Contrôles discriminatoires : « Nous demandons le démantèlement des pratiques illégales des CAF »

Nous republions ici une tribune initiée par le collectif Changer de Cap, que nous avons signée. Parue le 5 avril dans Bastamag, elle critique et remet en question le contrôle numérique et discriminatoire de la CAF. Elle a été suivie et relayée par de multiples collectifs et organisations, dont la Quadrature du Net et compte aujourd'hui près de 1200 signatures. Nous appelons à la signer et à la faire circuler !

Contrôles abusifs des allocataires, suspension des versements, harcèlement des plus précaires… La CAF oublie ses missions initiales de protection et de soutien pour devenir un outil de police numérique. Une tribune du collectif « Changer de cap ».

La numérisation à marche forcée des services publics contribue à faire des Caisses d’allocations familiales (CAF) un instrument de la mise en place d’une société de surveillance et de pénalisation des plus pauvres. Alors que la protection sociale est un droit universel depuis le Conseil national de la Résistance, les CAF développent une politique de plus en plus dure de contrôle des personnes en situation de précarité.

Tous fichés…

Plus de 1 000 données par personne sont collectées pour 13 millions de foyers (1), grâce à l’interconnexion de dizaines de fichiers administratifs (impôts, éducation, police, justice…) Les contrôleurs ont en outre le pouvoir de consulter nos comptes bancaires, nos factures de téléphone et d’énergie… Toutes ces données sont traitées à notre insu.

Chaque allocataire fait l’objet d’un profilage établi par un logiciel, mais selon des variables définies par des décisions humaines. Des algorithmes déterminent des « scores de risque » de fraude, qui débouchent sur un véritable harcèlement des personnes en difficulté. Sont qualifiés de « risque » les variations de revenus, les situations familiales atypiques, la naissance hors de France… Il en résulte un ciblage des contrôles sur les personnes précaires, handicapées ou vulnérables.

Plus de 32 millions de contrôles automatisés ont été réalisés par les CAF en 2020. Les témoignages collectés confirment la concentration de ces contrôles sur les femmes seules avec enfants, les chômeurs, des personnes handicapées, d’origine étrangère…

Des contrôles indignes et illégaux

Les méthodes de contrôle sont tout aussi inacceptables. La plupart de ces contrôles sont déclenchés automatiquement, sans en informer les allocataires et parfois sans notification, ce qui est contraire à la loi. Juridiquement la fraude doit être intentionnelle, mais ici les incompréhensions, les difficultés face au numérique, les erreurs, y compris celles des CAF, sont assimilées à de la fraude (2).

Les procès-verbaux sont remplacés au mieux par des notifications sommaires, qui ne précisent ni les modalités de calcul de l’indu, ni les délais de réponse, ni les voies de recours. Dans de nombreux cas, les allocations sont suspendues pendant toute la durée du contrôle, sans respect du reste à vivre légalement imposé à tous les créanciers. Les contrôleurs sont pourtant dotés de larges pouvoirs juridiques et d’investigation, mais le calcul de leur prime d’intéressement dépend du montant des indus frauduleux détectés.

Ces dérives sont amplifiées par la désorganisation des CAF, suite à la numérisation et aux réductions d’effectifs. Les allocataires connaissent de nombreux retards, des erreurs, des versements à tort, des absences de réponses, l’impossibilité de trouver un interlocuteur. On imagine le mal-être et la dégradation des conditions de travail des agents soucieux de défendre un service public humain.

Les conséquences de telles orientations sont dévastatrices sur le plan social. La Fondation Abbé Pierre montre comment des familles ont été expulsées suite à des recouvrements qui ne tenaient pas compte du reste à vivre (3). Rappelons que 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, que 12 % des Français souffrent de difficultés psychiques. L’action présente de la CAF y contribue, comme le montrent les témoignages recueillis.

Une police et une justice parallèles

Ainsi, à la faveur de la numérisation, une police et une justice numérique parallèles se mettent en place, insensibles à des situations humaines parfois dramatiques. Ces pratiques ne respectent pas les principes fondamentaux du droit, et sont entachées d’illégalité (4). Elles découlent de la convention d’objectifs et de gestion 2018-2022 de la CNAF qui assimile les CAF à des entreprises et considère les prestations sociales comme des coûts à réduire. Tout en pratiquant en permanence le double langage, le pouvoir politique considère toujours « qu’on met un pognon de dingue dans des minima sociaux » (5).

Transparence, légalité, solidarité

On ne peut que s’inquiéter de l’intention de l’actuel président, s’il est réélu, de généraliser le versement automatique des aides sociales. S’il s’agit d’étendre ce type de pratiques, ce projet de maltraitance institutionnelle est inacceptable et monstrueux.

