Seule en Europe, la France macronienne adopte la vidéosurveillance biométrique

Dans le cadre de la loi "olympique" (JO 2024), le recours aux algorithmes pour le traitement des images enregistrées par des caméras ou des drones est autorisé dès la promulgation de la loi jusqu’à la fin du mois de décembre 2024 (maigre limitation : elle était prévue au départ jusqu'à fin juin 2025).

Elle ne concernera pas que les Jeux et donc les villes qui accueillent des épreuves, mais aussi les "manifestations sportives, récréatives ou culturelles" qui, "par leur ampleur ou leurs circonstances, sont particulièrement exposées à des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité des personnes". Définition extensive qui permettra de la déployer partout en France pendant cette très longue période.

Cette vidéosurveillance algorithmique (VSA) identifie, analyse, classe en permanence les corps, les attributs physiques, les gestes, les silhouettes, les démarches, qui sont incontestablement des données biométriques, ce que confirme la Défenseure des droits. Mais ce qu'auront nié tout au long de l'examen du texte le ministre Darmanin et les rapporteurs Renaissance Guillaume Vuilletet et Sacha Houlié, utilisant les rhétoriques de minimisation tirées des arguments de vente des fournisseurs de ces matériels. Aucune évaluation ni démonstration de l’utilité ou de la proportionnalité de ces technologies très opaques n’a été produite lors des débats.

Validé par l'union des droites avec l'extrême droite en France, application prochaine...

Tout au long des débats, le Rassemblement National aura approuvé l'ensemble des mesures. Mais cette alliance de fait est allée plus loin : un amendement cosigné par les députés RN Aurélien Lopez-Liguori, MoDem Philippe Latombe et LIOT Christophe Naegelen, et sous-amendé par les députés Eric Bothorel (Renaissance), Vincent Thiébaut (Horizons) et Laurent Croizier (MoDem).

Cet amendement entend prioriser le recours à des entreprises européennes dans l’exploitation d’images de vidéosurveillance via des algorithmes.

LR n'a donc pas été associé à cet amendement, mais ses voix n'ont pas manquées lors du vote solennel de la totalité de cette loi mardi 28 mars [1]. En effet, LR, experte en expérimentations diverses (Nice et son carnaval, la région Auvergne-Rhône-Alpes et ses gares et trains...) a su durcir le texte tout au long de son parcours (d'abord au sénat puis à l'AN, en urgence bien sûr).

L'urgence étant donc de mise, le texte devrait être promulgué rapidement, et être utilisé partout où se trouvent des CSU (centres de supervision urbaine ... implantés aussi dans certaines zones rurales grâce à la mutualisation des moyens entre communes).

Les industriels du secteur, français (Thales, XXII [qui se présente comme "leader européen de la VSA"], Two-I, Neuroo, Idemia [fournisseur de la technologie de reconnaissance faciale à la Chine]) ou étrangers (notamment israëliens), très présents en coulisse pour promouvoir leur technologie, s'en frottent déjà les mains !

Inquiétudes dans les autres pays européens

Fait totalement inhabituel, 38 organisations de toute l'Europe pour la défense des droits ont dénoncé début mars ce projet de loi français, rejoint par 40 eurodéputé·es qui soulignent : "Si la loi est adoptée dans sa forme actuelle, la France créera un précédent de surveillance jamais vu en Europe."

Ils estiment que le fait qu’"un pays démocratique comme la France encourage ce type de surveillance automatisée revient à donner carte blanche aux régimes répressifs du monde entier pour qu’ils fassent de même avec leurs propres citoyens".

Ce texte pourrait mettre la France hors la loi face à l'IA Act

Pour ces eurodéputé·es, en adoptant ce texte sans attendre les résultats des débats au niveau européen (l'IA Act y sera discuté dès ce mois d'avril 2023), "la France sape[rait] le rôle de démocratie et de contrôle du Parlement européen. L’article 7 de la loi sur les Jeux olympiques et paralympiques risque d’entrer en conflit avec le réglement européen sur l’IA."

