Image tirée d'un rapport d'Amnesty sur la surveillance par le biais de TikTok
Lors des trois élections passées en France (européennes et législatives 1e et 2e tour), on a pu s'interroger sur les effets de la stratégie de communication d'un Bardella sur TikTok, notamment vis à vis des plus jeunes électeurs et électrices (TikTok est le 3ème réseau social pour les Français de 16 à 25 ans, après Instagram et Snapchat). Ce réseau est de fait utilisé par toutes les extrêmes droites européennes, particulièrement à l'est.
La stratégie TikTok de Bardella
Une chercheuse de Toulouse, Marie Neihouser, l'a analysée avant les européennes. Elle montre que l'usage d'Internet a été pensé très tôt par le FN (devenu RN) : site créé dès 1996 pour contourner à l’époque les réticences des médias "main stream" vis à vis des représentants de l’extrême droite. Depuis, les réseaux sociaux leur permettent de faire circuler des opinions reprises ensuite dans les médias dits "traditionnels" (presse, télévision, radio) ... lesquels ont été plus récemment noyautés par des capitalistes "amis" (Bolloré, Pierre-Edouard Stérin...) et des éditorialistes-animateurs complices.
Les réseaux sociaux permettent de visibiliser des thèmes clivants (immigration, sécurité, etc) car ils sont favorisés par les algorithmes des plates-formes dans la mesure où ils suscitent le plus de réactions (likes, commentaires, partages, etc.) et nourissent donc le trafic pourvoyeur de bénéfices.
Mais, dans le cas de Bardella et de la stratégie de dédiabolisation dont il est porteur, un autre avantage est lié à l'architecture digitale spécifique de TikTok : les messages qu’on y poste sont brefs et la plupart font une large place aux images ou aux formats vidéos, permettant de recentrer le contenu plus sur la personnalité politique que sur son propos. Cela permet d’éviter la contradiction et de contourner les questions de fond.
Pour Romain Fargier, chercheur en sciences politiques, les formats TikTok "touchent les jeunes qui sont très friands de la punchline et de l'éloquence présentes dans les contenus". Ils "signent une proximité, une promiscuité factice, ça paraît spontané et ça vise à rendre sympathique".
TikTok (contrairement à X, ex Twitter, plateforme plus "intellectuelle") est plus propice au divertissement qu’à l’entretien d’une culture politique. Et la plupart de ses utilisateurs ont moins de 25 ans, donc beaucoup ne sont pas encore majeurs, sans droit de vote. Pourtant, les acteurs politiques s’y bousculent depuis quelque temps. Marine Le Pen y compte 1 million d’abonnés, Emmanuel Macron 4,5 millions et Jean-Luc Mélenchon 2,4 millions. Jordan Bardella, avec 2 millions, n’y est pas le plus suivi, mais il est celui dont l’activité et l’audience sur la plate-forme attirent le plus les regards, compte tenu de sa jeunesse en politique.
Il semble que ce soit de sa part une stratégie de long terme, les ados d’aujourd’hui seront les électeurs potentiels de demain, apparaître dès aujourd’hui dans leur fil TikTok visent à les rassurer quant à la "normalisation" du Rassemblement national, mais aussi à valoriser son image personnelle indépendamment de celle de son parti.
Comment l'extrême droite utilise TikTok pour diffuser des discours de haine et des intox partout en Europe
Pour le site tchèque Vsquare, "l’algorithme de TikTok est un outil puissant qui évalue rapidement les préférences des utilisateurs et favorise les contenus potentiellement viraux. En République tchèque et en Europe, il a également permis à l’activisme politique, à l’extrêmisme idéologique, aux discours de haine et à la propagande de prospérer sur la plateforme." Ce média constate des dynamiques similaires en Roumanie, Pologne, Slovaquie, Hongrie, Estonie ou encore en Allemagne.
Dans ce dernier pays, TikTok est devenu un pôle d'attraction pour les extrémistes de droite. Une enquête récente a montré qu'il était facile d'acheter de la popularité sur la plateforme, qui compte 23 millions d'utilisateurs en Allemagne. Assez rapidement après la diffusion d'informations "croustillantes", les enquêteurs se sont vus proposer un millier d'abonnés pour booster leur compte et activer la fonction de diffusion en direct. Des doutes subsistent quant à l'authenticité de ces abonnés, car il pourrait s'agir de robots automatisés.
