Atelier Santé : conclusions de la convention

Cet atelier a réuni des universitaires (Dijon, Lyon et Saint Etienne), des soignant.es, des syndicalistes (dont des médecins syndiqués au Syndicat de la Médecine Générale) et une représentante des patient.es.

Aujourd’hui, nous soignants, constatons une pression nationale pour aller vers toujours plus de numérique. Cela a commencé avec la mise en place du Dossier médical partagé (DMP), l’assurance maladie a tout de suite mis la pression pour l’utiliser. Ensuite on a vu apparaître des plateformes pour les prises de rendez-vous (Doctolib, etc), puis le DMP est devenu Mon Espace Santé. Question numérique présente aussi à l’hôpital via le PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d'information), la T2A (Tarification à l'activité).

Nous avons été obligés de nous mettre à l’informatique. Aujourd’hui on nous demande, tout comme aux patients, de faire nous-même du travail administratif qui était (et qui est encore en partie aujourd’hui) celui des secrétaires médicales. Au prétexte de la numérisation, on supprime des emplois et du lien humain entre les professionnels de santé et les patients, rajoutant inutilement de la complexité pour les personnes les moins à l’aise avec l’informatique, dans l’incapacité de l’utiliser, ou bien choisissant de s’en passer.

De plus, ces nouveaux outils dépossèdent les patients du contrôle sur leurs données de santé. L’interconnexion de ces données pose un problème en matière de sécurité et menace le droit au secret médical. Les patients n’ont pas à être fichés ni à être victimes de discriminations à cause de leur trajectoire de soin.

Enjeux politiques du développement du numérique en santé

1- Une perte de sens dans le soin

Lors des rendez-vous classiques, les médecins sont derrière un ordinateur car ils sont obligés de rentrer des données en permanence. Pourtant il est important d’être en contact avec le patient. Avec le système de dossiers numériques et de prises de rendez-vous sur Doctolib, les patients n’apparaissent plus que comme des dossiers sur une plateforme, traités à la chaîne. Du côté de certains patients, il y a aussi une fatigue du fait de devoir prendre des rendez-vous en ligne. De plus, avec Doctolib nous avons vu se développer les téléconsultations, qui permettent de diagnostiquer et soigner à distance, comme si le médecin était omniscient et était capable de tout comprendre sans avoir rencontré la personne. Il y a une perte d’humanité, les usagers sont dans une sorte d’énorme moulinette où on oublie leur singularité et leur individualité.

L’IA ne risque pas d’arranger les choses. Aujourd’hui on développe des robots pour analyser les discours des étudiants en médecine afin de leur apprendre comment annoncer une mauvaise nouvelle au patient (cf : la fac d’Aix Marseille). Au Japon, où se font déjà des téléconsultations depuis longtemps, on utilise aussi des robots humanoïdes pour faire de l’accueil et du relationnel dans les maisons de retraites. L’Europe suit le même chemin puisque depuis 2022, un programme de recherche européen a été lancé pour développer un hôpital du futur baptisé HoSmartAI. Le robot Pepper a déjà été utilisé comme un assistant de santé dans certains hôpitaux…

Alors que les soignants font de plus en plus du travail à la chaîne comme des machines, on utilise des machines pour réinjecter de l’humain dans le traitement des patients, un comble !

2- Une perte de contrôle des patients sur leurs données de santé

Le DMP est un carnet de santé numérique. Il rassemble toutes les informations médicales détenues par le médecin traitant, les médecins spécialistes, les laboratoires de biologie que les patients ont consultés et les établissements de santé où les patients ont séjourné. Le DMP permet aux professionnels de santé d’accéder à ces données et de les partager avec d’autres professionnels de santé. Dans ces informations se trouvent : les antécédents (maladies, opérations…) ; les allergies éventuelles ; les médicaments ; les comptes rendus d'hospitalisation et de consultation ; les résultats d'examens (radios, analyses biologiques…) ; les données de remboursement de l’Assurance Maladie. Avec le DMP il n’y a plus de droit à l’oubli !

