L'imposition du "contrôle numérique" par les évènements sportifs : appel de la Quadrature, débat avec Saccage 2024

Le projet de loi concernant les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 vient d'être voté au Sénat (encore un texte en procédure d'urgence !) où le parti LR est en train de faire de la surenchère en faveur de la reconnaissance faciale (voir 2e encadré).

Le texte actuel prévoit d'ores et déjà d’ouvrir la voie à la légalisation de la vidéosurveillance automatisée (ou algorithmique, abrégée "VSA", notamment "pour détecter des événements anormaux"). 

Le collectif Saccage 2024 (1) propose une présentation-discussion sur ce projet de loi le jeudi 26 janvier à 18h30 à l’Amicale Laïque du Crêt de Roch

(1) Saccage 2024 est un collectif d’habitant·es de Seine-Saint-Denis qui lutte depuis près de trois ans contre les saccages sociaux, écologiques, démocratiques provoqués par les JO.

Edito de Maxense Lambrecq sur la vidéosurveillance "augmentée" (France Inter)

Déjà en septembre 2021, l'ex député de la Loire, Jean-Michel Mis (LREM, battu depuis par Andrée Taurinya, LFI), avait produit un rapport sur "un usage responsable et acceptable par la société des technologies de sécurité", en vue de l’organisation de la coupe du monde de rugby en 2023, et des Jeux olympiques de 2024 à Paris.

Il promouvait à cette occasion l’emploi de la reconnaissance faciale en temps réel comme lors du carnaval de Nice … et comme en Chine. Pour faciliter l'acceptation de ces dispositifs par les habitant·es, il proposait des expérimentations (des sénateurs proposaient jusqu'à ... 3 ans !), notamment à l'occasion de ces évènements sportifs.

Or, Saint-Etienne sera par exemple concernée par quatre rencontres lors de la coupe du monde de rugby en 2023, et par six lors des jeux olympiques et paralympiques de 2024. Nul doute qu'à ces occasions des élu·es locaux, déjà addict·es aux technologies numériques de surveillance (caméras, centre de supervision automatisé voire micros, même contre leurs propres comparses politiques...) en profiteront pour se doter des systèmes les plus inquisiteurs, utilisables de façon permanente après les jeux...

Vidéosurveillance algorithmique partout

L'investissement dans la vidéosurveillance est national : par exemple 15000 caméras supplémentaires seront déployées pour les JO et la Coupe du Monde de Rugby, pour 44 millions d’euros via les "plans Zéro Délinquance". Ce qui s'ajoute au triplement des aides aux communes pour s'équiper prévu par la loi LOPMI. Le budget spécifique pour ces évènements est passé dernièrement de 182 à 295 millions d’€, et pourrait encore être revu à la hausse.

L'investissement est aussi "qualitatif" : comme l'explique dans une perspective historique le sociologue Jules Boykoff, les jeux sont une occasion trop belle pour tenter la bascule vers la vidéosurveillance algorithmique (analysée en temps réel et en continu).

Une phase de test a été initiée pour au total 180 expérimentations locales. Ces tests visent en outre à favoriser les industriels de la technopolice au niveau international sur les marchés de la sécurité. C'est un coup double : ils écoulent leur matériel pour la répression policière en France, et en plus ils vendent ces armes technologiques à l’étranger !

Mais au delà, c'est donc le projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 qui vise à la légalisation de la vidéosurveillance algorithmique, c’est-à-dire à la détection par logiciel de comportements dits "suspects". Celle-ci recourt à l’analyse biométrique (par le biais d'algorithmes), comme la reconnaissance faciale.

De fait, l'affirmation par la ministre des sports et des JOP (Jeux olympiques et paralympiques), Amélie Oudéa-Castéra, que le projet de loi "exclut totalement et explicitement le recours à la reconnaissance faciale" (comme repris complaisamment dans Le Monde), est bien loin de fournir une garantie...

JO 2024 : les sénateurs Les Républicains envisagent une proposition de loi spécifique sur la reconnaissance faciale d'après Le Monde. Il est vrai qu'ils "bénéficient" de son expérimentation "en grandeur nature" lors du carnaval de Nice par Estrosi, mais aussi de la volonté de Waukiez de la déployer dans les gares et trains de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Face à Darmanin et Macron, leur seule option semble être celle de la surenchère sécuritaire au détriment des habitant·es.

La CNIL veille...

