Appel : "L’Éducation nationale renforce la dépendance au numérique"

Nous reprenons ci-dessous l'appel du collectif CoLINE (Collectif de Lutte contre l'Invasion Numérique de l'École), signé à ce jour par 2300 citoyens, ainsi que par diverses personnalités (certain·es ayant écrit des livres relatifs à ce sujet) :

  • Barbara Stiegler, philosophe, professeur des universités
  • Karine Mauvilly, essayiste et Philippe Bihouix, ingénieur, "le désastre de l'école numérique"
  • Roland Gori, professeur honoraire de psychopathologie à Aix Marseille, "La fabrique de nos servitudes"
  • François Jarrige, historien, "Techno critiques" et "Critiques de l'école numérique"
  • Fabien Lebrun, chercheur, "On achève bien les enfants. Écrans et barbarie numérique"
  • Stephen Kerckhove, directeur d'Agir pour l'Environnement
  • Yves Marry, délégué général de Lève les Yeux ,"la guerre de l'attention"
  • Cédric Sauviat, ingénieur, "Intelligence artificielle, la nouvelle barbarie"
  • Guillaume Carnino, historien des techniques, "La tyrannie technologique"
  • Sabine Duflo, psychologue clinicienne, co-fondatrice de CoSE (Collectif Surexposition Ecrans), "il ne décroche pas des écrans"
  • Sylvie Dieu Osika, co-fondatrice de CoSE, "ABCdaire de la première année de bébé"
  • Nicolas Bérard, journaliste à "l'âge de faire" et auteur de "Sexy, Linky ?", "5G mon amour", "Ce monde connecté"
  • Camille Dejardin, professeur agrégée de philosophie dans le secondaire et docteur en sciences politiques, "Urgence pour l'école républicaine"
  • Maurice Sachot, historien, professeur émérite de l'Université de Strasbourg en philosophie et en sciences de l'éducation.

L'appel

Aujourd’hui le numérique est partout à l’école. Tableaux interactifs, communication via les ENT (espace numérique de travail), exercices en ligne sur Moodle, exposés sur Powerpoint, MOOC comme supports aux cours, orientation sur des plateformes, et livres remplacés par des manuels numériques : l’école se dématérialise. C’est moderne. Mais est-ce mieux ? Ce serait pourtant la seule question à poser. L’école accomplit-elle mieux ses missions ? Nos enfants apprennent-ils mieux ? Sont-ils plus performants, plus épanouis ? Pour nous, parents, la réponse est non. Mais on ne nous demande pas notre avis : le numérique, c’est le progrès et ça ne se discute pas.

Nous sommes des parents d’élèves de toute la France, et nous refusons cette course à la technologie dans cet espace où l’on prétend former des humains capables de comprendre le monde et de faire société. Nos enfants sont en primaire, collège, lycée, et nous affirmons que la numérisation de l’école n’a rien de pertinent, pédagogiquement comme socialement.

FAIBLE INTÉRÊT PÉDAGOGIQUE

Ce que nous constatons, c’est que le remplacement des carnets de liaison et supports d’échanges papier par des espaces en ligne n’améliore pas la communication avec l’institution et les enseignants. Cela, par contre, induit une logique de surveillance (notes et absences visibles en temps réel, confidentialité des discussions non garantie), dilue l’information (messages importants noyés dans la masse), et fait peser plus lourdement sur les familles la responsabilité de choix déterminants et complexes (procédures d’orientation à faire directement en ligne). Pour les parents dits "éloignés de l’école", la magie digitale n’opère pas le miracle promis : ils se retrouvent plus perdus encore. Le déploiement des ENT a des effets délétères sur le lien école-parents, donc sur la scolarité de l’enfant.

"Les écrans ont envahi la vie des enfants."

Les carnets de correspondance et cahiers de textes numériques déresponsabilisent les enfants de leur scolarité. Ils ne sont plus acteurs des transmissions entre enseignants et parents et ne prennent même plus note de leurs devoirs. Ne les écrivant plus, ils ont du mal à s'en souvenir, voire n’en sont pas informés. Ils se connectent alors sans cesse pour être sûrs de "ne rien rater". Pas droit à la déconnexion non plus pour les parents voulant suivre. On s’organise moins et on ne décroche pas.

Ce que nous constatons surtout, c’est que plus nos enfants passent de temps sur écran, moins ils arrivent à lire, à écrire, à se concentrer ; c’est que la baisse du niveau scolaire général s’accélère et qu’ils n’apprennent pas mieux. Des centaines d’études le confirment. Les écrans ont envahi la vie des enfants, mais on pouvait espérer que l’école resterait un lieu où ils en seraient protégés, où le livre conserverait la place centrale qui est la sienne pour former les esprits et stimuler la pensée. Or, désormais, les écrans envahissent aussi l’école et remplacent les livres. Dans plusieurs régions, les manuels scolaires ont déjà disparu des lycées : le livre comme outil d’apprentissage est révolu, banni de l’univers scolaire. Des centaines de millions sont dépensées pour équiper lycéens, collégiens et écoliers de tablettes et d’ordinateurs portables avec lesquels ils sont obligés de travailler à l’école et à la maison, et qui entrent dans leurs chambres sans que nous puissions nous y opposer puisque c’est pour « faire ses devoirs ». Mais soyons honnêtes : la part "pédagogique" est souvent bien minoritaire dans l’usage qu’ils font effectivement de ces outils.

DÉPENDANCE AU NUMÉRIQUE

Après la "continuité pédagogique" grâce au "distanciel" lors du confinement, dont l’institution s’est gargarisée, le déploiement du "numérique éducatif" est à l’origine d’une explosion, incontrôlable pour les familles, de la surexposition aux écrans. Mais c’est nous parents, qui ne savons pas gérer nos jeunes ! Alors que nombre de médecins alertent sur les dangers de passer plusieurs heures par jour devant un écran, l’Éducation nationale met le numérique au cœur de l’instruction, valide la surexposition comme norme et appelle cela "modernisation de l’école" et "innovation pédagogique". Mutation qu’elle impose sans consulter ni enseignants ni parents et sans l’évaluer. Dans le Grand Est, région pionnière du "lycée 4.0" lancé 2017 et généralisé en 2019, aucune évaluation pédagogique du dispositif n'a été faite.

"Ce que nous constatons, c’est qu’elle démonte l’instruction et ne contribue certainement pas à former des citoyens éclairés."

Dans le jargon ministériel, la stratégie est de "développer un écosystème global de l'e-Education depuis les contenus et services jusqu'au matériel". Alléger les effectifs de classes pour donner aux enseignants les moyens de faire leur travail et réformer le métier pour susciter des vocations ne fait pas partie des priorités. Pour éduquer les citoyens de demain, le ministère n’investit pas dans l’humain mais dans la technologie. Et justifie cette débauche numérique en assurant que c’est en immergeant les enfants dans le numérique qu’on en fera des utilisateurs avisés. Mensonge ! Oui, nous vivons dans un monde où le numérique est partout, et oui, il serait nécessaire que les enfants puissent recevoir une véritable éducation au numérique. Mais éduquer AU numérique n’est pas éduquer PAR le numérique. Or, aujourd’hui, c’est bien une éducation PAR le numérique qu’on développe ; l’éducation AU numérique est pour ainsi dire inexistante.

Pour signer l'appel

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