La France de Macron leader européen de la techno-surveillance ?

Le projet de loi sur les Jeux Olympiques 2024, qui arrive en discussion à l'Assemblée nationale depuis lundi 20 mars veut intégrer la vidéosurveillance automatisée (VSA : ou algorithmique ou "augmentée"). Ce texte légaliserait, pour la première fois en Europe, l’utilisation d’une surveillance biométrique qui, à l'aide d'algorithmes couplés aux caméras de surveillance, détecte, analyse et classe nos corps et comportements dans l’espace public.

Plusieurs organisations (La Quadrature du net, Amnesty International, La ligue des droits de l'Homme, LDH) appellent au refus de l'article 7 qui vise à autoriser cette vidéosurveillance automatisée (VSA) à titre expérimental, pendant le temps des JO, en fait jusqu'en juin 2025 !

Par ailleurs, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a alerté les parlementaires en leur demandant de ne pas voter une mesure "prématurée et trop attentatoire aux libertés fondamentales pour être adoptée".

Appel de La Quadrature du Net

Alors que l’État continue sa destruction des acquis sociaux en la justifiant par un manque d'argent public, il injecte en parallèle des millions d'euros dans la surveillance de sa population et la multiplication des pouvoirs de la police (voir en parrallèle la loi LOPMI)

Ci-dessous bande dessinée de Grise Bouille contre la surveillance biométrique (site internet ici) : "je serai à Lyon les 1 et 2 avril aux JDLL, avec des bouquins à dédicacer. Si vous comptez y être et que vous voulez un/des ouvrage(s) en particulier, vous pouvez me les indiquer sur ce sondage. Merci !)"

Tract de La Quadrature

Calendrier pour appeler votre député·e

Les élu·es sont invité·es à signer la pétition demandant le retrait de l’article 7 de la loi en contactant La Quadrature par mail à l’adresse petition@technopolice.fr.

Vidéo de présentation de la campagne

Engagement d'Amnesty International

D'après Katia Roux, sa représentante chargée des "Technologies et droits humains ", bien que le gouvernement affirme qu’aucune donnée biométrique ne sera utilisée pour identifier des personnes, ces algorithmes évalueront des comportements en analysant des données corporelles et comportementales, qui sont des données personnelles relevant du droit à la vie privée et devant être protégées.

Par ailleurs, l’efficacité de ces technologies d’évaluation pour lutter contre la criminalité font l’objet de vives critiques de la part de la communauté scientifique. Se penser ou se savoir surveillées peut amener les personnes à modifier leur comportements ou à s’auto-censurer. L’effet dissuasif d’une telle surveillance de l’espace public comporte donc également un risque d’atteinte aux droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. 

"L’exception risque donc de devenir la norme dans un contexte de volonté très claire des autorités françaises d’élargir leur pouvoir de surveillance. Les Jeux olympiques ne doivent pas servir de prétexte pour faciliter l'instauration d'un état d'exception permanent."

Amnesty International fait aussi signer une pétition en ligne contre la reconnaissance faciale.

Communiqué de la LDH : l'important c'est de surveiller ?

La Ligue des Droits de l'Homme dénonce dans un communiqué :

  • l’expérimentation de différents outils d’une surveillance particulièrement intrusive et notamment la vidéosurveillance algorithmique dans les espaces publics (article 7).
  • Les images des caméras de surveillance des sites olympiques et de "leurs abords" (notion extensive !), dans les transports publics ou encore sur des drones, seront analysées par des algorithmes pour détecter "en temps réel, des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité des personnes". L’étude des comportements utilisera des données biométriques qui ne devraient être traitées qu’avec un consentement explicite des personnes concernées. Susceptible de graves erreurs d’interprétation, une telle surveillance portera atteinte à des libertés fondamentales comme la liberté de circulation, de réunion ou d’expression.
  • les scanners corporels seront déployés pour "faciliter" l’accès aux manifestations sportives, récréatives ou culturelles rassemblant plus de trois-cents spectatrices et spectateurs.
  • des tests ADN pourront être pratiqués sur les sportives et les sportifs, dans des conditions mal définies, et un nouveau cas sera ajouté au Code civil pour les futurs contrôles antidopage.
  • de nouveaux délits permettront de réprimer des actions militantes pacifiques de manière disproportionnée.
  • tous les salariés ou bénévoles (environ 50000 personnes) travaillant sur les sites des Jeux devront obligatoirement faire l’objet d’une enquête administrative préalable, avec consultation du fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) ; devraient être concernées.