Le DMP a été présenté comme un outil qui permettrait aux patients d’avoir la main sur leur dossier médical. Dans les sphères décisionnaires, il y a comme une sorte de croyance dans le fait que les politiques du numérique participent à une démocratisation de la santé, qu’il s’agirait d’un moyen pour redonner aux patients la main sur leurs données. Dans les faits, l’ouverture du DMP s’est faite automatiquement pour chaque assuré social, on ne leur a pas demandé leur consentement en pleine conscience, on leur a juste permis de cocher "une case de refus" en cas de désaccord, ce qui peut expliquer le fait que seulement 2% des assurés ont refusé. En titre de comparaison, lorsque le DMP s’est exporté dans Mon Espace santé en 2022, ce sont à peine 10 millions sur les 65,7 millions de patients potentiels qui ont accepté de se créer un compte. Il faut dire que cette fois-ci, des militants avaient demandé à ce que le passage par cette plateforme numérique ne soit pas obligatoire, faisant primer la logique du consentement en pleine conscience… Le DMP a donc surtout conduit à la banalisation du non consentement des patients sur le partage de leurs données.

Il n’y a eu aucune réflexion sur les risques qu’entraînent l’interconnexion de données pour les patients. Grâce à Mon espace santé, le médecin a accès à toute la trajectoire de vie de ses patients, cela a ses avantages mais aussi des inconvénients. Les patients n’ont pas du tout la main sur ce qui apparait au sein de Mon Espace santé, ils ne peuvent pas supprimer ou choisir ce qu’il y a dedans. Cela peut conduire, par exemple, à des cas de discriminations pour les problématiques psychologiques, cardiologiques, gynécologiques ou transitionnelles (pour les personnes transgenres). Le partage au sein du personnel soignant est également très large, ce qui remet en partie en question le droit au secret médical. De plus, beaucoup de patients passent par Doctolib pour la prise de rendez-vous, or les données sur Doctolib ne sont pas du tout protégées, car Doctolib n’est pas reconnu comme une plateforme hébergeant des données de santé, il s’agit simplement de données personnelles (une bataille juridique a été perdue là-dessus).

Il y a un réel manque d’informations du côté des patients sur la question de leurs données de santé. On voit que les dispositifs de discussion/concertation qui ont accompagné le tout numérique ne laissent apparaître aucun dissensus, comme si les patient et la Fédération des Acteurs de la Solidarité étaient complètement embarqués, sans aucun recul dessus. Or, comme toujours en matière d’inégalités, ce sont les plus vulnérables qui trinquent. Aujourd’hui il y a 65 millions de français avec un DMP ouvert, pas forcément actif, mais avec des données déposées dessus (l’assurance maladie y met des données automatiquement, on trouve aussi les vaccinations contre le covid par exemple).

Par rapport à Mon espace santé, plusieurs associations (comme XY media, Acceptess-T ou le collectif POS) ont très tôt alerté sur les dangers liés à cette plateforme. La Quadrature du Net a montré qu’elle présentait des insuffisances alarmantes en matière de respect du consentement et de gestion des données de santé. L’association a également pointé les failles en matière de sécurité : la centralisation en ligne des données et le fait que cela soit géré par une entreprise privée fait de ce service une cible idéale pour le piratage. Par ailleurs, l’accès est partagé pour le service d’un hôpital, dans ces conditions il est impossible de savoir qui y a vraiment accès (prêt de carte d’accès au système informatique par exemple). Des syndicats comme le SMG ont critiqué ce partage par défaut des données sur lequel les patients n’ont aucune prise. Mon Espace Santé est dans les faits un espace "ouvert" qu’il est difficile de fermer…

En fin de compte, le respect du droit à la vie privée a été complètement sabordé au prétexte de la transparence. Il est normal pour les patients d’avoir accès à l’entièreté de leur dossier médical, il n’est en revanche pas normal qu’ils ne puissent pas contrôler ce qui apparaît dessus ni savoir quelles personnes y ont accès. En tant que professionnels de santé nous pourrions imaginer un autre moyen de se partager les informations médicales sans avoir besoin de créer d’énormes bases de données. La coordination par le biais numérique est une manière d’esquiver la question des dépenses de santé et de la régulation. Or si nous autres professionnels de santé nous parvenons aujourd’hui à nous coordonner et à discuter ensemble des cas des patients c’est parce que nous nous connaissons indépendamment du numérique.