C’est pourquoi nous demandons le démantèlement des pratiques illégales qui se sont développées, l’instauration de sanctions contre ceux qui les ordonnent délibérément et un retour aux missions fondatrices de la Sécurité sociale et des services publics, dans une logique de confiance et de solidarité.

Toute la transparence doit être faite sur la récolte et le traitement des données personnelles des allocataires par la CAF, ainsi que sur le rôle des logiciels et des algorithmes dans la prise de décision.

Il est indispensable de remettre les humains au cœur du service public, tout particulièrement dans les CAF, et de faire du numérique un outil pour rendre effectif l’accès de chacun à ses droits sociaux, tout en respectant son intimité.

Vous pouvez vous joindre à cet appel. Voici le lien pour le signer.

Voir les témoignages et le dossier complet en cliquant ici.

Premiers signataires

Isabelle Maurer, Archipel des sans voix, allocataire multi-controlée
Farida Amrani, syndicaliste CGT
Hichem Atkouche, SUD Commerces et Services Ile de France
Geneviève Azam, économiste, essayiste
Miguel Benasayag, philosophe, collectif Malgré tout
La Quadrature du Net
Fathi Bouaroua, AprèsM, ex directeur régional de la fondation Abbé Pierre en PACA
Alima Boumediene-Thiéry, avocate porte parole de Femmes plurielles
Henri Braun, avocat au Barreau de Paris
Dominique Cabrera, réalisatrice
Alexis Corbière, député
Jean-Michel Delarbre, comité national LDH, co-fondateur RESF
Lætitia Dosch, comédienne
José Espinosa, gilet jaune
Txetx Etcheverry, mouvement Alda de défense des habitants des milieux et quartiers populaires au Pays basque
Jacques Gaillot, évêque de Partenia
Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde France
Laurent Klajnbaum, vice-président de Changer de cap
François Koltès, auteur
Michèle Leflon, présidente de la Coordination Nationale des Comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité
Pierre-Edouard Magnan, délégué Général Mouvement national Chômeurs et précaires (MNCP)
Boris Mellows, SUD Culture Solidaires
Didier Minot, président du Collectif Changer de cap
Francis Peduzzi, directeur de la scène nationale de Calais
Evelyne Perrin, Stop précarité, économiste
Alice Picard, porte parole d’Attac
Nicole Picquart, présidente du Comité national de liaison des régies de quartier
Serge Quadruppani, auteur, traducteur
René Seibel, responsable national AC !
Clément Terrasson, avocat
Roger Winterhalter, Maison de la citoyenneté mondiale

Voir la liste complète.

Références

(1) Vincent Dubois, Contrôler les assistés, Raisons d’agir, 2020, p. 257.

(2) Comme le soulignait le Défenseur des Droits dès 20217 : lutte contre la fraude aux prestations sociales : à quel prix pour les usagers ? Voir ici.

(3) Fondation Abbé Pierre, 2020, Prestations sociales de la CAF et logement. Enquête sur les freins rencontrés 2020. Voir ici.

(4) Cabinet DBKM. Incompatibilité des mesures nationales de lutte contre la fraude aux prestations sociales avec le Pacte des droits civils et politiques. Rapport au comité des droits de l’homme des Nations unies (voir ici).

(5) Emmanuel Macron, 12 juin 2018 : « La politique sociale, regardez : on met un pognon de dingue dans des minima sociaux, les gens ils sont quand même pauvres. On n’en sort pas. Les gens qui naissent pauvres, ils restent pauvres. Ceux qui tombent pauvres, ils restent pauvres. On doit avoir un truc qui permette aux gens de s’en sortir » (source).

6 réponses sur « Contrôles discriminatoires : « Nous demandons le démantèlement des pratiques illégales des CAF » »

[…] Autant de données qui ont permis aux CAF d’utiliser des algorithmes de « scoring », qui consistent à l’assignation à chaque allocataire d’un « score de risque », c’est-à-dire une probabilité d’être « fraudeur » et donc de le désigner comme une cible prioritaire à contrôler. Ces algorithmes ont été dénoncés par de multiples organisations, notamment le collectif Changer de cap qui a publié une tribune le 5 avril dans Bastamag que nous avons relayé dans un précédent article. […]

[…] Autant de données qui ont permis aux CAF d’utiliser des algorithmes de « scoring », qui consistent à l’assignation à chaque allocataire d’un « score de risque », c’est-à-dire une probabilité d’être « fraudeur » et donc de le désigner comme une cible prioritaire à contrôler. Ces algorithmes ont été dénoncés par de multiples organisations, notamment le collectif Changer de cap qui a publié une tribune le 5 avril dans Bastamag que nous avons relayé dans un précédent article. […]