Ils rappellent que "Dans le rapport 2021 du Parlement européen sur l’intelligence artificielle dans le droit pénal (…), précurseur du réglement sur l’intelligence artificielle, le Parlement a appelé à “l’interdiction permanente de l’utilisation de l’analyse automatisée (…), des caractéristiques humaines (…), et d’autres signaux biométriques et comportementaux”. Une action d'ensemble est en cours pour revendiquer l'interdiction totale de la surveillance biométrique dans le cadre de l'IA Act.

Effacement de la CNIL, censée garantir nos libertés

La Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) s'est révélée en dessous de tout (comme récemment sur le projet de vérification par reconnaissance faciale de l'âge des adolescent·es pour s'inscrire sur des réseaux sociaux). Cette institution, qui dispose de pouvoirs légaux pour limiter les velléités étatiques de surveillance, est devenue un service après-vente des mesures gouvernementales et veille essentiellement à préserver les intérêts économiques de l’industrie en dépit de toute considération pour les droits et libertés collectives.

Mais affirmation de contre-pouvoirs pour préserver nos droits et libertés

Il y a d'abord La Quadrature du Net qui aura mené une campagne de sensibilisation en direction des député·es français·es, avec succès principalement auprès de ceux de la Nupes. D'une part ceux-ci ont pris conscience des dangers du tout numérique et du capitalisme de surveillance, d'autre part cela leur aura permis de tisser des liens avec d'autres élu·es européen·es plus sensibilisé·es par ces questions. Ce qui sera très important pour peser sur la rédaction de l'IA Act à venir.

Cela aura aussi permis de coopérer avec d'autres organisations intervenant en France (Ligue des Droits de l'Homme, Amnesty International-section française) ou en Europe (les 38 qui ont dénoncé le texte français), avec des institutions (Défenseure des droits, Commission nationale consultative des droits de l’homme, Conseil national des barreaux). Ces soutiens et avis n'auront pas suffi face à un gouvernement français peu soucieux de la défense des droits individuels et collectifs (on le voit en ce moment sur d'autres textes...), mais pourraient permettre de l'emporter à d'autres niveaux (notamment sur l'IA Act européen) ou sur d'autres actions (judiciaires...).

[1] Résultats du vote par l'Assemblée Nationale le 28/03/2023 (détail par élu·e) : RN Pour 77 Abstension 2 (sur un total de 88 voix possibles), LR Pour 59 (61), Renaissance Pour 167 (170), Horizon Pour 28 (29), MODEM Pour 49 (51), LIOT Pour 14 Abstension 4 (20), PS Abstension 31 (31), PC Abstension 17 Pour 3 (22), EELV Contre 20 (22), LFI Contre 72 (74), Non inscrits Pour 3 Contre 1 (5)

Sources

Image tirée du site Contre-Attaque.net

S’armer face à la vidéosurveillance augmentée

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Les députés de la Nupes s’insurgent contre l’adoption d’un amendement cosigné par le RN et la majorité

21 réponses sur « Seule en Europe, la France macronienne adopte la vidéosurveillance biométrique »

[…] Le site Médiapart nous conte, dans une série de quatre épisodes, en quoi la reconnaissance faciale a changé la vie d'argentins, ouïghours, russes ou bélarusses. Nous en relevons quelques extraits ... qui pourraient préfigurer son application prochaine en France (seul pays européen qui en a légalisé le déploiement dans le cadre de la loi JO 2024). […]

[…] Au niveau national, c'est principalement le rôle du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), qui peut financer l'ensemble des actions de prévention de la délinquance par les collectivités territoriales, pas seulement les caméras mais aussi le financement d'agents chargés d'animation, d'encadrement de groupes... Mais le pouvoir actuel privilégie les équipements techno-sécuritaires (caméras, CSU...) et veut réorienter idéologiquement ce fonds vers la "défense du pacte républicain" (délinquance, radicalisation, séparatisme, dérives sectaires). Par la loi LOPMI, il vient de tripler les subventions, avec des surdotations conjonctuelles (loi JO 2024...). […]