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a rendu, le 4 janvier, un avis sur ce projet de loi. Alors que le gouvernement a déclenché, une nouvelle fois, une procédure d’urgence sur ce texte, la CNIL dénonce le trop court délai qui lui est laissé : "elle regrette d’avoir à se prononcer en urgence sur les évolutions envisagées par le projet de texte, compte tenu de la prévisibilité, largement connue à l’avance, de l’évènement et des enjeux importants s’agissant de la vie privée des personnes concernées".

Drones équipés de caméras

Le texte prévoit d’autoriser, "à titre expérimental", le déploiement de drones équipés de caméras "intelligentes" couplées à des algorithmes, capables "de détecter et de signaler en temps réel des évènements prédéterminés" et ainsi de repérer des mouvements de foule ou des bagarres aux abords des enceintes sportives.

Pour la CNIL, "le déploiement, même expérimental, de ces dispositifs de caméras augmentées est un tournant qui va contribuer à définir le rôle qui sera confié dans notre société à ces technologies, et plus généralement à l’intelligence artificielle". Ils ne constituent pas une simple évolution technologique, mais une modification de la nature des dispositifs vidéo, pouvant entraîner des risques importants pour les libertés individuelles et collectives et un risque de surveillance et d’analyse dans l’espace public."

La Commission rappelle qu’elle avait rendu publique, au mois de juillet dernier, sa position sur la question des caméras "augmentées", en énumérant certaines conditions. Elle recommande qu'elle soit suivie d'une évaluation et stipule que cette expérimentation "ne saurait en aucun cas préjuger d’une éventuelle pérennisation de ces systèmes".

Elle exclut le recours à la reconnaissance faciale, ainsi que la possibilité d’interconnexion avec d’autres fichiers qui permettrait par exemple d’identifier une personne pour lancer des poursuites contre elle.

ADN, scanners corporels

Le projet de loi prévoit aussi d’autoriser la collecte de l’ADN des sportifs dans le cadre de la lutte antidopage. La CNIL demande préciser les modalités d'information et de recueil du consentement du sportif".

Autre mesure : les scanners corporels, envisagée par Darmanin "avant d’en venir à l’armée". La CNIL "rappelle que la mise en œuvre d’un scanner corporel constitue un traitement de données à caractère personnel" pouvant être particulièrement intrusif.

Il serait possible de refuser de passer par le scanner corporel. Dans ce cas, le contrôle serait fait par des "palpations manuelles, assurées par un agent du même sexe".

Mise en conformité "a minima" du CSI

Un autre article du projet de loi vise à mettre en conformité le Code de la sécurité intérieure (CSI) avec la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, texte fondateur de la protection des données personnelles. D'après la CNIL, "plusieurs dispositions du CSI ... ne permettent plus aux responsables de traitement de connaître l’état réel de leurs obligations en la matière ni aux personnes concernées de savoir de quelle manière exercer leurs droits, alors même que ces dispositions constituent le cadre juridique général en la matière."

Or, la révision proposée par le gouvernement est loin de satisfaire la CNIL : "La Commission constate que celui-ci a fait le choix de modifier a minima les dispositions existantes et souligne le fait qu’une réforme plus globale des traitements des images dans les espaces ouverts au public sera nécessaire pour sécuriser les acteurs et encadrer les usages."

Enquêtes administratives

Le gouvernement souhaite en outre rendre obligatoires les enquêtes administratives sur toute personne y ayant accès sans être spectatrice, notamment "les membres des délégations qui résideront au village olympique et paralympique, les bénévoles ainsi que les prestataires techniques". La CNIL pointe que cette réforme "conduira à élargir de manière très substantielle le périmètre des personnes concernées par ces dispositions. Cela pourrait en effet représenter environ 50 000 à 60 000 participants pour les seuls Jeux olympiques et paralympiques".

L'enquête, menée par le Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS), implique la consultation des divers fichiers de police, les données "pourront être conservées pour une durée pouvant aller jusqu’à cinq ans au sein du fichier mis en œuvre par ce service". Or, "des préjudices importants pour les personnes concernées peuvent découler d’un avis ou d’une décision défavorable à la suite de ces consultations", souligne la CNIL.

Ces obsrvations, quoique timides, sont pertinentes. Mais, on doit le constater, la CNIL est marginalisée et ses avis sont en plus systématiquement ignorés par les politiques et contournés par les industriels.

Appel de la Quadrature du net et autres actions

Au fil des années, les luttes contre les Jeux Olympiques et d'autres évènements sportifs mondialisés se multiplient et se coordonnent à travers le monde.

