Pollutions, captation d'eau, d'énergie... La faute à l'IA

Dessin de Kak

Les GAFAM nous le promettaient : le numérique se dirigeait vers la sobriété, la frugalité ... bref vers la technologie verte, à coup de "compensation carbone" (rachat de droits à polluer en finançant un projet qui réduit ou séquestre des émissions de gaz à effet de serre, par exemple des plantations d’arbres) ou de technosolutionnisme (résoudre un problème en ayant recours à une nouvelle solution technologique)...

Las, l'intelligence artificielle fait exploser tous ces dispositifs cache-misère, et fait franchir tous les seuils censés maintenir le numérique dans un cadre écologique dit "raisonnable" ! Ainsi, Google Gemini, modèle de langage d’IA, consomme beaucoup plus de ressources graphiques qu’un moteur de recherche traditionnel de part la génération d’images, d’audio ou de vidéos, processus très gourmand en énergie.

L’intelligence artificielle n’est pas la seule responsable. Cryptomonnaies, streaming en très haute définition, jeux-vidéo en "cloud-gaming"… Ces services, apparus il y a seulement quelques années, requièrent une puissance de calcul toujours plus importante, faisant flamber leur consommation d’énergie. À lui seul, le Bitcoin consommerait 0,5 % de l’électricité mondiale, d’après les calculs du New York Times.

D’après Ana Valdivia, Maître de conférences à l’Oxford Internet Institute, " Les entreprises de la Silicon Valley s'efforcent de promouvoir des projets d'IA visant à atténuer les effets du changement climatique. Mais nombre de ces projets sont des promesses vides, gaspillant d'immenses quantités d'argent public pour écoblanchir la technologie et le capitalisme."

Carbone

Les émissions de CO2 de Google et Microsoft ont augmenté de plus de 40% ces dernières années, hausse en grande partie due à la construction de nouveaux data centers jugés indispensables pour l' IA. Les émissions de gaz à effet de serre de Google ont ainsi augmenté de 48% en cinq ans, selon son dernier rapport annuel (14,3 millions de tCO2e en 2023, contre 12,6 millions en 2022 et 9,7 millions en 2019...). Cela concerne son moteur de recherche, mais aussi les plateformes Google Drive et YouTube…

Ses data centers, indispensables au fonctionnement de la grande majorité des IA (comme ChatGPT), doivent analyser des millions d'exemples de textes ou d'images pour pouvoir en générer de nouveaux sur demande. Cela inclut les gaz à effet de serre liés à la construction des bâtiments mais aussi les émissions liées à la fabrication des composants électroniques. Sans parler des start-up qui gravitent autour.

Pour sa part, Microsoft a rejeté 17,16 millions de tonnes d'équivalent CO2 dans l'atmosphère en 2023, d'après son rapport d'impact environnemental de mai. Soit une hausse de 40% en quatre ans, due là aussi à l'IA générative intégrée à ses services, à la rédaction automatique de courriels à la retouche photo en passant par la recherche internet dite "augmentée". Et ça ne va pas s'arrêter là, l'écart avec les objectifs Scopes 1, 2 et 3 (niveaux souhaitables d'émissions de gaz à effet de serre pour cette entreprise) devrait exploser d'ici 2030...

Microsoft prétend bien sûr que les progrès de l'IA permettront d'optimiser la consommation d'énergie ou de trouver de nouvelles solutions au réchauffement climatique.

Le GIEC (scénario SSP1-19 du GIEC, un des plus optimistes) prévoit lui une multiplication par six des émissions du secteur numérique d'ici 2050 :

Electricité

Or la construction de centres de données de "grande capacité" devrait tripler d’ici six ans, a évalué le cabinet Synergy Research. En France, Le seul secteur des data centers pourrait mobiliser la puissance de cinq à sept réacteurs nucléaires d’ici 2030, d’après Cécile Diguet, directrice du département transformations urbaines de l’agence d’urbanisme d’Île-de-France. Or Macron, qui reçoit régulièrement les grands patrons des GAFAM à Versailles, prévoit justement la construction de 6 EPR...