3- Une marchandisation des données

Le code de Mon Espace Santé n’est ni public ni accessible, ce qui pose la question de la transparence pour un outil du service public. Cela dit, ce n’est guère étonnant étant donné que ces données sont stockées par une entreprise privée. Depuis quelques années nous assistons à une plateformisation de L’État, celui-ci mime les services proposés par les GAFAM (catalogue de services dans le store, plateformes…), et la construction de cette infrastructure régalienne, souveraine donne à voir une porosité entre l’État et le marché (co-construction avec les acteurs privés, discussions dans les arènes internationales, standards définis par les GAFAM). Et les plateformes contribuent à structurer des marchés, celui des applications numériques

Un certain nombre d’applications sont en effet connectées à Mon Espace Santé, celles-ci sont visibles sur son catalogue de services (Store) : Doctolib (qui synchronise avec l’agenda de soins), appli qui aide les diabétiques pour faire les injections d’insuline, appli développée en interne pour les prises de RV, etc. de l’APHP : au total une vingtaine d’appli référencées.

À travers cette "plateformisation", le DMP est aussi appelé à être connecté au bouquet de services aux professionnels, qui est un peu le miroir de Mon Espace santé pour les professionnels.

On assiste progressivement à une "privatisation numérique" des services de santé. Ce qui devrait nous interroger vis-à-vis de la sécurité des données médicales, mais aussi sur la raison d’être de ces politiques du numérique. Deux milliards d’euros ont été débloqués par le Ségur du numérique en santé en 2021. On nous a poussé en tant que professionnels de santé à participer à cette politique numérique par des aides financières. Chaque professionnel de santé ayant déposé des données sur l’espace santé a pu recevoir des financements. Il s’agit d’une forme de pression de l’État, qui s’appuie sur l’ignorance des professionnels de santé sur la question du consentement des patients vis-à-vis de leurs données personnelles.

Pourtant cette question devrait nous concerner : cette interconnexion des données est-elle vraiment dans l’intérêt de nos patients ? Est-elle nécessaire pour faire notre travail ? Ne risque-t-elle pas au contraire de lui nuire ?

4- Un risque de surveillance de masse : "soigner n’est pas ficher !"

Le DMP (et Mon Espace santé) agrègent énormément de données. Le DMP peut être alimenté par un ensemble de services, des objets connectés, etc. qui peuvent téléverser des données à l’intérieur, et le DMP va participer au développement de ces services. Or, le DMP risque aussi d’être connecté au Health Data Hub (cf : rapports parlementaires, IGAS…). Le "Health Data Hub" (HDH) est un projet visant à centraliser l’ensemble des données de santé de la population française. Il est prévu que le HDH regroupe, entre autres, les données de la médecine de ville, des pharmacies, du système hospitalier, des laboratoires de biologie médicale, du dossier médical partagé, de la médecine du travail, des EHPAD ou encore les données des programmes de séquençage de l’ADN (voir cet article de La Quadrature du Net). La loi sur la "transformation du système de santé"a autorisé le lancement du HDH en juillet 2019.

Or, outre la marchandisation toujours plus poussée de ces données de santé, il existe également un risque de voir ces données utilisées par les autorités publiques pour sanctionner injustement certains patients.

