Nous diffusons des extraits d'un article du site Reporterre sur Philippe, électrohypersensible (EHS) aux ondes électromagnétiques, et sur sa victoire en justice contre l'ONF.
Ce combat nous rappelle celui de Virginie, laquelle rencontre les mêmes difficultés à trouver un habitat protecteur et digne (elle a dû elle aussi vivre dans une caravane dans les bois). Grâce au soutien sans failles du collectif Sail Santé Environnement elle a retrouvé un logement et une certaine protection (blindage des murs, cofinancé par la MDH et des dons caritatifs), mais pas entièrement satisfaisante.
Ancien professeur de technologie en collège près de Dijon, Philippe a dû tout quitter début 2010. Deux ans plus tôt, ses troubles se sont manifestés : "quand j’ouvrais un ordinateur, mon cerveau se mettait à brûler, comme des milliers de petites aiguilles plantées dans mon crâne". Des constats médicaux en ont déduit qu'il souffre du syndrome d’intolérance aux champs électromagnétiques (SICEM-EHS).
Rapidement, il est mis en retraite anticipée pour invalidité et se voit accorder une allocation adulte handicapé. Il erre alors pendant des années entre plusieurs hébergements provisoires, avant de s’installer illégalement dans la forêt du Vanson, sur une parcelle de l’Office national des forêts (ONF) dans les Alpes-de-Haute-Provence.
Photo de © Sophie Rodriguez / Reporterre
C'est dans cette zone totalement isolée (et où le message "Pas de connexion" s’affiche sur les portables), l’une des dernières encore considérées comme "blanches" ou "grises" car n’ayant pas ou peu de réseau de téléphonie mobile, qu'il survit avec sa compagne dans une caravane, sans eau courante ni toilettes.
Or, d'après le plan gouvernemental "New Deal Mobile" de 2018, toutes ces zones devraient être résorbées pour généraliser la couverture 4G sur tout le territoire français. L’ONF a adressé à Philippe une mise en demeure de quitter les lieux début 2023, et a décidé de porter l’affaire devant la justice.
Pour la justice, priorité au "droit à la santé"
Mais le tribunal judiciaire de Digne-les-Bains a considéré que le droit de propriété de l’ONF n’était "ni général ni absolu" et qu’il fallait le mettre en balance avec le "droit à la santé" et avec l’obligation de l’État "d’assurer un droit au logement à ses citoyens".
Lien vers l'ordonnance du référé
Il a donc refusé l’expulsion de Philippe, décision "inédite" qui pourrait profiter à tous les électrohypersensibles, selon Marie-Noëlle Bollinger, de l'Association Zones Blanches (AZB), qui milite pour les droits des personnes souffrant d’EHS. Si ces arguments sont repris, cela peut faire jurisprudence. L’ONF a cependant indiqué avoir fait appel.
"Je ne veux pas rester ici, je me bats pour partir"
En effet, Philippe demande à pouvoir habiter dans une vraie "zone blanche", loin des ondes. Pour Laure, la compagne de Philippe, "c’est un combat politique", qui souligne que "les EHS sont souvent ridiculisés, humiliés". Elle n’est pas électrohypersensible et vit en alternance dans un appartement à Sisteron avec leur fille Lola. Ils subsistent au RSA et grâce au "soutien familial".
L’ONF avait déjà mis Philippe en demeure une première fois en 2018 de quitter la parcelle. Il avait obtenu, avec l’aide de l’eurodéputée Michèle Rivasi (ancienne présidente d’AZB, décédée depuis et beaucoup regrettée), un moratoire sur son expulsion, en attendant qu’un lieu "refuge" pour personnes EHS se concrétise à Saint-Julien-en-Beauchêne, dans les Hautes-Alpes. Mais le projet, qui nécessitait de racheter les bâtiments d’une ancienne colonie de vacances, a définitivement été abandonné en 2022.
Accompagnée d’habitants de la commune, Michèle Rivasi avait obtenu, en juillet 2023, deux nouveaux moratoires pour Philippe, cette fois-ci sur la mise en service d’une antenne-relais Free, installée à quelques kilomètres à vol d’oiseau de son campement, et sur des coupes de bois prévues par l’ONF à proximité, que Philippe ne pouvait pas supporter, étant également hypersensible à de nombreux composés chimiques, naturels ou artificiels (syndrôme MCS pour Multiple Chemical Sensitivity ou "sensibilité chimique multiple", qui accompagne souvent celui sur l'électrohypersensibilité).
Depuis, plusieurs solutions de logement ont été proposées à Philippe par les services de préfecture dans le cadre du dispositif "Droit au logement opposable" (Dalo). Trois appartements situés en zone urbaine, et donc incompatibles avec l’électrohypersensibilité de Philippe, mais aussi des terrains non constructibles.
"Les zones blanches, ça se crée !" martèle Philippe, dont la demande de relogement a été rejetée le 9 avril, cette fois par le tribunal administratif. Sollicitée, la préfecture des Alpes-de-Haute-Provence n’a pas répondu à Reporterre.
La Brèche (n°8 mai-juillet 2024) en parle aussi. Mais c'est plus lisible en version papier, disponible dans tous les bons kiosques...