La coalition européenne Reclaim Your Face (qui comprend 22 membres, dont LQDN pour la France, et 55 partenaires, dont pour la France la LDH, Amnesty France et Wikimedia) publie un communiqué suite aux négociations européennes avec les Etats.
Le ton est pessimiste car certains de ces Etats (au premier rang la France, alliée à des pays dominés par l'extrême droite) jouent la minorité de blocage (dans le système du vote à la majorité qualifiée, il suffit de réunir des pays représentant au moins 35 % de la population de l’UE...) pour s'opposer aux quelques avancées du texte (voir inventaire des négociations).
- L'AI act a été voulu dès 2021 par Thierry Breton (LE commissaire français), sur une base pro-industriels (T. Breton est l'ancien PDG d'Orange et d'ATOS...).
- mais une alliance européenne des organisations de défense des droits numériques a permis d'obtenir des amendements présentant de réelles avancées (interdiction des IA utilisant la reconnaissance faciale en temps réel ou a posteriori, de celles permettant la police prédictive, l'usage de critères portant sur le genre ou la race, la notation automatisée, l’analyse comportementale dont la reconnaissance des émotions...). Cela a abouti à et un vote très massif du parlement européen en faveur du texte ainsi amendé.
- ... avec un bémol important : les migrant.es n'étaient pas couverts par ce texte, faisant d'eux des européens de seconde zone (voir appel des 151 organisations demandant à l'UE de respecter les droits humains, particulièrement ceux des migrant·es)
- la négociation avec les Etats a donc fait partiellement capoté cette dynamique vers un texte - assez - protecteur en multipliant les droits d'exception et les formulations floues.
- L'IA act a été adopté le 2 février à l’unanimité par les ambassadeurs de l’UE. Dès que le Parlement européen l’aura validé – ce qui ne fait guère de doute –, la loi sur l’IA (AI Act) pourra être mise en œuvre.
Communiqué de la coalition Reclaim Your Face (traduit par LQDN)
Le 8 décembre 2023, les législateurs de l’Union européenne se sont félicités d’être parvenus à un accord sur la proposition de règlement tant attendue relative l’intelligence artificielle ("règlement IA"). Les principaux parlementaires avaient alors assuré à leurs collègues qu’ils avaient réussi à inscrire de solides protections aux droits humains dans le texte, notamment en excluant la surveillance biométrique de masse (SBM).
Pourtant, malgré les annonces des décideurs européens faites alors, le règlement IA n’interdira pas la grande majorité des pratiques dangereuses liées à la surveillance biométrique de masse. Au contraire, elle définit, pour la première fois dans l’UE, des conditions d’utilisation licites de ces systèmes. Les eurodéputés et les ministres des États membres de l’UE se prononceront sur l’acceptation de l’accord final au printemps 2024.
L’UE entre dans l’histoire – pour de mauvaises raisons
La coalition Reclaim Your Face soutient depuis longtemps que les pratiques des SBM sont sujettes aux erreurs et risquées de par leur conception, et qu’elles n’ont pas leur place dans une société démocratique. La police et les autorités publiques disposent déjà d’un grand nombre de données sur chacun d’entre nous ; elles n’ont pas besoin de pouvoir nous identifier et nous profiler en permanence, en objectifiant nos visages et nos corps sur simple pression d’un bouton.
Pourtant, malgré une position de négociation forte de la part du Parlement européen qui demandait l’interdiction de la plupart des pratiques de SBM, très peu de choses avaient survécu aux négociations du règlement relatif à l’IA. Sous la pression des représentants des forces de l’ordre, le Parlement a été contraint d’accepter des limitations particulièrement faibles autour des pratiques intrusives en matière de SBM.
L’une des rares garanties en la matière ayant apparemment survécu aux négociations – une restriction sur l’utilisation de la reconnaissance faciale a posteriori [par opposition à l’utilisation en temps réel] – a depuis été vidée de sa substance lors de discussions ultérieures dites "techniques" qui se sont tenues ces dernière ssemaines.
Malgré les promesses des représentants espagnols en charge des négociations, qui juraient que rien de substantiel ne changerait après le 8 décembre, cette édulcoration des protections contre la reconnaissance faciale a posteriori est une nouvelle déception dans notre lutte contre la société de surveillance.
