Adoption de la loi narcotrafic, nouvel outil de répression militante

Ce n'est malheureusement pas un poisson d'avril, la Loi narcotrafic a été adoptée le 1er avril par l'Assemblée nationale. Une commission mixte paritaire doit maintenant se tenir pour statuer sur le texte. Si certaines dispositions ont sauté, d'autres sont maintenues et d'autres ajoutées. On refait un topo sur cette loi et ses dangers.

La Loi narcotrafic a été adoptée par l'Assemblée nationale par 436 voix contre 75. La coalition gouvernementale et le Rassemblement national (RN) ont sans surprise voté pour.

Comme l'a dénoncé la Quadrature du Net, « ce texte ne s’applique pas seulement à la vente de stupéfiants et conduit à renforcer lourdement les capacités de surveillance du renseignement et de la police judiciaire. Il s’agit d’un des textes les plus répressifs et dangereux de ces dernières années.»

Cette loi pourrait notamment donner encore plus de pouvoirs pour réprimer les actions militantes. En modifiant le régime juridique de la criminalité organisée, applicable en d’autres cas, cette loi ne s’applique pas uniquement au trafic de drogues.

Comme le rappelle La Quadrature du Net dans son article sur la loi narcotrafic, les règles liées au régime dérogatoire de la délinquance et la criminalité organisées, sont fréquemment utilisées pour réprimer les auteurs et autrices d’actions militantes.

Les procureurs n’hésitent pas à mobiliser la qualification de « dégradation en bande organisée » pour pouvoir jouir de ces pouvoirs plus importants et plus attentatoires aux libertés publiques.

Cela a été par exemple le cas pendant le mouvement des Gilets jaunes, lors de manifestations ou contre les militant·es ayant organisé des mobilisations contre le cimentier Lafarge.

Ce cadre juridique d’exception s’applique également à l’infraction « d’aide à l’entrée et à la circulation de personnes en situation irrégulière en bande organisée », qualification qui a été utilisée contre des militant·es aidant des personnes exilées à Briançon, mais a ensuite été abandonnée lors du procès.

Cette loi représente donc une véritable menace pour la liberté de manifester et les actions militantes, au même titre que loi sécurité globale. Elle s'inscrit dans la lignée des nombreuses lois sécuritaires passées sous le mandat de Macron.

Un petit point positif, la mesure qui voulait obliger les plateformes de messagerie chiffrée (Signal, WhatsApp…) à communiquer les échanges privés des utilisateurs semble avoir disparu de la proposition de loi.

En effet la première version de la loi narcotrafic attaquait la protection des messageries chiffrées en imposant la mise en place de portes dérobées pour la police et le renseignement.

Cette proposition de loi, adoptée par le Sénat, a fait l’unanimité contre elle. Qu’il s’agisse des associations fédérées au sein de la Global Encryption Coalition, des entreprises (réunies au sein de l’Afnum ou de Numeum) ou encore de certaines personnalités politiques et institutionnelles dans une tribune du journal Le Monde. La présidente de la fondation Signal a pour sa part menacé de quitter la France.

À l’Assemblée nationale aussi, le front contre cette disposition était large puisque des amendements de suppression sont venus de tous les bords politiques.

Ce n'est toutefois qu'une demi bonne nouvelle, car Retailleau a annoncé qu'il ne comptait pas renoncer. Cette mesure risque donc de ressurgir tôt ou tard.

« Nous restons en effet prudent·es car les attaques contre le chiffrement sont récurrentes » (La Quadrature du Net).

À l'échelle de l'Europe, de nombreux pays (comme la Suède, le Danemark ou le Royaume-Uni) essayent également de mettre la pression sur les services de messagerie ou d’hébergement chiffrés. De leur côté, les institutions de l’Union européenne poussent plusieurs projets visant à affaiblir la confidentialité des communications, comme le règlement « Chat Control » ou le projet du groupe de travail « Going Dark ».

Voir notre article de 2023 sur "Chat Control" : Le Règlement européen CSAR veut remettre en cause le droit au secret de nos communications

Alors que la commission des lois l'avait retiré, la coalition d'extrême droite est parvenue à rétablir l'activation à distance des objets connectés dans la proposition de loi.

La loi narcotrafic autorise donc la police à activer à distance les micros et caméras des appareils connectés fixes et mobiles (ordinateurs, téléphones…) pour espionner les personnes qu'ils estiment suspectes.

Cette technique utilise les failles des appareils connectés. Proposée par Eric Dupont-Moretti en 2023 dans une loi de réforme de la justice, cette mesure de surveillance avait été partiellement censurée par le Conseil constitutionnel. Elle est ici reprise avec de légères modifications.

En effet, de plus en plus de monde disposent d'appareils connectés, que ce soit des wearables (montres, capteurs de fitness, écouteurs sans fil, etc), ou des assistants vocaux (comme Amazon Alexa, Google Assistant et Apple Siri). Des dispositifs qui intéragissent avec divers appareils domestiques, tels que les thermostats connectés, caméras de surveillance intelligentes ou systèmes d’éclairage automatisés.