En Allemagne, le parti de droite AfD semble en profiter. Les messages du parti ont connu des performances exceptionnelles sur TikTok, avec beaucoup plus de vues et d'interactions que ceux des autres partis concurrents, en particulier dans les mois précédant les élections européennes. Or les adolescents allemands peuvent désormais voter dès 16 ans aux élections européennes.
Selon un expert, l'AfD utilise des moyens considérables pour gérer ses comptes sur les réseaux sociaux et ses membres rédigent même leurs discours parlementaires en vue d'une diffusion virale sur TikTok. La désinformation est également le fait de l'organisation de jeunesse Junge Alternative (JA), que l'Office fédéral allemand de protection de la Constitution classe comme "certainement d'extrême droite". L'AfD a obtenu 15,9 % des voix au niveau national aux dernières élections européennes, tendance encore plus marquée en Allemagne de l'Est, où elle a récolté près de 30 % des voix.
Des analystes ont critiqué TikTok pour avoir permis à de faux comptes de manipuler l'engagement des utilisateurs et la viralité du contenu. Ils affirment que la popularité de l'AfD sur TikTok a contribué à l'acceptation de positions politiques en faveur de la Russie et contre le soutien à l'Ukraine. Face à ces critiques sur l'activité de l'AfD sur la plateforme, les responsables de TikTok affirment avoir détecté et supprimé des réseaux qui amplifiaient artificiellement des récits favorables à l'AfD.
L'influence des réseaux sociaux dans le vote reste discutée
Selon une enquête réalisée en juin 2024 par OpinionWay pour le Cevipof dans quatre pays européens auprès de 8.679 personnes, ni le comportement électoral ni les niveaux de confiance dans la démocratie ou dans les institutions ne sont modifiés en profondeur par l'utilisation intensive de ces réseaux.
Ce centre de recherche de Sciences Po s'est intéressé au rapport d'usagers d'Instagram, TikTok, LinkedIn, X (ex-Twitter) et Snapchat à la politique. Première conclusion : que cela soit en France, en Allemagne, en Italie ou en Pologne, l'intensité avec laquelle les usagers recourent aux réseaux sociaux ne joue que peu sur la confiance portée aux institutions.
Luc Rouban, l'auteur de l'enquête, estime même que "la confiance dans la politique augmente à mesure que l'on utilise davantage les réseaux sociaux contrairement à l'idée reçue selon laquelle ces réseaux offriraient un espace public de pure contestation". Pour lui, "rien n'indique que leur usage intensif conduit à opter pour une offre politique radicale de droite ou de gauche". Concrètement, il pense que le vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon ou de Marine Le Pen n'évolue pas en fonction du rythme d'utilisation de ces réseaux.
Seule différence notable : les usagers intensifs tendent à être plus abstentionnistes (36 %) que ceux qui les utilisent occasionnellement (22 %). Ils restent toutefois plus proches des extrêmes que les autres : la proximité avec le Rassemblement national (RN) concerne 19 % des utilisateurs intensifs contre 14 % des utilisateurs occasionnels. Même constat en Allemagne, où l'on observe que les plus grands utilisateurs sont plus proches de l'AfD que les autres (15 % contre 9 %).
La jeunesse peut voter pour le RN, mais plutôt moins que le reste de la population
D'après l'enquête Ipsos-Talan réalisée à l'issue du 1e tour des législatives en France, les 18-24 ans ont voté à 33% pour le RN, un chiffre élevé mais moindre que pour les 50-59 ans (40%). Surtout, 48% des jeunes ont voté pour le Nouveau Front Populaire, taux bien plus élevé que dans les autres tranches d'âge.
Donc il semble bien que la stratégie pro-TikTok d'un Bardella (censée toucher cette tranche d'âge) soit plutôt un échec ... largement confirmée par l'échec de Macron malgré ses 4,5 millions de followers TikTokiens !