Précaires sous plateforme : la grande arnaque de France Travail !

Autre réforme anti-sociale, les macronistes veulent transformer Pôle emploi (déjà très critiquable) en France Travail. L'idée principale est d'imposer une plateforme numérique unique à partir de janvier 2024, qui traitera sans distinction des personnes relevant de l'assurance chômage, des actuel·les allocataires du RSA (en leur imposant du travail gratuit), des jeunes et des personnes en situation de handicap.

Ce projet technologique s'inscrit dans une vision idéologique déjà ancienne du macronisme (portée par lui dès sa participation comme rapporteur de la commission Attali en 2008) qui veut conditionner le versement des allocations (dont le RSA) à la recherche effective d'un emploi, même sous ou non rémunéré.

C'est aussi la contribution du macronisme aux thèses du Rassemblement National sur les "assistés"...

France Travail : un réseau public avec des opérateurs privés

Pôle Emploi va devenir France Travail mais il ne s'agit pas seulement d'un changement de nom. France Travail est un nouvel organisme prenant la forme d'un « réseau d'opérateurs », dans lequel l'actuel Pôle Emploi va piloter les autres structures de l'insertion professionnelle.

Dans ce réseau :

  • Pôle emploi aura pour mission d’être à la fois l’animateur du « Réseau France Travail » mais aussi l’opérateur en charge des « communs physiques, numériques et méthodologiques » (autrement dit il devra gérer la coordination des agences du réseau et gérer la plateforme numérique).
  • Les missions locales deviendront «France Travail jeunes» et Cap emploi «France Travail handicap», des opérateurs de France Travail, qui auront en charge de l’accompagnement de leur public spécifique.

Ce réseau comportera également des agences privées de placement et d'intérim, des organismes de formation et des employeurs impliqués...

Il pourrait aussi concerner, à terme, les stagiaires des lycées professionnels dont le pouvoir veut transférer la tutelle au Ministère du travail et augmenter très fortement la formation en entreprise (bien sûr non rémunérée).

Un mélange confus d'acteurs public et privé n'ayant rien à voir les uns avec les autres, tout ça pour mettre la France au travail !

« On pourrait croire que regrouper Pôle emploi, les missions locales et Cap emploi serait une bonne idée. Mais le résultat sera la mise en concurrence des services les uns contre les autres, sur le principe du moins-disant social avec sous-traitance, et augmentation des objectifs chiffrés. Le service rendu sera toujours plus bureaucratique et toujours moins humain. »

(CGT précaires et privés d’emploi national).

Ce réseau sera doté d’un « guichet unique d’inscription » pour tous les usagers via un portail numérique.

Une gestion déshumanisée par des IA et des agences privées

En septembre 2022, Olivier Dussopt avait déclaré que l'inscription serait à la fois physique et numérique. Néanmoins, il apparaît clairement que tous les usagers devront s'inscrire sur un « portail numérique » intitulé « France travail ». Les agents présents dans les accueils physiques ne seront là que pour assister les usagers sur des bornes numériques (chose qui se fait déjà dans les Pôle Emploi).

Les plateformes numériques sont des outils bien pratique pour l’État qui permettent de ne pas embaucher d’avantage de personnel dans les agences. Sous prétexte « d’autonomisation » des usagers et de simplification des procédures, elles créent surtout une mise à distance qui facilite la gestion des dossiers de manière déshumanisée et automatisée et suppriment l’accompagnement social, censé se faire dans les services publics !

Des usagers de la CNAV manifestant à la Goutte d'Or, Île de France

Avec la création de France Travail et la réforme du RSA, c’est le traitement des dossiers par des IA et des agences privées qui va devenir la norme !

Une fois inscrit sur la plateforme numérique, c'est un algorithme qui dirigera les dossiers vers tel ou tel opérateur chargé de l’accompagnement. C'est ensuite l'appli (actuellement développée sur smarphone) qui imposera ses contrôles (sous peine de suspension), ses parcours obligatoires...

