Le salon Milipol (mili comme « militaires » et pol comme « policiers ») s'est tenu du 19 au 22 octobre 2021 au Parc des Expositions de Villepinte, en Seine-Saint-Denis. C’est une grosse foire où se retrouve le gratin mondial des entreprises de surveillance, d’armements et de répression (parmi lesquelles l’entreprise Thales, très active sur la reconnaissance faciale), pour exposer leurs produits auprès de clients venus d’horizons public et privé.
Parmi ces client on trouve : « des entreprises à la tête de sites sensibles comme des centrales nucléaires ; des forces de police (sur le terrain, scientifique) et de protection civile (pompiers, démineurs, secouristes…), la gendarmerie nationale, douanes, aéroports, des agences gouvernementales (FBI, Home Office…), les ministères de l'Intérieur et de la Défense car certains équipements ont des applications mixtes, civiles et militaires. » (1).
Cette année les journalistes de Street presse se sont rendus sur place et ont fait un retour sur les technologies « les plus flippantes » qu’ils ont vues dans ce salon. On vous invite à lire leur article.
Ci-dessous, on analyse tout ça.
Comme le rapporte Nantes Révoltée dans cet article, au salon du Milipol on trouve un peu de tout : « des armes à feu, des blindés, des logiciels de surveillance, notamment biométriques, et des équipements « intelligents ». Il y a aussi des caméras de surveillance en forme de bûches de bois ou des drones volants imitant des oiseaux qui battent des ailes, des logiciels capables d’aspirer les données de téléphones ou des robots policiers.
Les représentants des régimes des quatre coins du monde viennent y faire leur marché, tester et acquérir des armes pour perfectionner leur maintien de l’ordre.
Dans ces différents salons, le pouvoir politique côtoie les industriels et des consultants publics et privés de la sécurité. En 2018, le marché mondial de la sécurité affichait 7 % de croissance pour un chiffre d’affaires de 629 milliards de dollars, et la demande ne diminue pas. »
Nouvelles technologies de surveillance, de la dystopie à la réalité
Cette année, parmi les technologies de surveillance relevées par Street presse on peut noter un certain nombres d’équipements qui ne sont pas sans rappeler de mauvaises séries, films ou roman de science fiction.
On connaissait par exemple déjà le robot-chien SPOT de Boston Dynamics qui avait été expérimenté dans les rues de Nantes (voir image du milieu sur la photo ci-dessus). Mais Global Robotics lui fait concurrence avec d'autres robots patrouilleurs bien plus rapides (30km/h).
Parmi les autres innovations "flippantes" relevées par Street presse, on trouve aussi des armes munies d’un système de contrôle de tir automatique (un peu sur le modèle du Dominateur du manga Psycho-pass) et une tour de surveillance, mirador capable de « repérer quelqu’un à 250 mètres », très « utile pour dissuader les occupations sauvages et illégales » si l'on en croit l'entreprise qui l'a conçu.
Autant de soit disant innovations qui menacent surtout de renforcer le contrôle de la population, dans le temps et dans l’espace. Comme s’en vante l’entreprise Global Robotics, les robots patrouilleurs qu’elle conçoit peuvent rouler et surveiller « pendant douze heures d’affilée », là où ce serait « parfois pénible » pour de vraies personnes. Une innovation qui ne manquera donc pas de mettre les agents de sécurité au chômage, comme le note Street presse. Quant à la tour mirador, son nom et la promotion qu’en fait l’entreprise parlent d’eux-mêmes.
Ces technologies s’inscrivent bien sûr dans la droite ligne de la vidéosurveillance automatisée, des drônes, des capteurs sonores et de la reconnaissance faciale. Autant de gadgets qui, comme nous avons pu le constater ces dernières années, servent beaucoup plus à la surveillance de la population et des manifestations, qu'à la protection contre des attaques extérieures.
