Militant.es antinucléaires : fichage et répression accru.es

© AFP / Dimitar Dilkoff

Surveillance renforcée, interdiction de manifester, arrestations musclées, lourdes condamnations... Qu’elle soit législative, policière ou judiciaire, la répression à l’encontre des militant·es climatiques et antinucléaires s'intensifie. Notamment, le nouveau fichier de police ODIINuc, qui vise explicitement les opposants au nucléaire, permet la collecte par les services de police de "données extrêmement larges et intimes". Des associations ont saisi le Conseil d’État pour faire annuler ce décret. Extraits d'un article du site Reporterre, et d'articles du site du réseau lyonnais Sortir du nucléaire.

Protection contre les attaques terroristes ou nouvel instrument de répression des militants antinucléaires ? Le 6 juin 2024, vingt-neuf requérants — associations et militants antinucléaires, élus, journalistes — ont saisi le Conseil d’État. Ils contestent le décret de création d’un nouveau fichier de police visant à collecter "des informations relatives aux personnes impliquées dans des événements révélant un risque d’atteinte à la sécurité nucléaire". Ils craignent qu’il serve au fichage d’opposants à l’atome. Ils ont rendu public leur recours. La réponse "au fond" pourrait prendre un an et demi.

Ce fichier de police, baptisé du sigle ODIINUC, a été créé par décret le 8 avril à l’initiative du ministère de l’Intérieur. Peuvent y figurer de nombreuses informations, dont certaines très personnelles : signes physiques particuliers, pseudos, situation familiale, troubles psychologiques ou psychiatriques, etc. D’autres données — "lien avec des groupes extrémistes" — peuvent éclairer sur les opinions politiques de la personne fichée, un élément interdit par l’article 6 de la loi sur la sécurité informatique de 1978, rappellent les associations.

Cette collecte d’informations est d’autant plus inquiétante qu’il est très difficile de savoir si l’on figure sur ce fichier : "Les droits d’accès, de rectification et d’effacement sont très compliqués à mettre en œuvre." Pour Angélique Huguin, militante historique contre le projet Cigéo d’enfouissement des déchets de Bure (Meuse), c’est clair : "Militer pour l’environnement nous expose aujourd’hui à un arsenal répressif rendu de plus en plus puissant par les nouvelles technologies, notamment celles qui permettent le fichage. Cela fait de nombreuses années que nous y faisons face à Bure contre le projet Cigéo. Ce fichier ouvre la porte à encore plus de dérives autoritaires."

Les opposants à la poubelle nucléaire dans la Meuse ont fait l’objet, pendant des années, d’une répression brutale et d’une instruction d’envergure pour "association de malfaiteurs", qui a donné lieu à une surveillance intensive de leurs faits et gestes. Ils ont été relaxés au fur et à mesure de la procédure judiciaire, les derniers ayant vu leur peine cassée par la Cour de cassation le 11 septembre.

Plusieurs élus se sont joints au recours. C’est le cas de Maxime Laisney, député (Nouveau Front populaire – La France insoumise) de Seine-et-Marne, spécialisé dans les questions d’énergie. Pour lui, ce fichier traduit avant tout une "criminalisation croissante et tous azimuts des opposants au nucléaire et plus généralement à tous ceux qui nuisent au projet écocide""Tout le monde se fait traiter d’“écoterroriste”, une disqualification morale bien pratique pour éviter de répondre aux vraies questions posées par l’ensemble de ces militants et opposants", dénonce-t-il.

Pour Julie Laernoes, députée (Nouveau Front populaire – Les Écologistes) de Loire-Atlantique, le gouvernement s’est trompé de cible en visant les antinucléaires : "Les actions qui ont pu être menées, notamment par Greenpeace, démontrent la vulnérabilité des centrales. Cela peut permettre d’améliorer la sécurité". Régulièrement, les militants de Greenpeace s’introduisent sur des sites nucléaires pour en dénoncer les failles de sécurité. Le 9 avril, quinze d’entre eux ont été jugés pour avoir pénétré sur le chantier de l’EPR de Flamanville, en 2022. EDF leur a réclamé 1 million d’euros de dommages et intérêts. Le verdict sera rendu le 14 mai 2025.