Pour ce qui est des agences privées, celles-ci sont déjà utilisées en sous-traitance dans certains départements, pour pallier au manque de personnel, c'est notamment le cas dans l’Yonne en Bourgogne. Et ce qui est sûr, c’est qu’on fait mieux en terme de service…

« La personne qui nous reçoit est joyeuse, on nous dit qu’on va nous aider, on nous encourage. Puis tout se dégrade. » Les rendez-vous suivants ont parfois été orageux pour lui. Selon son récit, la personne chargée de son dossier le tutoie, lui « parle mal ». « Souvent, il me dit “Tu te rassois”, “Tu dégages du bureau” », rapporte Thomas.

Il aurait aussi été demandé à Thomas d’être joignable par téléphone « 24 heures sur 24 », sous peine de voir son allocation suspendue. Mais l’homme a parfois des soucis de connexion à cause d’un réseau capricieux. Réponse du consultant : « Ce n’est pas possible au XXIe siècle. »

Extrait de l'article "Dans l'Yonne des allocataires déjà soumis à la pression", médiapart

Efficacité et rentabilité sont les maîtres mots de cette logique managériale poussée par l’État, qui ne se soucie guère de créer des burn out chez leurs agents, ni de compliquer, voire de bousiller la vie des usagers qui subissent cette violence institutionnelle déshumanisée toujours plus poussée avec le numérique ! Un fonctionnement qui va se renforcer avec la réforme du RSA et la création de France travail.

« France Travail, c’est l’outil RH de la start-up Nation » (CGT des organismes sociaux)

Un risque pour les données personnelles

Ce regroupement des services dans le réseau France Travail va passer par une centralisation des données.

Cela va créer un risque pour la sécurité des données personnelles, celles-ci se retrouvant accessibles à tout un pannel d'acteurs, notamment aux agences privées et aux entreprises impliquées dans le réseau.

« Dans le cadre de cette expérimentation, l’ETT communique à Pôle emploi, en retour des contacts pris, des informations agrégées, ainsi que, via une seconde API, des données nominatives utiles à la mise à jour des profils des demandeurs d’emploi et à leur accompagnement » et recommande : « Il conviendra de généraliser cet accès à la banque de profils dans une logique de partage des données pour enrichir les profils et maximiser pour les personnes les opportunités d'emploi qui peuvent être proposées par les acteurs privés».

(Analyse de la CGT Pole Emploi du Rapport Guilluy de préfiguration de France Travail et du Projet de Loi « Pour une nouvelle société du travail et de l’emploi »)

L'un des dangers pointé par la CGT Pole Emploi est notamment « la privatisation des données les plus sensibles (...) de publics fragiles, par exemple en situation de handicap ».

En effet, le rapport Guiluy évoque une expérimentation en cours permettant aux Entreprises de Travail Temporaire d’avoir accès, comme les employeurs, à la banque de données de Pôle emploi.

Mise à jour : Le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 14 décembre 2023 a censuré une partie de la loi concernant les données personnelles, limitant en principe la possibilité pour les entreprises privées d'avoir accès aux données, notamment les données médicales. Le Conseil Constitutionnel a en effet jugé que cela portait "une atteinte disproportionnée au doit au respect de la vie privée" et a donc déclaré que ce point était"contraire à la Constitution".

Cela dit, ça n'empêche pas l'interconnexion des données entre les agences. D'ailleurs un décret de 2022 permettait déjà aux agents de Pole Emploi d'avoir accès aux données de santé des usagers.

Il est difficile de savoir pour l'instant comment la décision du conseil sera appliqué, car la plupart des changements seront progressivement mis en place d'ici 2025.

De plus, il existe aussi un risque d’immixtion étrangère et de piratage informatique.

En effet, la CGT Pole Emploi, dans son analyse, rappelle que Pôle emploi a recours à Office 365 et aux outils de communications appartenant à Microsoft et que c'est ceux-ci qui seront utilisés dans le réseau France Travail !

