Le projet de règlement européen sur l'IA, voté très majoritairement par le Parlement de l'UE le 14 juin, est actuellement en négociation avec les Etats dans le cadre du "trilogue" [1].
Deux écueils peuvent se présenter
- Les Etats, sous la pression des lobbies industriels et aussi pour pouvoir maintenir leurs propres législations répressives (c'est particulièrement le cas de la France qui, seule en Europe, introduit la reconnaissance faciale à l'occasion de la loi JO 2024 !), peuvent être tentés d'affaiblir le texte voté au Parlement (qui prévoit les interdictions de l'identification biométrique, de la reconnaissance des émotions et de la police prédictive, voir détails dans notre article).
- le texte voté a de fait totalement ignoré la protection des migrant·es, pourtant particulièrement ciblé·es par les dispositifs d'IA financés par l'UE.
La déclaration, signée par 151 organisations, de toute l'Europe mais aussi internationales (seulement deux françaises, dont la LDH) vise donc à maintenir les acquis du texte face aux lobbies et aux appétits de contrôle de certains Etats, et à y intégrer la défense des droits humains pour les migrant·es.
Dans la même perpective, la secrétaire générale d'Amnesty International (la française Agnès Callamard) avait diffusé fin avril une lettre ouverte (éléments ci-dessous après la déclaration des 151).
L'ONG Statewatch, d'origine anglaise mais qui a désormais des antennes dans plusieurs pays d'Europe, a produit une analyse très riche sur l'absence de garanties en matière de migration et d'asile dans ce règlement européen sur l'IA.
[1] "Trilogue" : phase de négociation entre le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne, pour parvenir à un accord sur une proposition législative acceptable pour le Parlement et le Conseil.
Déclaration des 151 organisations de la société civiles : le règlement européen sur l'IA doit protéger les droits des citoyens
Communiqué de l'EDRi (European Digital Rights), sur le site de la LDH
151 organisations de la société civile demandent au Parlement européen, à la Commission européenne et au Conseil de l’UE de donner la priorité aux personnes et à leurs droits fondamentaux dans la loi sur l’intelligence artificielle (IA), au moment où les institutions de l’UE entament les négociations du “trilogue”. Ces réunions décisives détermineront la législation finale et la place qu’elle accordera aux droits de l’Homme et aux préoccupations des personnes susceptibles d’être affectées par des systèmes d’IA “risqués”.
Les systèmes d’IA ont déjà un impact considérable sur nos vies. Ils sont de plus en plus utilisés pour nous surveiller et nous identifier dans les espaces publics, prédire notre probabilité de criminalité, réorienter les contrôles de police et d’immigration vers des zones déjà surveillées, faciliter les violations du droit de demander l’asile, prédire nos émotions et nous catégoriser. Ils sont également utilisés pour prendre des décisions cruciales à notre sujet, par exemple en ce qui concerne l’accès aux programmes d’aide sociale.
En l’absence d’une réglementation appropriée, elles exacerberont les préjudices sociétaux existants liés à la surveillance de masse, à la discrimination structurelle et au pouvoir centralisé des grandes entreprises technologiques.
Le règlement sur l’IA est une occasion cruciale de réglementer cette technologie et de donner la priorité aux droits des personnes plutôt qu’aux profits. Grâce à cette législation, l’UE doit veiller à ce que le développement et l’utilisation de l’IA soient responsables et publiquement transparents, et à ce que les personnes aient les moyens de dénoncer les préjudices subis :
– donner aux personnes concernées les moyens d’agir en mettant en place un cadre de responsabilité, de transparence, d’accessibilité et de réparation.
Il s’agit notamment d’exiger une évaluation de l’impact sur les droits fondamentaux avant de déployer des systèmes d’IA à haut risque, l’enregistrement des systèmes à haut risque dans une base de données publique, des exigences d’accessibilité horizontales et intégrées pour tous les systèmes d’IA, le droit de porter plainte lorsque les droits des personnes sont violés par un système d’IA, ainsi que le droit à la représentation et le droit à des recours efficaces.
– limiter la surveillance préjudiciable et discriminatoire exercée par les services de sécurité nationale, les services répressifs et les autorités chargées des migrations.
Lorsque les systèmes d’IA sont utilisés à des fins de maintien de l’ordre, de sécurité et de contrôle des migrations, le risque de préjudice et de violation des droits fondamentaux est encore plus grand, en particulier pour les communautés déjà marginalisées. Des lignes rouges claires doivent être fixées pour ce type d’utilisation afin de prévenir les préjudices. Il faut notamment interdire tous les types d’identification biométrique à distance, les systèmes de police prédictive, les évaluations des risques individuels et les systèmes d’analyse prédictive dans les contextes migratoires.
– lutter contre le lobbying des grandes entreprises technologiques et supprimer les lacunes qui nuisent à la réglementation.
