La Quadrature du Net nous alerte sur cette loi dite "Narcotrafic" qui, sous couvert de lutte contre le trafic de drogue, vise en fait à restreindre les libertés de toutes et tous sur Internet et ailleurs, notamment des militant.es.
Si elle était adoptée, cette loi hisserait la France en tête des pays les plus avancés en matière de surveillance numérique.
Des explications sur la loi
En vidéo, par La Quadrature du Net
Les différents points :
- La loi dite "Narcotrafic" attaque la protection des messageries chiffrées (comme Signal ou WhatsApp) en imposant la mise en place de portes dérobées pour la police et le renseignement.
- En modifiant le régime juridique de la criminalité organisée, applicable en d’autres cas, cette loi ne s’applique pas uniquement au trafic de drogues. Elle peut même être utilisée pour surveiller des militant·es.
- Le dossier-coffre, une disposition de la loi, rend secrètes les pièces d’un dossier détaillant les modalités de l’utilisation des techniques de surveillance lors d’une enquête. Cela porte atteinte au droit de se défendre et a pour conséquence d’empêcher la population de connaître l’étendue des capacités de surveillance de la police judiciaire.
- Le texte prévoit d’autoriser la police à activer à distance les micros et caméras des appareils connectés fixes et mobiles (ordinateurs, téléphones…) pour espionner les personnes.
- Il élargit l’autorisation d’usage des "boîtes noires", technique d’analyse des données de toutes nos communications et échanges sur Internet à des fins de "lutte contre la délinquance et la criminalité organisée".
- La police pourra durcir sa politique de censure de contenus sur Internet en l’étendant aux publications en lien avec l’usage et la vente de drogues. Les risques d’abus pour la liberté d’expression sont donc amplifiés.
Campagne pour s'y opposer
Au Sénat, où ce texte est déjà passé, il a été malencontreusement approuvé par les socialistes, communistes, verts. Il s'agit d'alerter les élu.es avant le vote à l'assemblée.
Leur article présente aussi les détails du texte.
Le communiqué de l'Observatoire des Libertés et du Numérique
La Quadrature du Net (LQDN), la Ligue des droits de l’Homme (LDH), le Syndicat des Avocats de France (SAF), le Syndicat de la Magistrature (SM) sont membres de l'Observatoire des Libertés et du Numérique (OLN), créé en 2014 pour informer, former, prévenir, proposer et peser dans le débat public sur ce que doit être une politique du numérique respectueuse des droits (notamment pour le respect de la vie privée et la protection des données personnelles pour tous).
Ces quatre organisations sont aussi membres de la coalition HIATUS, où elles apporteront leur expertise de long terme pour la défense de nos droits face au déploiement de l'IA partout.
Ci-dessous le plus récent communiqué OLN du 28 janvier 2025. Pour aller plus loin, nous mettons le lien vers l'interview de deux députés suite à leur rapport prônant la légalisation du cannabis.
Voilà des mois que nos responsables politiques font mine de faire la guerre au trafic de drogues et que les médias leur emboîtent le pas de façon sensationnaliste, en amplifiant des faits graves, des tragédies humaines ou en donnant de l’écho à des opérations "choc". Les sénateurs Jérome Durain (PS) et Étienne Blanc (LR), en cheville avec les ministres de l’Intérieur et de la Justice, cherchent à renforcer le dispositif répressif et de surveillance, abaisser le contrôle de l’activité policière et réduire les droits de la défense au nom de la lutte contre le trafic de stupéfiants.
L’Observatoire des Libertés et du Numérique (OLN) souhaite alerter sur les dangers de ce texte qui, au prétexte d’une reprise en main d’une problématique sociétale pourtant loin d’être nouvelle et appelant d’autres solutions que le tout répressif – comme le rappelait récemment le Haut commissaire aux droits humains de l’ONU -, vise à introduire et renforcer des mesures dangereuses pour les libertés et dérogatoires au droit commun.
La proposition de loi "Sortir la France du piège du narcotrafic", outre qu’elle convoque l’imaginaire des cartels mexicains, vise à renforcer largement le régime juridique d’exception de la criminalité organisée. Ce dernier déroge déjà au droit commun en ce qu’il permet que soient utilisés les moyens d’enquête les plus intrusifs et attentatoires à la vie privée dès lors que la commission de l’une des infractions figurant sur une liste qui ne cesse de s’allonger, est suspectée. Elle englobe ainsi une grande partie des crimes et délits lorsqu’ils sont commis en bande organisée ou via la constitution d’une association de malfaiteurs, mais aussi toutes les infractions relevant du trafic de stupéfiants.
La notion de criminalité organisée, insérée en 2004 dans le code de procédure pénale officiellement pour cibler des réseaux mafieux, s’applique donc en réalité à de nombreuses autres situations. Aujourd’hui, elle légitime, comme la lutte contre le terrorisme avant elle, d’élargir toujours plus les mécanismes d’exception en vue d’une répression accrue, au nom d’une logique d’efficacité, mais dont l’expérience montre qu’ils sont toujours détournés de leur finalité initiale. Par exemple, la qualification d’association de malfaiteurs a pu être utilisée dans des affaires relatives à des actions militantes, comme à Bure contre l’enfouissement des déchets nucléaires. En outre, depuis une réforme de 2016, les pouvoirs d’enquête du parquet, non indépendant car soumis à l’autorité hiérarchique du Garde des Sceaux, ont été renforcés et élargis en matière de criminalité organisée, évinçant encore un peu plus les garanties attachées à l’intervention du juge d’instruction.
