevage, l'IDELE a créé une base de données qui recense les technologies numériques à disposition des éleveurs, vertigineux !
https://idele.fr/equipements-smrt-elevage

Références du livre de l'atelier paysan, où est proposé l'idée d'un parlement des technologies paysannes : Editions du Seuil
Reprendre la terre aux machines – Manifeste pour une autonomie paysanne et alimentaire, l’Atelier Paysan, mai 2021

3 réponses sur « Ateliers Droits sociaux - Travail - Agriculture : après-midi »