Le numéro de sécurité sociale est avant tout un identifiant national de santé qui permet de vérifier l’identité d’une personne. Il est de plus en plus utilisé pour faire le lien entre tout un tas d’administrations qui ne relèvent pas toujours de la santé. Cette interconnexion des données est de plus en plus utilisée pour sanctionner les usagers de certaines administrations publiques.

Avec le covid, nous avons vu une dérive de ce contrôle, les médecins ont dû transmettre les données personnelles de leurs patients ayant contacté le covid, ainsi que celles de leurs contacts, à la plate-forme "Contact-Covid", cela a ensuite continué avec "Stop Covid" puis avec le passe sanitaire et le passe vaccinal. Ce système du passe a conduit à la généralisation de l’auto-surveillance en discriminant et restreignant les déplacements des patients non vaccinés, mais aussi de patients qui n’avaient pas de schéma vaccinal complet. À cause de cela nous avons pu assister à des conséquences dramatiques, comme l’interdiction d’une distribution alimentaire à des étudiants précaires non vaccinés à Orléans, ainsi qu’à la suspension d’une partie du personnel soignant, qui s’est retrouvé du jour au lendemain dans une situation très précaire.

Tout ça, en termes de pratiques professionnelles, n’apporte rien. Tout ça ne sert pas la coordination, ça sert à nourrir les profits et la surveillance.

Revendications

1- Droit au papier

2- Droit de dire non

3- Valorisation du travail de saisie des données, qui est en fait déjà à comprendre dans comme un acte de soin

4- Diversité de façon d'accéder au soin

5- Logiciels libres et open source

6- Bases de données déconcentrées

7- Hébergement national et local des données

Mythes et fausses promesses

1- Partager ses données c'est être un bon citoyen

2- C'est efficace sur le plan écologique (plus de papier)

3- Plus de numérique, c'est plus de démocratie

4- Le numérique protège la vie privée

5- Patients acteurs ? Expropriés plutôt

Enjeux d'action

1- Faire confiance aux marges

2- La situation de  minorité est protectrice

3- Ça doit être un enjeu de pratiques professionnelles (affichage en salle d'attente, tourner son écran vers le patient pour mieux informer, avoir des temps de consultation dédiées)

Actions concrètes 

1- Campagne  Fermons "Mon Espace Santé"

Le Syndicat de la Médecine générale mène une campagne pour la fermeture de MonEspaceSanté personnel. Leurs explications Mon Espace Santé : trop de doutes et trop de risques !, et le tuto pour fermer "Mon Espace Santé"

2- Cagnotte pour financer des logiciels libres

Du côté du développement des logiciels libres en santé, voir InterHop, association qui milite pour la non privatisation des données de santé. Cela nécessite des moyens car il faut financer le développement de ce type d’outils (ex Orea). Ça a marché en Belgique par exemple où les professionnels ont financé une coopérative (Medispring).

3- Volonté de susciter des enquêtes journalistiques pour montrer les failles techniques de MonEpaceSanté

4- Formation de soignants à la question du consentement des patients sur les données de santé

Le consentement est à la base de la relation de soin. Il y a un vrai enjeu à refabriquer du consentement.

5- Faire un dictionnaire des faux nez du numérique : mythes et fausses promesses

Sources

Liens vers les ressources du Syndicat de la Médecine Générale, dont tutoriel ci-dessous pour fermer votre compte individuel dans MonEspaceSanté

Pourquoi s'opposer à la création de Mon Espace Santé (La Quadrature du net)

Santé, identité… L’Europe veut numériser toute notre vie (Matthieu Amiech, membre d'Ecran total)

L'identité numérique en santé : entre contrôle et déshumanisation (SMG)

Le passe sanitaire, un pas de plus dans "l’autoritarisme" et la "société du contrôle" (Reporterre)

Passe sanitaire, on ne va pas se laisser faire ! (Halte au contrôle numérique

Sur l'accord avec l’OMS pour l'extension du pass sanitaire européen au niveau mondial (juin 2023)

3 réponses sur « Atelier Santé : conclusions de la convention »