"Attention à ne pas fragiliser le réseau comme en Irlande." Là-bas, les centres de données – plus de quatre-vingts, exploités par les Google, Meta ou Amazon... - consomment désormais plus d’électricité (en 2023, 21 % du total de la consommation électrique) que l’ensemble des maisons urbaines (19 %, d’après Le Monde le 24 juillet). Et, selon une projection de l’Agence internationale de l’énergie, cela passerait à un tiers de la production électrique totale du pays dès 2026, notamment en raison du développement de l’intelligence artificielle ! Ce qui, en cas d’hiver rude ou de tempête, pourrait conduire à une saturation du réseau électrique au détriment des habitants.

Aux États-Unis, la construction de centres de données fait envisager un triplement de la consommation électrique pour 2030. Google a ainsi reconnu que Bard, chatbot doté d’IA dans le moteur de recherche, conduirait à multiplier par dix le coût par requête. Pour une requête simple, Google mobilise les données déjà indexées sur internet, alors qu’ajouter une couche d’IA pour le même service sollicite une puissance de calcul bien supérieure. À service égal, l’IA utilise trente fois plus d’énergie, d’après la chercheuse Sasha Luccioni.

Eau

Elle est abondamment utilisée pour refroidir les équipements. Google rapporte ainsi pour 2023 une augmentation nette de sa consommation en eau de 17 % de plus qu’en 2022, tandis que chez Microsoft, on parle de 34 % de hausse en 2021. À Taïwan, principal producteur mondial de microélectronique de pointe, cette industrie stratégique accentue le stress hydrique.

Aux Etats-Unis, la rivière Des Moines, un affluent du Mississippi, est au coeur du fonctionnement de ChatGPT, développé par la société Open AI. Microsoft, détenteur d’Open AI à 49 %, y a installé trois immenses centres de données. Il s’agit de refroidir l’un des superordinateurs les plus puissants au monde qui permet à ChatGPT de répondre à des millions de requêtes simultanées, chaque seconde, aux quatre coins de la planète. En juillet 2022, Microsoft a pompé un peu plus de 11,5 millions de litres d’eau dans la rivière, soit 6 % de l'eau utilisée dans la capitale de l’Etat, comme l’a révélé un procès intenté par des résidents. Dans une région qui subit depuis plus de trois ans la sécheresse… "ChatGPT ne répond à aucun besoin vital. Et pourtant, nous utilisons notre eau pour abreuver un ordinateur"déplore un activiste local.

GPT-3, l’ancienne version du modèle de langage d’OpenAI, engloutit un demi-litre d’eau à chaque fois qu’on lui pose une série de 10 à 50 questions. Qu’en sera-t-il avec la dernière version, GPT-4qui s’appuie sur 100 fois plus de paramètres de calcul…

Minerais et terres rares

Ceux-ci rentrent dans la composition des puces et microprocesseurs, comme ceux fabriqués par le mastodonte étasunien Nvidia. Actuellement, le cuivre voit sa production "siphonnée" par l’industrie de l’IA selon le Wall Street Journal.

Ils sont extraits dans des conditions sociales et environnementales souvent désastreuses. En Birmanie, cette industrie alimente un "pillage généralisé des ressources naturelles", s’alarme l’ONG Global Witness.

Aux États-Unis, l'Artificial Intelligence Environmental Impacts Act, introduit début 2024 au Congrès, propose une régulation adaptée aux conséquences écologiques du secteur. Un volontarisme affiché qui contraste avec la timidité de l’IA Act européen. Celui-ci, s’il offre un premier cadre de régulation, ne se préoccupe pas de son coût environnemental.

La Green Software Foundation, filiale de la Linux Foundation, annonce vouloir réduire le coût environnemental de l’intelligence artificielle en établissant un système de notation et de labélisation pour évaluer les émissions de l’intelligence artificielle, avec une "grille aussi simple à lire que celle du Nutri-Score". En France, cette notation pourrait être reprise par le groupement Ecolab.

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