En France, les collectifs NON aux JO 2024 et Saccage 2024 mettent l’accent sur le pillage social, écologique et sécuritaire liés à ces JO 2024. Une rencontre internationale s'est tenue en mai 2022 avec des militants anti-JO pour dénoncer leurs "vrais" objectifs : "gentrification des villes, spéculation, développement des logiciels de surveillance et la sécurité…"

Une tribune sur le site LundiMatin en appelle à faire face à l’agression olympique : "Non au Big Brother Olympique".

Sur la contestation de la vidéosurveillance algorithmique et, par prolongation "naturelle", de la reconnaissance faciale automatisée, La Quadrature du net est depuis plusieurs mois voire plusieurs années en pointe. Elle lance un appel que nous relayons, notamment pour empêcher l'intégration de l'article 7 qui rend possible la mise en place de dispositifs expérimentaux de vidéosurveillance automatisée "dès l'entrée en vigueur de la loi, et jusqu'au 30 juin 2025". D'après le site vie-publique.fr, [ils] "utiliseront des algorithmes d'intelligence artificielle (IA) capables de détecter des situations dangereuses pour la sécurité des personnes, comme les mouvements de foule".

Article 7 :

A titre expérimental et jusqu’au 30 juin 2025, à la seule fin d’assurer la sécurité de manifestations sportives, récréatives ou culturelles, qui, par leur ampleur ou leurs circonstances sont particulièrement exposées à des risques d’actes de terrorisme ou d’atteinte grave à la sécurité des personnes, les images collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection autorisés sur le fondement de l’article L. 252-1 du code de sécurité intérieure et de caméras installées sur des aéronefs autorisées sur le fondement du chapitre II du titre IV du livre II du même code dans les lieux accueillant ces manifestations et à leurs abords, ainsi que dans les moyens de transport et sur les voies les desservant, peuvent faire l’objet de traitements comprenant un système d’intelligence artificielle.
Ces traitements ont pour unique objet de détecter, en temps réel, des événements prédéterminés susceptibles de présenter ou de révéler ces risques et de les signaler en vue de la mise en œuvre des mesures nécessaires, par les services de la police et de la gendarmerie nationales, les services d’incendie et de secours, les services de police municipale et les services internes de sécurité de la SNCF et de la Régie autonome des transports parisiens.

La Quadrature du net, qui vient de publier un rapport sur l’article 7, souligne que "Le projet de loi propose d'expérimenter la vidéosurveillance automatisée alors même qu'aucune évaluation publique des dispositifs actuels de vidéosurveillance n'existe (…) ni une quelconque utilité scientifiquement démontrée", d'après un rapport de la Cour des comptes. Elle remarque que "cette vidéosurveillance algorithmique va analyser les corps, qualifier les comportements. C’est donc bien un traitement biométrique."

Le Conseil d'Etat avait souligné, dans un avis publié en décembre 2022, que onze des 19 mesures du texte, présentaient "un caractère permanent" et étaient "conçues pour s'appliquer y compris en dehors de la période" des Jeux olympiques et paralympiques.

Amnesty International appelle aussi au retrait de l'article 7 (communiqué du 24 novembre). Elle alerte sur "une normalisation de pratiques de surveillance préoccupante pour nos libertés" et sur "les risques de dérives dangereuses". Pour elle, "la portée du texte dépasse largement les seuls Jeux Olympiques de 2024. Ce sont en effet tous les événements sportifs, festifs et culturels qui seront concernés par le dispositif de surveillance dès l’adoption de la loi et jusqu’à juin 2025. L’exception risque donc de devenir la norme dans un contexte de volonté très claire des autorités françaises d’élargir leur pouvoir de surveillance. Les Jeux olympiques ne doivent pas servir de prétexte pour faciliter l'instauration d'un état d'exception permanent".

Le Conseil national des barreaux (CNB) déclare que "les avocats ne laisseront pas les Jeux olympiques se transformer en concours Lépine des atteintes aux libertés individuelles".

D'après l'AFP, côté élu·es de gauche, il n'y a pas de LFI au sénat, et les socialistes présents sont soucieux "d’accompagner le développement dans de bonnes conditions". Les sénateurs communistes et écologistes ont, eux, marqué leur opposition. Un EELV déplore des "technologies absolument pas matures, qui pourraient nourrir des systèmes ensuite potentiellement utiles à des tyrannies à l’autre bout du monde". Une élue communiste dénonce des "JO devenant un accélérateur de la surveillance, et un texte cheval de Troie".

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