Commission nationale consultative des droits de l’homme : mesure "prématurée et attentatoire aux libertés fondamentales"

Son président, Jean-Marie Burguburu, demande aux député·es de ne pas voter une mesure "prématurée et trop attentatoire aux libertés fondamentales pour être adoptée" car il conteste :

  • les modalités de conservation et d'utilisation des caractéristiques génétiques collectées,
  • l'autorisation des scanners corporels,
  • la répression accrue des intrusions dans les enceintes sportives,
  • la généralisation de l'exigence d'une enquête administrative préalable pour tous les participants aux JO.

Le coût faramineux et l'inefficacité de la vidéosurveillance

La vidéosurveillance ne cesse de gagner du terrain en France, dans les grandes villes jusqu'aux plus petites communes (voir déploiements récents dans le département de la Loire). Les subventions publiques pour aider les mairies ou les départements à leur acquisition atteignaient 15 millions d’euros en 2021, la loi LOPMI triplant ces aides.

Or, les études portant sur la vidéosurveillance soulignent l’inefficacité et le coût faramineux de tels dispositifs : en 2020 la Cour des comptes rappelle qu’"aucune corrélation globale n’a été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéoprotection et le niveau de la délinquance commise sur la voie publique, ou encore les taux d’élucidation".

La CNIL affirme que "la littérature académique, en France et à l’international […], a démontré que la vidéosurveillance n’a pas d’impact significatif sur la délinquance". Le chercheur Guillaume Gormand, (pour la gendarmerie), conclut à une absence d’effet sur la commission d’infraction et à une utilité résiduelle pour l’élucidation des infractions commises (1,13 % des enquêtes élucidées ont bénéficié des images de caméras sur la voie publique).

Une caméra de vidéosurveillance coûte (d'après Le Progrès du 20 novembre 2022) à l’achat aux municipalités entre 7 000 et 20 000 euros l’unité, car très largement subventionnée par l'Etat (Fond interministériel de prévention de la délinquance, FIPD, jusqu'à 50%, dont la dotation va tripler avec la loi LOPMI !), les régions, les départements. Mais s'y ajoutent ultérieurement la maintenance (entretien, raccordement, coût de l’abonnement 4G/5G, sans compter la facture électrique) qui se monte entre 100 000 et 150 000 euros.

La vidéosurveillance algorithmique est un outil de surveillance totale et le moyen de commercialiser nos données privées

La vidéosurveillance algorithmique nous est présentée comme une manière de rendre plus efficace l’exploitation policière de la multitude de caméras installées sur le territoire : trop de caméras pour le seul personnel humain nécessitent l’assistance de l’intelligence artificielle. C'est la vieille logique du "bluff technologique" qui promet plus d’efficacité par plus d’investissement (plus de caméras disséminées, dotées d’une meilleure définition, d'un champ de vision plus large, visionnées "en direct", exploitées par des centres de supervision urbaine, très onéreux en matériels et personnels...).

Or, malgré ces investissements colossaux, ces systèmes n'ont jamais tenu leurs objectifs sécuritaires. Et ils constituent une profonde menace pour nos droits et libertés !

Par ailleurs, la VSA vise à mettre en données nos vies, et à les faire exploiter par les entreprises privées (notamment comme données d’apprentissage). Elle est aussi le moyen de systématiser les télé-amendes (le nombre de motifs passe de 9 à 29 par la loi LOPMI : amendes forfaitaires délictuelles).

La VSA s'imposerait au delà des jeux olympiques dans nos vies et mènerait inéluctablement à la reconnaissance faciale permanente

La VSA ne sera pas circonscrite aux Jeux Olympiques. Ceux-ci ne servent qu'à ménager "l’acceptabilité" de la population. De fait, la VSA est déjà déployée illégalement en France : dès 2016 à Toulouse (logiciel IBM pour détecter des "événements anormaux"). Le logiciel de VSA de Briefcam est déployé dans [au moins] 35 communes en France (dont Nîmes, Moirans : recours administratif engagé par La Quadrature du Net). Depuis 2018, Marseille laisse la SNEF analyser algorithmiquement les corps de ses habitant.es via les caméras de vidéosurveillance du centre ville : ci-dessous descriptif des fonctionalités e cette application SNEF :

De plus, une fois que tous ces algorithmes auront pu être testé pendant deux ans, lors de tout événement "festival, sportif ou récréatif" – comme le prévoit l’article 7 -, que les entreprises sécuritaires auront fait la promotion de leurs joujoux devant le monde entier lors des JO, que des dizaines de milliers d’agents auront été formés à l’utilisation de ces algorithmes, il sera facile aux entreprises et à l'Etat d'imposer leur usage au delà des jeux.

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