"Amendes Forfaitaires Délictuelles" utilisées pour réprimer les pauvres, les opposant.es...

Illustration : ©Aude Abou Nasr

Ce dispositif de répression par l'argent (donc au détriment des plus pauvres), qui permet de prononcer une sanction pénale forfaitaire sans procès (par les seuls policiers, gendarmes ou même "agents habilités"), a été mis en place sous Manuel Vals en 2016 puis très élargi (de 11 à une centaine de délits) par la loi LOPMI en janvier 2023.

Ces "amendes forfaitaires délictuelles" (AFD), totalement arbitraires, ont été abondamment utilisées pendant les confinements (montants d'amendes de 135 à 3750 € en cas de récidive, et jusqu'à 6 mois de prison !). Elles le sont particulièrement vis à vis de certaines populations, dans les banlieues (voir ci-dessous) ou lors de manifestations contre le pouvoir.

Ces amendes sont aussi attribuables par des outils numériques (caméras de vidéosurveillance, sur des drones...) ainsi que l'ont relaté divers médias (le site Contre-Attaque, France-bleu...). Des dijonnais.es avaient reçu des AFD pour avoir fait du bruit avec un ustensile de cuisine lors d'une manif...

Claire Hédon, défenseure des droits, a rendu le 30 mai 2023 une décision suite aux nombreuses saisies de victimes de ce dispositif. Elle conclut que la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle :

  • porte une atteinte grave au droit au recours de la personne poursuivie
  • restreint l’accès au service public de la justice
  • fragilise la relation police-population
  • comporte le risque de développer des pratiques discriminatoires
  • emporte, par l’envoi de l’avis en courrier simple, un risque de difficulté supplémentaire affectant plus encore les personnes qui n’ont pas de lieu de résidence fixe sur le long terme
  • est susceptible de constituer une discrimination indirecte à l’égard des personnes dont la vulnérabilité résulte de leur situation économique.

En conséquence, elle "recommande" (c'est son seul pouvoir) :

  • à titre principal, de supprimer la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle.
  • à défaut, elle liste une série de mesures destinées à en amoindrir la portée, à garantir les droits de contestation ou de refus... Notamment, elle recommande d'"ajouter sur le procès-verbal électronique une case je refuse le recours à la procédure de l’AFD et une case je ne reconnais pas les faits, lesquelles mettent automatiquement fin à la procédure".

Jordan a 19 ans, il habite chez ses parents avec sa petite sœur et son petit frère, dans le 12e arrondissement de Paris. Depuis plusieurs années, il n’ouvre plus le courrier qui lui est destiné. Il conserve des dizaines d’enveloppes fermées, à son nom, ornées du logo de la République française. Il en connaît déjà le contenu : ce sont des amendes, et il n’a pas les moyens de les payer. La dernière fois qu’il a regardé, sa dette s’élevait autour des 30 000 €

Pour lui comme pour ses amis, les verbalisations font partie du quotidien. Il a commencé à en recevoir quand il avait 12 ou 13 ans, il ne se rappelle plus très bien. "Pendant une période, je pouvais recevoir trois ou quatre amendes par semaine, voire plus."

Les montants s’additionnent, les majorations s’y ajoutent… Les dettes gonflent. Dans le quartier parisien Rozanoff, Jordan est loin d’être le seul dans ce cas. "Les multiverbalisé·es, très majoritairement de jeunes hommes racisés âgés de 13 à 25 ans et résidents ou usagers de quartiers populaires, ont en commun de recevoir un grand nombre d’amendes forfaitaires".

Souvent, explique-t-il, ça commence par un contrôle de police. Les forces de l’ordre relèvent son identité, et lui distribuent une amende. Le jeune homme se souvient qu’une fois, alors qu’il était assis dehors avec ses amis, la police est venue leur demander de nettoyer les alentours, "comme ça, ils nous mettraient pas d’amende". Les jeunes s’exécutent. "À la fin, on s’est quand même pris une amende." Il soupire : "Franchement, j’ai trop de problèmes avec eux. Ils m’ont déjà frappé, ils m’ont insulté, ils m’ont embarqué pour rien… Je vais pas vous mentir, ils fatiguent ici."

La chercheuse Aline Daillère a réalisé une cinquantaine d’entretiens, rassemblé près de 1200 amendes, distribuées dans le 12e arrondissement, mais aussi dans d’autres quartiers parisiens et trois communes de banlieue. La spécificité des amendes forfaitaires tient à l’absence de l’intervention du juge pour qualifier une infraction ou d’un délit"Les forces de l’ordre se voient confier un pouvoir pour lequel elles disposent d’une marge de manœuvre considérable".