« Au mépris de la nouvelle doctrine « Cloud au centre » de l’Etat qui impose le recours à des solutions sécurisées et protégées des ingérences étrangères, de l’interdiction par de nombreux ministères de l’utilisation d’Office 365, son développement au sein de Pôle emploi et demain dans le « réseau France Travail » ne peut que nous inquiéter en termes de sécurisation des données vis-à-vis du Cloud Act américain. »

(Analyse de la CGT Pole Emploi du Rapport Guilluy de préfiguration de France Travail et du Projet de Loi « Pour une nouvelle société du travail et de l’emploi »)

Vers toujours plus de pistage et de contrôle !

Cette centralisation des données va surtout permettre un renforcement du flicage des privés d'emploi et précaires par les institutions sociales au service de l'État !

Cela fait quelques années que, porté par un discours néolibéral mortifère de « lutte contre l’assistanat », on assiste au sein des services publics, à un accroissement du volume de données collectées sur les allocataires, ainsi qu'à une interconnexion de plus en plus importante des fichiers entre les institutions.

Pôle Emploi a déjà accès à toutes sortes de données personnelles : prestations sociales, comptes banquaires, fichiers des résidents étrangers en France, possibilité d’obtenir des informations auprès des tiers comme les employeurs ou les fournisseurs de gaz et d’électricité... (chose dont nous avons déjà parlé dans un précédent article).

Cette collecte a comme objectif principal la répression de la supposée « fraude sociale » des usagers.

Des algorithmes de scoring sont déjà utilisées par la CAF pour contrôler et sanctionner les allocataires du RSA. Ces algorithmes suspendent automatiquement les allocations des usagers identifiés, à tort et de manière discriminatoire, comme de potentiels « fraudeurs », d'après leurs données personnelles.

Ces algorithmes seraient en développement à Pôle emploi, si l’on en croit le rapport de la cour des comptes intitulé « Lutter contre les fraudes aux prestations sociales un levier de justice sociale pour une juste prestation » et remis au premier ministre en 2019.

Extrait du code source de l’algorithme de notation transmis par la CAF.

Aujourd'hui le gouvernement ne cache pas vouloir lancer un vaste plan de lutte contre ces « fraudes sociales».

Un plan qui va passer, à n'en pas douter, par le déploiement de ces algorithmes au sein de l'organisme France Travail, mais également par la future réforme du RSA.

Allocataires du RSA au travail forcé !

La création de France Travail va s’accompagner de la réforme du RSA. Celle-ci, est pour l’instant expérimentée dans 18 départements, mais a vocation à s’étendre dès début 2024 et à être généralisé à l’ensemble du territoire à l’horizon 2027.

Ces deux mesures combinées vont conduire à un renforcement du contrôle et de la surveillance des allocataires de minima sociaux.

Jusqu’à présent, le contrôle des allocataires de la CAF portait surtout sur les risques de fraudes. Pour bénéficier du RSA, il fallait signer un “contrat d’engagement réciproque” visant à prouver sa volonté de recherche d’emploi, mais tout le monde ne signait pas ces contrats et contraitement aux chômeurs à Pôle Emploi les allocataires de la CAF ne risquaient pas de voir leur allocation amputée automatiquement s’ils n’acceptaient pas un job...

Désormais ce flicage va leur être étendu, en pire. En effet, le projet de loi prévoit l’inscription de tous les allocataires du RSA à France Travail, et surtout l’obligation d’effectuer 15 à 20 heures d’insertion par semaine, sous forme de formation, d’atelier CV ou de stage en entreprise.

Les 5,1 millions de personnes "hors radars" qui ne seraient pas au travail seront donc identifiées et fichées, et devront obligatoirement s’inscrire sur le portail numérique France Travail.

Tous les inscrits à France Travail devront signer un « contrat d’engagement réciproque ». Celle ou celui qui serait absent·e à un rendez-vous ou considéré·e comme pas suffisamment actif·ve (aux yeux d'un·e conseiller·ère ou plus sûrement d'une IA) risquera la radiation ou la suspension partielle de son allocation, le rapport préférant le terme de « suspension – remobilisation »...