Quel est le contenu de l’accord ?
D’après ce que nous avons pu voir du texte final, le règlement IA est une occasion manquée de protéger les libertés publiques. Nos droits de participer à une manifestation, d’accéder à des soins de santé reproductive ou même de nous asseoir sur un banc pourraient ainsi être menacés par une surveillance biométrique omniprésente de l’espace public. Les restrictions à l’utilisation de la reconnaissance faciale en temps réel et a posteriori prévues par la loi sur l’IA apparaissent minimes et ne s’appliqueront ni aux entreprises privées ni aux autorités administratives.
Nous sommes également déçus de voir qu’en matière de "reconnaissance des émotions" et les pratiques de catégorisation biométrique, seuls des cas d’utilisation très limités sont interdits dans le texte final, avec d’énormes lacunes.
Cela signifie que le règlement IA autorisera de nombreuses formes de reconnaissance des émotions – telles que l’utilisation par la police de systèmes d’IA pour évaluer qui dit ou ne dit pas la vérité – bien que ces systèmes ne reposent sur aucune base scientifique crédible. Si elle est adoptée sous cette forme, le règlement IA légitimera une pratique qui, tout au long de l’histoire, a partie liée à l’eugénisme.
Le texte final prévoit également d’autoriser la police à classer les personnes filmées par les caméras de vidéosurveillance en fonction de leur couleur de peau. Il est difficile de comprendre comment cela peut être autorisé étant donné que la législation européenne interdit normalement toute discrimination. Il semble cependant que, lorsqu’elle est pratiquée par une machine, les législateurs considèrent de telles discriminations comme acceptables.
Une seule chose positive était ressorti des travaux techniques menés à la suite des négociations finales du mois de décembre : l’accord entendait limiter la reconnaissance faciale publique a posteriori aux cas ayant trait à la poursuite de crimes transfrontaliers graves. Bien que la campagne "Reclaim Your Face" ait réclamé des règles encore plus strictes en la matière, cela constituait un progrès significatif par rapport à la situation actuelle, caractérisée par un recours massif à ces pratiques par les États membres de l’UE.
Il s’agissait d’une victoire pour le Parlement européen, dans un contexte où tant de largesses sont concédées à la surveillance biométrique. Or, les négociations menées ces derniers jours, sous la pression des gouvernements des États membres, ont conduit le Parlement à accepter de supprimer cette limitation aux crimes transfrontaliers graves tout en affaiblissant les garanties qui subsistent. Désormais, un vague lien avec la "menace" d’un crime pourrait suffire à justifier l’utilisation de la reconnaissance faciale rétrospective dans les espaces publics.
Il semblerait que ce soit la France qui ait mené l’offensive visant à faire passer au rouleau compresseur notre droit à être protégés contre les abus de nos données biométriques. À l’approche des Jeux olympiques et paralympiques qui se tiendront à Paris cet été, la France s’est battue pour préserver ou étendre les pouvoirs de l’État afin d’éradiquer notre anonymat dans les espaces publics et pour utiliser des systèmes d’intelligence artificielle opaques et peu fiables afin de tenter de savoir ce que nous pensons. Les gouvernements des autres États membres et les principaux négociateurs du Parlement n’ont pas réussi à la contrer dans cette démarche.
En vertu du règlement IA, nous serons donc tous coupables par défaut et mis sous surveillance algorithmique, l’UE ayant accordé un blanc-seing à la surveillance biométrique de masse. Les pays de l’UE auront ainsi carte blanche pour renforcer la surveillance de nos visages et de nos corps, ce qui créera un précédent mondial à faire froid dans le dos.
2 réponses sur « Le règlement européen sur l’IA n’interdira pas la surveillance biométrique de masse »
[…] les législateurs considèrent de telles discriminations comme acceptables. » (Reclaim Your Face, communiqué de janvier […]
[…] Mais les Etats (au premier rang la France macroniste, qui aurait dû renoncer à la VSA...) ont obtenu le déclassement de certains dispositifs "interdits" vers seulement "réglementés", et beaucoup de droits d'exception, ce qui dénature le texte négocié avec le Parlement. La version finale de ce règlement n’interdira pas la surveillance biométrique de masse. […]