Alors que Macron organise ce mois-ci à Paris (au Grand Palais…) un de ces raouts hyper coûteux et vains, appelé "Sommet pour l'action sur l'Intelligence Artificielle", 22 organisations françaises (dont nous) lançons un appel pour une "maîtrise démocratique de cette technologie et une limitation drastique de ses usages, afin de faire primer les droits humains, sociaux et environnementaux".
Ce "Manifeste Hiatus" est diffusé par le journal Le Monde, sur son site et dans la version papier du 7 février. Il le sera aussi dans les sites des différents membres de la coalition, déjà La Quadrature, Stop Micro (Grenoble), le Syndicat de la Magistrature, le SNES-FSU , la LDH, Agir pour l'environnement, L'Atelier paysan, Lève les yeux, Sherpa, Solidaires, le Syndicat des Avocats de France (SAF)...
Au delà de ce manifeste (qui devrait attirer d'autres organisations dans les prochaines semaines), nous viserons à coordonner nos actions sur le long terme face à ce déploiement imposé et liberticide. Notamment, cette coalition se dote d'une plateforme HIATUS (logo en titre de l'article, lien à la fin), qui nous permettra de présenter nos analyses - collectives et/ou par organisation -, des fiches pratiques (avec des sources juridiques...), des appels à actions...
Par ailleurs, des "contre-sommets" sont organisés ces prochains jours :
- Samedi 8 février dans l'après-midi, à la Bourse du travail (3è arrondissement) : Contre-sommet à l'initiative du mouvement techno-critique. On y critiquera l'IA en tant que telle, parcourant l'ensemble de ses dimensions : écologiques, sociales, philosophiques, économiques, militaires, policières et politiques.

- Lundi 10 février à partir de 18h, à Arts et Métiers ParisTech (13è arrondissement) : Contre-sommet organisé par l'Association française contre l'intelligence artificielle (AFCIA). On y portera un regard informé et critique sur la "régulation", notamment éthique.
- Lundi 10 février à partir de 14h, au théâtre de la Concorde (8è arrondissement) : Contre-sommet organisé par le Syndicat national des journalistes (SNJ), à l'instigation du philosophe Eric Sadin, essentiellement autour des menaces que fait déjà peser l'IA sur les composantes culturelles des métiers intellectuels.
MANIFESTE
L’intelligence artificielle accélère le désastre écologique, renforce les injustices et aggrave la concentration des pouvoirs
Tout concourt à ériger le déploiement massif de l’intelligence artificielle en priorité politique. Prolongeant les discours qui ont accompagné l’informatisation depuis plus d’un demi-siècle, les promesses abondent pour conférer à l’IA des vertus révolutionnaires et imposer l’idée que, moyennant la prise en compte de certains risques, elle serait nécessairement vecteur de progrès. C’est donc l’ensemble de la société qui est sommée de s’adapter pour se mettre à la page de ce nouveau mot d’ordre industriel et technocratique.
Partout dans les services publics, l’IA est ainsi amenée à proliférer au prix d’une dépendance technologique accrue. Partout dans les entreprises, les manageurs appellent à recourir à l’IA pour "optimiser" le travail. Partout dans les foyers, au nom de la commodité et d’une course insensée à la productivité, nous sommes poussés à l’adopter.
Pourtant, sans préjuger de certaines applications spécifiques et de la possibilité qu’elles puissent effectivement répondre à l’intérêt général, comment ignorer que ces innovations ont été rendues possible par une formidable accumulation de données, de capitaux et de ressources sous l’égide des multinationales de la tech et du complexe militaro-industriel ? Que pour être menées à bien, elles requièrent notamment de multiplier la puissance des puces graphiques et des centres de données, avec une intensification de l’extraction de matières premières, de l’usage des ressources en eau et en énergie ?
Comment ne pas voir qu’en tant que paradigme industriel, l’IA a dores et déjà des conséquences désastreuses ? Qu’en pratique, elle se traduit par l’intensification de l’exploitation des travailleurs et travailleuses qui participent au développement et à la maintenance de ses infrastructures, notamment dans les pays du Sud global où elle prolonge des dynamiques néo-coloniales ? Qu’en aval, elle est le plus souvent imposée sans réelle prise en compte de ses impacts délétères sur les droits humains et l’exacerbation des discriminations telles que celles fondées sur le genre, la classe ou la race ?
Que de l’agriculture aux métiers artistiques en passant par bien d’autres secteurs professionnels, elle amplifie le processus de déqualification et de dépossession vis-à-vis de l’outil de travail, tout en renforçant le contrôle managérial ? Que dans l’action publique, elle agit en symbiose avec les politiques d'austérité qui sapent la justice socio-économique ? Que la délégation croissante de fonctions sociales cruciales à des systèmes d'IA, par exemple dans le domaine de la santé ou l'éducation, risque d’avoir des conséquences anthropologiques, sanitaires et sociales majeures sur lesquelles nous n’avons aujourd’hui aucun recul ?