"Un simple crachat sur le trottoir ou une canette qu’on laisse traîner sur un banc entrent dans la catégorie des contraventions de 2e classe pour "des ordures, déchets, déjections, matériaux, liquides insalubres"... abandonnés sur la voie publique. Et occasionnent une amende de 35 euros, majorée à 75 euros au bout de deux mois. Le pouvoir discrétionnaire laissé aux agents peut ainsi se muer en arbitraire.

"Pour les jeunes concernés, les amendes dont ils font l’objet sont associées à un très fort sentiment d’injustice", écrit la chercheuse. Les jeunes reçoivent souvent les amendes par plusieurs. Dans le 12e arrondissement, les jeunes concernés font état d’une augmentation des amendes après le procès qui a suivi la plainte collective de plusieurs jeunes du quartier. En 2015, dix-huit jeunes ont poursuivi des policiers du "Groupe de soutien des quartiers" (GSQ) de la brigade du 12e arrondissement de la capitale, pour violences aggravées. Les policiers ont été condamnés en première instance en 2018, avant d’être relaxés en 2020.

Autre source : Punir les petits délits par des amendes : l’extension du domaine de la prune (Médiapart 01/12/2022)

Dijon : des amendes (sur la base de vidéosurveillance) pour des casserolades

Ce gouvernement de "l’apaisement" est décidément bien fébrile. après la préfecture de l’Hérault qui avait interdit le port de casseroles en avril et les dispositifs policiers démesurés pour éloigner le tintement des casserolades en mai, voici les amendes sur la base de la vidéosurveillance.

À Dijon, plusieurs personnes ont reçu des amendes de 68 euros pour "émission de bruit portant atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme". En cas de non paiement dans les 45 jours, le montant passe même à 145€ ! Il s’agit de verbalisations suite à une manifestation qui a eu lieu le 7 mai derniers lors d’un anniversaire de la Cité de la Gastronomie, en présence de députés macronistes. Les explosions de grenades de la police, elles, ne semblent pas porter atteinte à la tranquillité…

Le syndicat Solidaires explique que ces amendes ont été réalisées sur la base d’images de vidéosurveillance, puisque les personnes qui les reçoivent n’ont pas fait l’objet d’interpellation ni de contrôle au moment de la manifestation. D’ailleurs, d’autres participants à différentes casserolades organisées à Dijon commencent à recevoir des amendes.

Il s’agit d’une atteinte évidente au droit de manifester. Une sorte de racket pour taxer les contestataires, dans un contexte de grande précarité et après un mouvement social qui a déjà coûté de nombreux jours de salaires aux grévistes. Cette mesure d’intimidation est vicieuse : qui peut prendre le risque de perdre des dizaines d’euros à chaque manif un peu bruyante ?

Cela suppose que des policiers aient reçu la consigne de visionner attentivement les images de vidéosurveillance en quête de frappeurs de casseroles à verbaliser. Et qu’ils disposent déjà d’un fichier de personnes militantes, afin de pouvoir les reconnaître sur les bandes. Une pratique probablement illégale, car une contravention implique un contrôle direct par un agent assermenté, excepté pour les infractions routières.

Pourtant, ce n’est pas une première. Dans la petite ville d’Epinay-sous-Sénart, en banlieue parisienne, le maire d’extrême droite avait dépensé plus de 500.000€ pour déployer des caméras de vidéosurveillance. Durant le printemps 2020, lors du confinement, l’élu a voulu "rentabiliser" la dépense de façon malhonnête : des centaines d’amendes ont été envoyées à des habitants sur la seule base de la vidéosurveillance.

Plusieurs jeunes ont reçu des amendes pour "non respect du confinement" directement chez eux, sans jamais avoir été contrôlés. Ils évoquaient "des PV à une minute d’intervalle pour deux personnes différentes à deux endroits distants de plus d’un kilomètre. Des PV malgré une attestation de sortie à cette heure-là." Ils ne voyaient qu’une explication : "la police municipale nous reconnaît sur les caméras de la ville et nous envoie les amendes sans même nous contrôler. Qu’on sorte pour aller à la boulangerie ou quoi que ce soit on est verbalisés. Pourtant on n’a croisé aucune patrouille de la police municipale." La somme totale de ces amendes atteignait 50.000€...

Après Dijon et Épinay-sous-Sénart, bientôt des amendes par drone sur la base de la reconnaissance faciale ?

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