On peut en effet imaginer, comme le relève Christophe-Cécil Garnier (le journaliste de Street presse) dans cette interview du Média, que les robots patrouilleurs puissent être utilisés pour dissuader par exemple les militants de Green Peace ou d'Extinction Rebellion de se rendre sur certains sites d'usines. La tour, quant à elle, pourrait dissuader les occupations sauvages et illégales (comme pour les ZAD par exemple), empêcher les rassemblements de manifestants sur certaines places, etc.
D'ailleurs parmi les stands présents, Christophe-Cécil Garnier a également relevé la présence d'une société israélienne commercialisant une petite unité centrale d’ordinateur permettant d’aspirer toutes les données d’un téléphone et de faire ensuite des recherches dessus par mots clefs (par exemple : blackbloc). Testé en France en 2019 pour les migrants, cette technologie est à présent en train de s’exporter dans tous les commissariats français. D'après le journaliste de Street presse, il y en aurait déjà entre 150 et 200. À Paris la société serait en train de discuter avec la Préfecture de police pour en doter ses commissariats.
Point sur la reconnaissance faciale
Comme le décrit Christophe-Cécil Garnier, le salon de Milipol c’est aussi et surtout « un immense ticket de publicité pour la reconnaissance faciale ». Il a en effet noté sa présence sur le stand de Stratign, une entreprise qui a son siège social à Dubaï et qui serait déjà présente dans le monde entier…
« Chaque personne qui passe dans le champ voit son visage être entouré d’un carré vert pendant une seconde. La tête est ensuite affichée sur l’écran et la reconnaissance faciale donne un âge estimé ou le genre mais aussi si le masque est mal porté et si la personne a une barbe ou non. Elle indique aussi les émotions possibles ressenties par la personne au moment T : neutre, en colère, apeurée… »
Ce système de reconnaissance faciale a déjà été expérimenté pour le port du masque dans les bus de Cannes et de Paris. Il présente bien sûr des risques d’abus et de discriminations et dépasse largement le cadre de la protection nationale, à moins de considérer que le mauvais port du masque d’un individu constitue effectivement un degré de menace suffisamment élevé pour utiliser ce genre d’outil de surveillance.
Voir cet article de la Quadrature du Net : https://www.laquadrature.net/2021/03/15/le-senat-doit-sopposer-a-la-reconnaissance-faciale-des-masques/
Actuellement la reconnaissance faciale est surtout utilisée en France dans sa forme a posteriori, c’est à dire que la police compare les prises d’image réalisées par les caméras avec les fichiers TAJ et autres, sans analyse automatique instantanée. Cela dit, il s’agit déjà de reconnaissance faciale et ces traitements devraient déjà être sanctionnés par la justice.
Voir cet article synthétique : https://technopolice.fr/blog/tentative-detat-des-lieux-de-la-reconnaissance-faciale-en-france-en-2021/
Malheureusement la justice ne semble pas très efficace dès lors qu’il s’agit de vidéosurveillance...
Certains de nos élus locaux, comme Monsieur Wauquiez, ont également exprimer leur souhait de l’expérimenter dans un avenir proche, dès qu’ils auront obtenu les autorisations nécessaires (3). Chose qui pourrait arriver plus tôt que prévu, étant donné les expérimentations déjà en cours et le florilège de lois et de rapports promouvant la reconnaissance faciale qui sont en train de tomber au national et à l’internationale (voir notre article sur le sujet).
Toutefois la reconnaissance faciale automatique et instantanée est déjà utilisée dans d’autres pays comme la Chine. Certains promoteurs de matériels de sécurité ne cachent pas leur impatience de voir la France suivre le même modèle (2).
Comme l'a constaté Christophe-Cécil Garnier au cours de ce salon : « Les entreprise française attendent juste le GO législatif pour s’engouffrer dans la brèche », leur seule crainte est de louper la chance que représente 2024 en matière de promotion.
Des outils de surveillance bientôt combinés aux armes de maintien de l’ordre ?