Pour que la loi sur l’IA soit effectivement appliquée, les négociateurs doivent s’opposer aux efforts de lobbying déployés par les grandes entreprises technologiques pour affaiblir la réglementation. Cela est particulièrement important en ce qui concerne la classification des risques des systèmes d’IA. Cette classification doit être objective et ne doit pas laisser aux développeurs d’IA la possibilité de déterminer eux-mêmes si leurs systèmes sont suffisamment “importants” pour être classés comme étant à haut risque et nécessiter une protection juridique. Les entreprises technologiques, motivées par la recherche du profit, voudront toujours sous-classer les systèmes d’IA.
151 Signataires
1. European Digital Rights (EDRi), Europe | 39.Charity & Security Network | 77.Fundacion Secretariado Gitano, Europe | 115. Moomken organization for Awareness and Media |
2. Access Now, International | 40.Citizen D / Državljan D, Slovenia | 78.Gong | 116. National Campaign for Sustainable Development Nepal |
3. Algorithm Watch, Europe | 41.Civil Liberties Union for Europe | 79.Greek Forum of Migrants | 117. National Network for Civil Society (BBE) |
4. Amnesty International | 42.Civil Society Advocates | 80.Greek Forum of Refugees | 118. National old folks of Liberia |
5. Bits of Freedom, Netherlands | 43.Coalizione Italiana Liberta e Diritti civili | 81.Health Action International | 119. Novact, Spain |
6. Electronic Frontier Norway (EFN) | 44.Comision General Justicia y Paz de Espana | 82.Hiperderecho | 120. Observatorio Trabajo, Algoritmo y Sociedad |
7. European Center for Not-for-Profit Law, (ECNL) | 45.Comision Legal Sol | 83.Homo Digitalis | 121. Open Knowledge Foundation Germany |
8. European Disability Forum (EDF) | 46.Commission Justice et Paix Luxembourg | 84.horizontl Collaborative | 122. Partners Albania for Change and Development |
9. Fair Trials, International | 47.Controle Alt Delete, Netherlands | 85.Human Rights Watch, International | 123. Politiscope |
10. Homo Digitalis, Greece | 48.Corporate Europe Observatory (CEO) | 86.I Have Rights | 124. Privacy First |
11. Irish Council for Civil Liberties (ICCL) | 49.D64 - Zentrum fur digitalen Fortschritt | 87.IDAY-Liberia Coalition Inc. | 125. Privacy International |
12. Panoptykon Foundation, Poland | 50.DanChurchAid (DCA) | 88.ILGA-Europe (the European region of the International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association) | 126. Privacy Network |
13. Platform for International Cooperation on the Rights of Undocumented Migrants (PICUM), Europe | 51.Danes je nov dan, Inštitut za druga vprašanja | 89.info.nodes | 127. Promo-LEX Association |
14.7amleh-The Arab Center for the Advancement of Social Media | 52.Data Privacy Brasil | 90.Initiative Center to Support Social Action "Ednannia" | 128. Prostitution Information Center (PIC) |
15.Academia Cidada – Citizenship Academy | 53.Defend Democracy | 91.Institute for Strategic Dialogue (ISD) | 129. Protection International |
16.Africa Solidarity Centre Ireland | 54.Democracy Development Foundation | 92.International Commission of Jurists | 130. Public Institution Roma Community Centre |
17.AlgoRace, Spain | 55.Digital Security Lab Ukraine | 93.International Rehabilitation Council for Torture victims | 131. Racism and Technology Center |
18.Algorights, Spain | 56.Digital Society, Switzerland | 94.IT-Pol | 132. Red en Defensa de los Derechos Digitales |
19.All Faiths and None | 57.Digitalcourage, Germany | 95.Ivorian Community of Greece | 133. Red Espanola de Inmigracion y Ayuda al Refugiado |
20.All Out | 58.Digitale Gesellschaft, Germany | 96.Kif Kif vzw | 134. Refugee Law Lab, York University, Canada |
21.Anna Henga | 59.Digitalfems, Spain | 97.KOK - German NGO Network against Trafficking in Human Beings | 135. REPONGAC |
22.Anticorruption Center | 60.Diotima Centre for Gender Rights & Equality | 98.KontraS | 136. SHARE Foundation, Serbia |
23.ARSIS - Association of the Social Support of Youth | 61.Donestech | 99.Kosovar Civil Society Foundation (KCSF) | 137. SOLIDAR & SOLIDAR Foundation |
24.ARTICLE 19 | 62.epicenter.works - for digital rights | 100. La Strada International | 138. Statewatch, International |
25. Asia Indigenous Peoples Pact | 63.Equinox Initiative for Racial Justice, Europe | 101. Lafede.cat | 139. Stichting LOS |
26.Asociacion Por Ti Mujer | 64.Estonian Human Rights Centre | 102. LDH (Ligue des droits de l'Homme), France | 140. Superbloom (previously known as Simply Secure) |
27.Aspiration | 65.Eticas Foundation, Europe | 103. Legal Centre Lesvos | 141. SUPERRR Lab |
