Ce combat nous rappelle le nôtre face à Serenicity (filiale du fabricant d'armement Verney-Carron) en 2019, laquelle, avec le soutien du maire de Saint-Etienne, voulait installer des micros en plus des caméras dans les rues du quartier Tarentaize-Beaubrun.
A l'époque, on avait déjà utilisé les résultats d'une étude du LIN-CNIL (le labo de recherche de la CNIL) qui spécifiait que "la voix est un moyen d’identification des personnes dès le traitement de quelques secondes d’une même voix". "La voix porte beaucoup d’informations sur l’individu comme son âge, son sexe, ses origines, son éducation, ses ressentis, son état physique ou psychique et peut-être même ses intentions…".
Si le danger de l'audiosurveillance est moins identifié que celui de la vidéosurveillance (et VSA et reconnaissance faciale...), il n'en reste pas moins attentatoire aux libertés individuelles. C'est bien pourquoi la victoire obtenue par La Quadrature du net à Orléans est particulièrement importante.
Article de La Quadrature du net
Plus de trois ans après notre recours, le tribunal administratif d’Orléans vient de confirmer que l’audiosurveillance algorithmique (ASA) installée par l’actuelle mairie d’Orléans – des micros installés dans l’espace public et couplés à la vidéosurveillance, destinés à repérer des situations dites anormales – est illégale. Ce jugement constitue la première victoire devant les tribunaux en France contre ce type de surveillance sonore et constitue un rappel fort des exigences en matière de droits fondamentaux pour les autres communes qui seraient tentées par de tels dispositifs.
Une claque pour Orléans et Sensivic
La ville d’Orléans et l’entreprise Sensivic se sont vu rappeler la dure réalité : déployer des micros dans l’espace public pour surveiller la population n’est pas légal. Les allégations de Sensivic d’un soi-disant produit "conforme RGPD" et les élucubrations d’Orléans en défense pour faire croire qu’il ne s’agirait que d’un inoffensif "détecteur de vibrations de l’air" n’auront servi à rien.
Dans son jugement, le tribunal administratif est sévère. Il commence par battre en brèche l’argument de la commune qui affirmait qu’il n’y avait pas de traitement de données personnelles, en rappelant que les dispositifs de micros couplés aux caméras de vidéosurveillance "collectent et utilisent ainsi des informations se rapportant à des personnes susceptibles, au moyen des caméras avec lesquelles ils sont couplés, d’être identifiées par l’opérateur". Il en tire alors naturellement la conclusion que ce dispositif est illégal parce qu’il n’a pas été autorisé par la loi.
Mais le tribunal administratif va plus loin. Alors que l’adjoint à la commune d’Orléans chargé de la sécurité, Florent Montillot, affirmait sans frémir que cette surveillance permettrait de "sauver des vies", la justice remet les pendules à l’heure : "à […] supposer [le dispositif d’audiosurveillance algorithmique] utile pour l’exercice des pouvoirs de police confiés au maire […], il ne peut être regardé comme nécessaire à l’exercice de ces pouvoirs". Autrement dit : "utilité" ne signifie ni proportionnalité ni légalité en matière de surveillance. Cela va à rebours de tout le discours politique déployé ces dernières années qui consiste à déclarer légitime tout ce qui serait demandé par les policiers dès lors que cela est utile ou plus simple sur le terrain. Cela a été la justification des différentes lois de ces dernières années telle que la loi Sécurité Globale ou la LOPMI.
Un avertissement pour la Technopolice
Ce jugement est un avertissement pour les promoteurs de cette surveillance toujours plus débridée de l’espace public. Si la vidéosurveillance algorithmique (VSA) reste la technologie la plus couramment utilisée – illégalement, sauf malheureusement dans le cadre de la loi JO – l’audiosurveillance algorithmique (ASA) n’est pas en reste pour autant. Avant la surveillance à Orléans par Sensivic, on l’a retrouvée à Saint-Étienne grâce à un dispositif d’ASA développé par Serenicity que la CNIL avait lourdement critiqué et fait mettre à l’arrêt.