Technologies de surveillance et maintien de l’ordre marchent très bien main dans la main. Dans ce salon, le journaliste de Street presse a relevé la présence d'autres d'autres armes qui pourraient bientôt s'expérimenter en France comme : des gantelets électriques et des pistolets aux billes de poivre- lacrymogène, capable de blesser et d'aveugler en même temps.
Des armes qui pourraient bien se retrouver un jour avec des technologies de visée automatique (comme relevé précédement), mais aussi de surveillance. Si on en croit l’article de Nantes Révoltée cité précédemment : « Des drones capables de tirer des balles en caoutchouc sont déjà technologiquement réalisables. »
Il est toujours bon de rappeler que ces prétendues “armes de défense“ (LBD, grenades lacrymogènes, grenades de désencerclement, etc) sont très souvent mal utilisées en manifestation et ont été à l’origine de nombreuses mutilations, dont une à Saint-Étienne. Elles sont également à l’origine de cas d’intoxication et de plusieurs morts (4).
Black Mirror, 1984, ou Psycho-pass, les parallèles littéraires et cinématographiques ne manquent pas. Désormais, de la fiction à la réalité il semblerait qu’il n’y ait plus qu’un pas que le Ministre de l’intérieur, qui a inauguré ce salon du Milipol, les exposants et les visiteurs ne semblent pas très inquiets de franchir…
Face aux promoteurs de la technopolice la mobilisation continue !
Aucun média n’en a parlé, mais une petite troupe de manifestants est venue protester avec des banderoles, des affiches et des drones en carton, pour animer ce triste salon. Ayant été refoulés à l’entrée par le service de sécurité, ceux-ci se sont rabattus sur la sortie du RER (impossible en effet de manifester ne serait-ce que devant la salon). Mais à peine avaient-ils commencé à dérouler leurs banderoles et à diffuser quelques tracts que la police est venue les déloger à son tour !
Loin d’être découragés, les manifestants entendent bien continuer le combat et envisagent déjà d’autres actions pour protester contre l’escalade sécuritaire et l’expansion de la technopolice.
Contre la surveillance de masse, la lutte continue !
Notes
(2) Voir « Fliquez vous les uns les autres », reportage passé sur Arte.
(3) Voir cette interview de Laurent Wauquiez de septembre 2021 : https://www.france.tv/france-3/auvergne-rhone-alpes/dimanche-en-politique-alpes/2783559-emission-du-dimanche-12-septembre-2021.html
(4) Voir : https://desarmons.net/2018/01/09/retour-sur-la-mort-de-remi-fraisse-le-26-octobre-2014/ et https://desarmons.net/2020/11/30/31665/
Pour aller plus loin
Site : https://technopolice.fr/
Interview de Christophe-Cécil Garnier dans Le Média : https://youtu.be/Q16vWug_Xas
Article de La Quadrature du Net sur les JO 2024: https://www.laquadrature.net/2021/10/15/jo-2024-la-frenesie-securitaire/
Interview de Felix Treguer : https://technopolice.fr/blog/villes-sous-controle-et-technologisation-du-maintien-de-lordre-entretien-avec-felix-treguer-sur-carnets-de-geographes/
2 réponses sur « Milipol 2021 : Bienvenue à l'avant-première des nouveaux outils sécuritaires ! »
[…] avions réalisé en 2022 un article sur les dernières technologies présentées dans ce salon, nous renouvelons l’exercice cette […]
[…] Milipol 2021 : Bienvenue à l’avant-première des nouveaux outils sécuritaires ! Le salon Milipol (mili comme « militaires » et pol comme « policiers ») s’est tenu du 19 au 22 octobre 2021 au Parc des Expositions de Villepinte, en Seine-Saint-Denis. C’est une grosse foire où se retrouve le gratin mondial des entreprises de surveillance, d’armements et de répression (parmi lesquelles l’entreprise Thales, très active sur la reconnaissance faciale), pour exposer leurs produits auprès de clients venus d’horizons public et privé. […]