Au-delà de l’intimidation des opposants, la députée y voit une manière de sécuriser au maximum la construction de six nouveaux EPR2 et plus généralement la relance du nucléaire voulue par Emmanuel Macron, en muselant encore plus les oppositions. "C’est un décret d’application de la loi d’accélération du nucléaire", rappelle l’élue. Laquelle a été adoptée avec des articles durcissant les sanctions pour intrusion dans les centrales nucléaires, les portant de 1 à 2 ans de prison et de 15 000 à 30 000 euros d’amende. Ces articles avaient toutefois été censurés par le Conseil d’État au titre de "cavaliers législatifs".

Dans un rapport publié en février 2024, Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, s’inquiète de la “nette augmentation de la répression et de la criminalisation” des mouvements écologistes dans de plus en plus de pays européens. Comme le résume Le Monde, ce phénomène se retrouve :

  • dans les discours politiques et médiatiques, où les militant·es climatiques sont stigmatisé·es, dépeint·es comme “une menace pour la démocratie” ou des “éco-terroristes” ;
  • à travers le durcissement des législations : au Danemark les “extrémistes climatiques” figurent désormais sur la liste des “menaces terroristes”, en Espagne le rapport du ministère public inclut le mouvement Extinction Rebellion dans la rubrique “Terrorisme international” ;
  • dans l’usage démesuré et brutal de la force par la police : serre-câbles en plastique en Allemagne, gaz poivré en Autriche et en Finlande, canons à eau aux Pays-Bas… ;
  • dans l’usage de mesures d’enquêtes et de surveillance habituellement réservées à la criminalité organisée : mises sur écoute, filatures, perquisitions, arrestations, détentions provisoires… ;
  • à travers des peines de plus en plus lourdes devant les tribunaux.

C'est, pour lui, une “réponse disproportionnée” de la part des États. Il considère qu’ils “créent un climat de peur et d’intimidation” à l’“effet dissuasif sur la capacité de la société à faire face à la crise environnementale avec l’urgence requise”“La France est le pire pays d’Europe concernant la répression policière des militants environnementaux. La violence des forces de l’ordre est hors catégorie. Leurs homologues à l’étranger ne comprennent pas la manière dont les gouvernements français répondent aux manifestations.”

Notamment, il y a le douloureux souvenir de Sainte-Soline, où des dizaines de milliers de manifestant·es venu·es protéger l’accès à la ressource en eau et s’opposer à son accaparement ont été accueilli·es par un dispositif policier hors-norme. La Ligue des Droits de l’Homme en faisait une synthèse édifiante : “Tirs massifs et indiscriminés au gaz lacrymogène, armes relevant des matériels de guerre, grenades assourdissantes, grenades explosives de type GM2L et GENL, tirs de LBD dont depuis les quads en mouvement, deux canons à eau, fusils (FAMAS)...”. Un “usage immodéré et indiscriminé de la force sur l’ensemble des personnes présentes sur les lieux, avec un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain”.
Selon les organisateur·ices, entre 200 et 300 manifestant·es ont été blessé·es, dont 40 grièvement, et deux en état d’urgence absolue.

Ce dispositif démesuré n’est pas sans évoquer celui déployé en 1977 contre les militant·es antinucléaires opposé·es à la centrale nucléaire Superphénix. Le 31 juillet de cette année, alors que près de 60 000 personnes défilaient en direction de la centrale en chantier à Malville, en Isère, les forces de l’ordre ont utilisé au moins 4 000 grenades, dont plusieurs centaines offensives, faisant une centaine de blessé·es, dont deux personnes mutilées, et un mort : Vital Michalon.