Avec ce jugement, le tribunal administratif d’Orléans ne déclare pas seulement l’ASA illégale : il estime également qu’un contrat passé entre une commune et une entreprise pour mettre en place ce type de surveillance peut-être attaqué par une association comme La Quadrature. Cet élément est loin d’être un détail procédural, alors que des communes comme Marseille ont pu par le passé échapper au contrôle de légalité de leur surveillance en jouant sur les règles très contraignantes des contentieux des contrats.
La question du couplage de l’ASA à la vidéosurveillance classique
En septembre 2023, la CNIL, que nous avions saisie en parallèle du TA d’Orléans, considérait que cette ASA était illégale dès lors qu’elle était couplée à la vidéosurveillance en raison de la possibilité de "réidentifier" les personnes. Mais elle ajoutait qu’elle ne trouvait plus rien à redire depuis que le dispositif orléanais était découplé de la vidéosurveillance locale. Une analyse que nous avons contestée devant le TA d’Orléans (voir nos observations d’octobre 2023 et
de janvier 2024).
Dans son jugement, le tribunal administratif d’Orléans n’a pas explicitement considéré que l’ASA orléanaise ne serait pas un traitement de données si elle n’était plus couplée à la vidéosurveillance. Puisqu’il était saisi de la légalité de la convention entre Sensivic et Orléans, laquelle prévoyait ce couplage, il s’est borné à dire que le dispositif ASA et vidéosurveillance était illégal.
Dans tous les cas, ce point est annexe : l’audiosurveillance algorithmique exige, par nature, d’être couplée avec une source supplémentaire d’information permettant de traiter l’alerte émise. Que ce soit par un couplage avec la vidéosurveillance ou en indiquant à des agent·es de police ou de sécurité de se rendre à l’endroit où l’événement a été détecté, l’ASA visera toujours à déterminer la raison de l’alerte, donc d’identifier les personnes. Elle est donc par nature illégale.
Laisser-faire de l’État face à une technologie manifestement illégale
Impossible toutefois de passer sous silence la lenteur de l’administration (ici, la CNIL) et de la justice devant les dispositifs de surveillance manifestement illégaux de l’industrie sécuritaire. Alors même qu’un dispositif semblable avait été explicitement et très clairement sanctionné à Saint-Étienne en 2019, Sensivic a pu conclure sans difficulté une convention pour installer ses micros dopés à l’intelligence artificielle. Il aura fallu une double saisine de la part de La Quadrature pour mettre un terme à ce projet.
Un tel dossier prouve que l’industrie sécuritaire n’a que faire du droit et de la protection des libertés, qu’elle est prête à tout pour développer son marché et que l’État et le monde des start-ups s’en accommode bien. Comment Sensivic, avec une technologie aussi manifestement illégale, a-t-elle pu récolter 1,6 millions en 2022, dont une partie du fait de la BPI (Banque Publique d’Investissement) ? L’interdiction explicite de ces technologies de surveillance est la seule voie possible et tenable.
Ce jugement reste une victoire sans équivoque. Il annonce, nous l’espérons, d’autres succès dans notre combat juridique contre la Technopolice, notamment à Marseille où notre contestation de la VSA est toujours en cours de jugement devant la cour administrative d’appel.
La Quadrature nous sollicite : "pour nous aider à continuer la lutte, vous pouvez nous faire un don ou vous mobiliser dans votre ville".
Si, à Saint-Etienne, le maire, pourtant largement impliqué dans des barbouzeries audiovisuelles diverses (organisation de sextapes contre son premier adjoint et un de ses prédécesseurs...) n'a pas replongé dans sa tentative d'espionner les habitants par des moyens audio, il existe un autre dispositif, ROC 42. Il s'agit d'une mise en réseau au niveau départemental de capteurs divers déployés par les mairies (sur les poubelles, lampadaires, places de parking, micros dans des salles municipales, détection d'occupation ou de températures dans les locaux publics, des caméras aussi...). Dérive technosolutionniste ... mais aussi danger de technosurveillance, d'autant que l'opérateur est une entreprise privée dont les objectifs peuvent varier au gré de ses intérêts économiques. Depuis la loi Sécurité Globale, ce type de dispositif de surveillance départementale est légalisé...
Nous veillons !