Mais surtout, ce texte prévoit de faire tomber toujours un peu plus les barrières encadrant la surveillance policière. À titre d’illustration, il propose d’élargir le champ d’utilisation des "boites noires", cette technique de renseignement qui analyse les données de toutes nos communications et données récupérées sur internet via des algorithmes au motif de "détecter" de nouveaux suspects, technique que nous dénonçons depuis sa création. Initialement prévue pour le seul champ du terrorisme, elle a récemment été étendue aux "ingérences étrangères" et serait donc désormais aussi autorisée "pour la détection des connexions susceptibles de révéler des actes de délinquance et à la criminalité organisées".
Le texte vise en outre à étendre la durée d’autorisation de la surveillance par géolocalisation ainsi que pour l’accès à distance aux correspondances en matière de criminalité organisée, tandis que l’article 23 amorce la possibilité d’utiliser les drones dans les prisons. De plus, il permettra à la police – via le service Pharos – de censurer sur internet "tout contenu faisant la promotion de produits stupéfiants". Cette censure administrative avait été autorisée dans un premier temps pour les contenus pédopornographiques avant d’être étendue au terrorisme. Vous avez dit effet "cliquet" ? Ce texte constitue incontestablement une étape de plus vers la surveillance de masse et l’extension des pouvoirs de contrôle sécuritaire.
Enfin, il innove avec une mesure extrêmement inquiétante : "le dossier coffre", ou "procès-verbal distinct". Prévue à l’article 16 du texte, cette mesure a pour objectif d’empêcher les personnes poursuivies de connaître la manière dont elles ont été surveillées pendant l’enquête, afin qu’elles ne puissent pas contourner cette surveillance à l’avenir ou la contester dans le cadre de la procédure. Les sénateurs proposent ainsi tout bonnement que les procès-verbaux autorisant et détaillant les modalités de mise en œuvre de cette surveillance ne soient pas versés au dossier, autrement dit qu’ils ne puisse jamais être débattus. Les personnes poursuivies n’auraient ainsi plus aucun moyen de savoir ni de contester quand et comment elles ont été surveillées, y compris donc, en cas de potentiels abus des services d’enquête. Le législateur créerait une nouvelle forme de procédure secrète, introduisant par là une faille béante dans le respect du principe du contradictoire et par suite dans le droit pourtant fondamental à se défendre, maillon essentiel d’une justice équitable et d’une société démocratique.
Si nous ne sommes à l’évidence plus étonnés de l’affaiblissement progressif des libertés publiques au nom des discours sécuritaires, une attaque à ce point décomplexée des principes fondateurs d’une justice démocratique témoigne de la profonde perte de repères et de valeurs des actuels responsables publics. Parce que la proposition de loi relative au trafic de drogues suscite de graves inquiétudes quant à l’atteinte aux droits et libertés fondamentales, nous appelons l’ensemble des parlementaires à rejeter ce texte.
Autres sources
Quand la loi "Narcotrafic" devient la loi "Roue libre" (La Quadrature du Net, 29/01/2025). LQDN conclut : "Il est plus que temps que les membres des partis qui votent de telles mesures se ressaisissent et retournent dans le « champ républicain » et dans les perspectives de l’État de droit au lieu de faire la course à l’autoritarisme pour tenter d’égaler l’extrême droite et la droite extrême dans son délire sécuritaire."
La loi Narcotrafic est une loi de surveillance : mobilisons nous ! (LQDN, 24/02/2025)
Contre la loi surveillance et narcotraficotage (LQDN, 25/02/2025)
Pour aller plus loin
Deux députés, Antoine Léaument (LFI) et Ludovic Mendes (apparenté Ensemble), ont mené pendant 17 mois une mission d'information visant à "évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants" (rapport disponible ici), comportant 63 propositions. Ci-dessous interview sur LCP.
- les deux aboutissent au même constat : l'échec total de la stratégie de lutte menée jusqu'ici (pays le plus répressif de l'UE ET le plus gros consommateur !).
- environ un Français sur deux a déjà consommé du cannabis, consommation régulière pour 11 % de la population (stable ces dix dernières années)
- "Le trafic de stupéfiants est devenu un phénomène criminel majeur dans notre pays."
- leurs propositions pour en sortir sont en partie différentes : si les deux insistent sur la mise en oeuvre d'une vraie politique de prévention et d'une réponse médicale dans un objectif de santé publique et de lutte contre les trafiquants, l'un est pour une conduite de la stratégie par l'Etat (le LFI) quand l'autre promeut plutôt une réponse libérale (commercialisation contrôlée sous licence comme pour l'alcool), les deux prônant la création d'une autorité administrative indépendante.
- il est à regretter l'animation très hachée de l'intervieweuse, qui reprend uniquement les arguments des ministres Darmanin et Retailleau.