28.Association for Juridical Studies on Immigration (ASGI) | 66.EuroMed Rights | 104. Liberty | 142. SwitchMED - Maghweb |
29.Association Konekt | 67.European Anti-Poverty Network (EAPN) | 105. Ligali / IDPAD (Hackney) | 143. Symbiosis - Council of Europe School of Political Studies in Greece |
30.ASTI asbl - Luxembourg | 68.European Center for Human Rights | 106. Ligue des droits humains, Belgium | 144. TAMPEP European Network for the Promotion of Rights and Health among Migrant Sex Workers. |
31.AsyLex | 69.European Civic Forum | 107. LOAD e.V. | 145. TEDIC - Paraguay |
32.Austria human rights League | 70.European Movement Italy | 108. Maison de l'Europe de Paris | 146. The Border Violence Monitoring Network |
33.Avaaz | 71.European Network Against Racism (ENAR) | 109. Metamorphosis Foundation | 147. The Good Lobby |
34.Balkan Civil Society Development Network | 72.European Network on Statelessness | 110. Migrant Tales | 148. Transparency International |
35.Bulgarian center for Not-for-Profit Law (BCNL) | 73.European Sex Workers Rights Alliance (ESWA) | 111. Migration Tech Monitor | 149. Volonteurope |
36.Burgerrechte & Polizei/CILIP, Germany | 74.Fair Vote | 112. Mnemonic | 150. WeMove Europe |
37.Canadian Civil Liberties Association | 75.FEANTSA, European Federation of National Organisations Working with the Homeless | 113. Mobile Info Team | 151. Xnet |
38.Chaos Computer Club, Germany | 76.Free Press Unlimited | 114. Moje Państwo Foundation |
Lettre ouverte d'Amnesty International du 26 avril 2023 (en anglais)
Appel aux rapporteurs et aux membres des commissions dirigeantes sur la loi européenne sur l'intelligence artificielle (loi IA) à interdire l'utilisation de certains systèmes incompatibles avec les droits humains des migrants, réfugiés et demandeurs d'asile
La lettre demande l'interdiction des :
- Systèmes automatisés d'évaluation des risques et de profilage, utilisés pour déterminer si les personnes en déplacement présentent un "risque" d'activité illégale ou de menaces à la sécurité, compte tenu des risques pour les droits à la non-discrimination, à la vie privée et à la protection des données, ainsi qu'au droit à la liberté et à la sécurité .
- Systèmes analytiques prédictifs utilisés pour interdire, réduire et prévenir la migration , posant un grand risque de refoulement et de violation du droit d'asile.
- Utilisation de "détecteurs de mensonge" basés sur l'IA et d'autres outils de reconnaissance des émotions, car ils menacent les droits à la non-discrimination, à la vie privée, à la liberté et à un procès équitable.
- L'identification biométrique à distance (RBI) rétrospective (post), en plus de la RBI en direct (en temps réel) dans tous les contextes, y compris de la gestion des migrations et des frontières, qui facilitent la surveillance de masse et discriminatoire et menacent le principe de non-refoulement. L'exportation de ces technologies devrait également être interdite.
A NOTER : l'Union Européenne a considérablement investi, depuis 2019, dans le soutien au développement de multiples programmes basés sur l'IA qui servent à surveiller, pister, harceler les migrant·es et empêcher physiquement leur entrée sur le territoire. Nous avons fait un inventaire assez exhaustif de ces programmes (dont drones, robots, détecteurs de mensonge, bases de données biométriques jusqu'à des "robots tueurs") avant un débat organisé en novembre 2022 (occasion de projection d'une vidéo sur certains de ces outils).
10 réponses sur « IA act : 151 organisations demandent à l'UE de respecter les droits humains, particulièrement ceux des migrant·es »
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[…] ... avec un bémol important : les migrant.es n'étaient pas couverts par ce texte, faisant d'eux des européens de seconde zone (voir appel des 151 organisations demandant à l'UE de respecter les droits humains, particulièrement ceu…) […]
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[…] La bataille menée par cette coalition, passée presque inaperçue en France (essentiellement relayée par Katia Roux, pour Amnesty), avait réussi à obtenir le vote d'un texte au Parlement européen qui reprenait l'essentiel de ses demandes en juin 2023 par 499 voix pour, 28 contre et 93 abstentions, soit à une très large majorité (avec cependant une restriction notable, celle de ne pas protéger les migrants, ce qui avait provoqué un appel en leur faveur de 151 organisations européennes). […]
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