Tous ces objets représentent une aubaine pour les forces de l'ordre et constituent une réelle menace pour les libertés individuelles.

La loi narcotrafic amène donc une nouvelle escalade dans la surveillance, qui poursuit la légalisation des logiciels espions (comme ceux de NSO-Pegasus ou Paragon).

Les députés ont, par ailleurs, rétabli en séance – après l’avoir supprimée en commission – la création du « dossier coffre » ou « procès-verbal distinct » qui ne sera accessible qu’aux enquêteurs et aux magistrats, une mesure jugée par les avocats pénalistes et de multiples associations, dont la Quadrature du Net, comme attentatoire aux droits de la défense.

Cette mesure empêche les personnes poursuivies d’avoir accès aux procès-verbaux détaillant les mesures de surveillance les concernant, donc de les contester.

À travers ce mécanisme de PV séparé, la police pourrait donc utiliser en toute opacité des outils très intrusifs (comme les logiciel-espions par exemple) sans jamais avoir à rendre de comptes auprès des personnes poursuivies.

Cependant, le texte a été remanié pour prendre en compte certaines critiques émises par le Conseil d’État dans un avis rendu deux jours plus tôt.

Le recours au « dossier-coffre » sera a priori autorisé par le juge des libertés et de la détention uniquement pour les cas « de nature à mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique d’une personne » ayant installé la technique d’enquête ou de ses proches. Il ouvre également la possibilité de contester devant la chambre de l’instruction le recours à celui-ci, ainsi que le versement de certains éléments précis recueillis par des techniques spéciales d’enquêtes.

Les députés ont également validé une expérimentation du "renseignement algorithmique" pour une durée de deux ans.

L’article 8 est l'un des plus dangereux de la proposition de loi d'après la Quadrature du Net. Celui-ci étend la technique de renseignement dite des « boites noires ». Cette mesure consiste à analyser le réseau internet via des algorithmes pour trouver de prétendus comportements « suspects » pour prévenir « la criminalité organisée ».

Tout le réseau est scanné, sans distinction : il s’agit donc de surveillance de masse. Cela pourrait de plus porter sérieusement atteinte aux actions militantes.

On ne sait pas grand-chose de ces boites noires, ni de leur utilisation, puisque les quelques rapports sur le sujet ont été classés secret défense.

En revanche, pendant les débats en commission, le député Sacha Houlié (qui a été le promoteur de leur extension l’année dernière) a donné des indications de leurs fonctionnement.

Il explique ainsi que les comportements recherchés seraient ceux faisant de « l’hygiène numérique », soit, d’après lui, des personnes qui par exemple utiliseraient plusieurs services à la fois (WhatsApp, Signal, Snapchat) (...) l’algorithme pourrait être configuré pour rechercher toute personne ayant des pratiques numériques de protection de sa vie privée.

Les métadonnées révélant le recours à un nœud Tor ou l’utilisation d’un VPN pourrait semblent de fait être considérées comme suspectes. Ce mouvement consistant à considérer comme suspectes les les bonnes pratiques numériques n’est malheureusement pas nouveau et a notamment été très présent lors de l’affaire du « 8-Décembre ».

La Quadrature du Net, Loi « Narcotraficotage » : la mobilisation paye alors ne lâchons rien

De nombreuses autres mesures pouvant mettre à mal les actions militantes sont contenues dans la loi : comme la collecte, et la conservation pendant une durée disproportionnée de cinq années, des informations d’identité de toute personne achetant notamment une carte SIM prépayée ou la banalisation des enquêtes administratives de sécurité pour l’accès à de nombreux emplois.

Au-delà de ces mesures de surveillance, le texte renforce une vision très répressive de la détention, de la peine ou de la justice des mineurs.

Elle facilite, comme le dénonce l’association Droit Au Logement,les expulsions locatives.

L’article 24, permettra en effet l’expulsion d’une famille en cas de « trouble aux abords du logement » commis par un des membres de la famille, mineur ou non,  même si le trouble est sans rapport avec le narcotrafic.

Une mesure violente et injuste, qui se rajoute à la nouvelle proposition de loi sur « la fin du maintien à vie dans le logement social » de l’ancien ministre du logement Guillaume Kasbarian, qui risque également de renforcer les expulsions.

L’article 16 bis permet par ailleurs, sur demande du procureur et autorisation du juge des libertés, l’installation dans des lieux privés tels que les halls d’immeubles, d’Imsi-Catcher, des appareils fonctionnant comme une fausse antenne-relais, permettant de surveiller les appareils connectés à proximité.

Les députés LFI ont d’ores et déjà annoncé leur intention de saisir le Conseil constitutionnel.

Pour suivre les délibérations au sujet de cette loi, il est possible de suivre la page de La Quadrature du Net ou le site du media indépendant Au Poste.

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