Or, au lieu d’affronter ces problèmes, les politiques publiques menées aujourd'hui en France et en Europe semblent essentiellement conçues pour conforter la fuite en avant de l’intelligence artificielle. C'est notamment le cas de l’AI Act adopté par l’Union européenne [appelé Règlement européen sur l'Intelligence Artificielle ou RIA] et présenté comme une réglementation efficace alors qu'elle cherche en réalité à promouvoir un marché en plein essor. Pour justifier cet aveuglement et faire taire les critiques, c'est l'argument de la compétition géopolitique qui est le plus souvent mobilisé.
Une maîtrise démocratique
À longueur de rapports, l’IA apparaît ainsi comme le marchepied d’un nouveau cycle d’expansion capitaliste, et l’on propose d’inonder le secteur d’argent public pour permettre à l'Europe de se maintenir dans la course face aux États-Unis et à la Chine.
Ces politiques sont absurdes, puisque tout laisse à penser que le retard de l’Europe dans ce domaine ne pourra pas être rattrapé, et que cette course est donc perdue d’avance.
Surtout, elles sont dangereuses dans la mesure où, loin de constituer la technologie salvatrice souvent mise en avant, l’IA accélère au contraire le désastre écologique, renforce les injustices et aggrave la concentration des pouvoirs. Elle est de plus en plus ouvertement mise au service de projets autoritaires et impérialistes. Non seulement le paradigme actuel nous enferme dans une course technologique insoutenable, mais il nous empêche aussi d’inventer des politiques émancipatrices en phase avec les enjeux écologiques.
La prolifération de l’IA a beau être présentée comme inéluctable, nous ne voulons pas nous résigner. Contre la stratégie du fait accompli, contre les multiples impensés qui imposent et légitiment son déploiement, nous exigeons une maîtrise démocratique de cette technologie et une limitation drastique de ses usages, afin de faire primer les droits humains, sociaux et environnementaux.
Premiers signataires :
Stéphen Kerckhove, directeur général d’Agir pour l'environnement
Vincent Drezet, porte parole d'Attac France
Soizic Pénicaud, membre de Féministes contre le cyberharcèlement
Camille Dupuis-Morizeau, membre du conseil d’administration de Framasoft
David Maenda Kithoko, président de Génération Lumière
Denis Nicolier, co-animateur de Halte au contrôle numérique
Éléonore Delatouche, fondatrice de Intérêt à agir
Marc Chénais, directeur de L’Atelier Paysan
Raquel Radaut, porte-parole de La Quadrature du Net
Annick Hordille, membre du collectif Le nuage était sous nos pieds
Nathalie Tehio, présidente de la LDH (Ligue des droits de l’Homme)
Yves Mary cofondateur et délégué général de Lève les yeux
Olivier Petitjean, co-fondateur de L’Observatoire des multinationales
Thomas Thibault, président du Mouton Numérique
Julien Lefèvre, membre de Scientifiques en rébellion
Sandra Cossart, directrice de Sherpa
Sophie Venetitay, secrétaire générale du SNES-FSU
Baptiste Hicse, membre de Stop Micro
Judith Krivine, présidente du Syndicat des avocats de France (SAF)
Judith Allenbach, présidente du Syndicat de la Magistrature
Julie Le Mazier, co-secrétaire nationale de l’Union syndicale Solidaires
Emmanuel Charles, co-président de Ritimo
Les Signataires

Lien vers le site de la coalition : https://hiatus.ooo/
8 réponses sur « Manifeste HIATUS : "l’IA contre les droits humains, sociaux et environnementaux" »
[…] Lire notre article : Manifeste HIATUS : "l’IA contre les droits humains, sociaux et environnementaux" […]
[…] quatre organisations sont aussi membres de la coalition HIATUS, où elles apporteront leur expertise de long terme pour la défense de nos droits face au […]
[…] à la possibilité de déployer une stratégie similaire à celle des belges. La récente création de la coaliation HIATUS (dont La Quadrature et Halte au contrôle numérique sont membres, avec 20 autres organisations) […]
[…] A noter : l'action grenobloise est co-organisée par Stop Micro, y participent Fabien Lebrun (membre de Lève les yeux) et Génération Lumière. Ces trois organisations sont membres de la coalition HIATUS. […]
[…] A noter : La Quadrature du net, Le nuage était sous nos pieds, Génération Lumière sont signataires de la coalition HIATUS. […]
[…] la création de la coalition Hiatus […]
[…] StopMicro fait partie de la coalition Hiatus […]
[…] syndicale Solidaires (dont fait partie Solidaires Finances Publiques) est signataire du manifeste Hiatus ... comme notre collectif, Halte au contrôle […]