Cela pourra se faire sans aucune procédure disciplinaire préalable et sans réelle possibilité d'appel autre qu'une contestation de - très - longue durée pendant lesquelles les prestations ne seront plus versées. Déjà qu'entre 29 et 39 % des personnes éligibles au RSA n’y ont pas recours...

Le gouvernement assure que la future réforme du RSA tiendra compte des contraintes personnelles des allocataires du RSA (« comme la garde d’enfants ou la santé », en leur proposant des activités « personnalisées ». Mais en sous-traitant une partie de la prise en charge à des structures privées, le risque est grand de voir tout le monde être logé à la même enseigne : celle du "marche ou crève".

« La future loi «  Pour une nouvelle société du travail et de l’emploi » entend bien mettre en oeuvre France Travail et généraliser l’accompagnement intensif vers un retour à l’emploi forcé sans prendre en compte réellement les freins sociaux des usagers, leurs qualifications ou leurs choix, tout en obligeant l’inscription à France Travail de l’ensemble des personnes dépourvues d’emploi. »

(Analyse de la CGT Pole Emploi du Rapport Guilluy de préfiguration de France Travail et du Projet de Loi « Pour une nouvelle société du travail et de l’emploi »)

Dans un article de mediapart, Julie, une allocataire du RSA, fait part de sa crainte au sujet de la future réforme : « Tout ça me fait penser au film de Ken Loach, Moi, Daniel Blake, avec le héros qui doit chercher un emploi même s’il est malade. » Un parallèle très juste.

Entre l'inflation, la casse des services publics et cette chasse algorithmique augmentée, les prochaines années risquent d'être difficile pour les chômeurs et les précaires, qui doivent déjà subir la gestion kafkaïenne de la CAF et des autres administrations...

Heureusement, la résistance s'organise au national comme au local contre cette terreur administrative !

Une manifestation et des conférences ont été organisées par le CTPEP 42 (Comité des Travailleurs Privé d'Emploi et Précaires de la CGT à Saint-Étienne).

Voir : https://lenumerozero.info/Rassemblement-contre-FRANCE-TRAVAIL-6284

Par ailleurs nous nous lançons conjointement avec la LDH dans le lancement d'un statut d'objecteur numérique !

Parmi les ateliers qui se dérouleront lors de la convention qui aura lieu en septembre, se tiendra l'atelier Droits Sociaux qui traitera de la question des droits usagers vis à vis des services publics (Caf, Pole Emploi, CNAV, etc).

N'hésitez pas à nous contacter pour plus d'informations ! Vous pouvez aussi soutenir l'initiative en participant aux soirées ouvertes publiques, ou en faisant un don sur la cagnotte HelloAsso au lien ci-dessous :

https://www.helloasso.com/associations/stop-linky-88/formulaires/2

Pour aller plus loin

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Le Journal de la recherche d'emploi vers un classement numérique des chômeurs

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Moi, Daniel Blake

Résumé du film :

Pour la première fois de sa vie, Daniel Blake, un menuisier anglais de 59 ans, est contraint de faire appel aux allocations sociales à la suite de problèmes cardiaques. Cependant, bien que son médecin lui ait interdit de travailler, il se voit signifier l'obligation d'une recherche d'emploi sous peine de sanction.

Commence alors une "descente aux enfers", Blake doit subir les humiliations d'un système administratif kafkaïen qui le broie : notamment obligations de déclarations sur Internet qu'il ne maîtrise pas du tout.

Au cours de ses rendez-vous au job center, Daniel va croiser la route de Rachel, mère célibataire de deux enfants qui a été contrainte d'accepter un logement à 450 km de chez elle pour éviter d'être placée en foyer de sans-abri, ce qui lui ferait perdre la garde de ses deux enfants. Blake et Rachel vont s'entraider, ce qui n'empêchera pas le drame.

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