Grokipedia, l'encyclopédie "anti-woke" générée par IA ... et par Elon Musk

Dessin de Flock dans le site Next

Elon Musk a lancé, le 27 octobre, pour le moment uniquement en anglais, sa version d’un savoir universaliste face à Wikipedia (nous relayions en juin l’enquête de Basta ! sur cette encyclopédie en ligne).

Ce pourrait être un épiphénomène, mais d’une part Elon Musk prétend maîtriser avec Grokipedia l’ensemble d’une chaine numérique de l’information (avec Space X et Starlink, fabrication et réseau de satellites, le réseau social X [ex Twitter], xAI…), qui lui assurerait une sorte d'hégémonie d'accès à Internet sur la planète. D’autre part, il reste l’un des individus les plus riches du monde, avec de gros moyens pour imposer ses délires personnels. Par ailleurs, il pourrait avoir le soutien effectif des réactionnaires-fascistes de tout poil, à la Maison blanche comme en Europe (Meloni est une grande amie de…). Donc on ne peut pas prendre ce type d’initiative à la légère.

C’est aussi l’occasion de juger qui contrôle les algorithmes, l’IA. Cette question est très peu posée, tout juste est-il admis que les algorithmes pourraient avoir des biais racistes, LGBTIphobes… car les résultats produits sont assis sur des bases de données regroupant des points de vues "archaïques". Avec Grok (l’IA de Musk) et donc Grokipedia, c’est bien la réécriture fascisante par l’algorithme de l'histoire car les filtres employés - et non plus seulement les données - sont directement contrôlés par des humains aux vues fascistes.

Gropkipedia ne compte actuellement que 885 000 articles — loin des dix millions de sa rivale. Son interface — hormis son mode sombre — ressemble étrangement à celle de Wikipédia, alors qu’Elon Musk ne cesse, depuis plusieurs années, de critiquer cette dernière..

Grokipedia reprend souvent des structures, chronologies, voire certains paragraphes entiers de Wikipedia, parfois sans reformulation. Ainsi, les deux pages consacrées à Albert Einstein ont une structure très similaire, avec juste la mention sur Grokipedia que "le contenu est adapté de Wikipédia, sous licence Creative Commons Attribution – Partage dans les mêmes conditions 4.0".

Fonctionnellement cependant, ces deux encyclopédies sont très différentes : Wikipedia - comme montré dans l’étude menée par Basta ! – est une encyclopédie collaborative, dont les pages peuvent être modifiées librement, avec un historique des changements (même si ce dispositif s’est complexifié car il y a eu des tentatives de falsification).

Rien de tel avec Grokipedia qui est juste générée et animée par IA (via la société xAI). Il y a bien un historique des changements, mais peu transparent : mention "vérifié par Grok" accompagnée de la date et de l’heure de validation.

Wikipédia vise à faire du savoir un bien commun, quand Elon Musk veut en faire une propriété privée. Créée en 2001 par Jimmy Wales et Larry Sanger, avec l'objectif utopique d'un monde "dans lequel chaque personne sur la planète a libre accès à la somme de toutes les connaissances humaines". À rebours de cette vision horizontale, collective et universelle du savoir, Elon Musk défend une approche hiérarchisée, technologique, où la connaissance ne se construit plus dans le dialogue humain, mais se "purifie" par le calcul et les algorithmes.

En 2023, Elon Musk déclare la guerre à la plus grande encyclopédie en ligne, l'accusant de "prendre l'argent du public pour financer une propagande idéologique". En 2024, sur le réseau social X qu'il vient de racheter, il demande à ses millions d'abonnés de cesser tout don à "Wokepedia", s'offusquant que la Wikimedia Foundation [association à but non lucratif qui héberge Wikipédia] ait consacré, sur un budget annuel de 177 millions de dollars, près de 50 millions de dollars à des politiques de diversité, d'équité et d'inclusion.

Cette plateforme s’inscrit déjà dans les dénonciations qui touchent l’IA Grok : insultante, et nourrie presqu’exclusivement par X (ex Twitter). Le chatbot Grok, diffusé à partir de 2023, s’est mis, lors de tests, à répondre aux questions avec des théories du complot sur des fermiers blancs prétendument massacrés en Afrique du Sud. Quelques mois plus tard, nouvel incident : le chatbot a viré complètement nazi, louant Hitler et approuvant l'idée de rassembler des Juifs dans des camps de concentration.

L’encyclopédie Grokipedia réécrit toutes les notices concernant les personnalités de l’extrème droite US, à commencer par celle de Musk : la page qui lui est consacrée ne mentionne pas la polémique liée à son salut nazi. Au contraire, Grokipedia prétend qu’il a "influencé le débat" sur plusieurs sujets, ce qui lui a valu "des critiques des médias traditionnels qui font preuve de penchants à gauche dans leur couverture".

Pour Donald Trump, la page évite les détails sur ses affaires judiciaires (rappelées dans Wikipédia) : accusations de corruption, d’agression sexuelle et multiples inculpations. L’affaire Stormy Daniels y est présentée sous un angle atténué : là où la justice a reconnu Trump coupable de 34 chefs de "falsification de documents commerciaux" liés au versement secret de 130 000 dollars pour étouffer une liaison présumée, Grokipedia insiste surtout sur le doute, citant que "la nouvelle théorie juridique manquait de précédent". La page passe aussi sous silence la portée historique de ce procès, le premier à condamner un ancien président américain.

Concernant le mouvement des droits civiques Black Lives Matter, Grokipedia écrit qu’il a "mobilisé des millions de personnes. Cependant, ces manifestations ont entraîné des émeutes, (…) les plus coûteuses de l’histoire des assurances pour les dommages aux biens".

Selon le média Wired, "la page de Grokipedia sur l'esclavage des Afro-Américains comprend une section présentant de nombreuses justifications idéologiques de l'esclavage". La recherche de "mariage homosexuel" ne donne rien, mais aboutit à une annonce suggérant de consulter la page "pornographie homosexuelle" sur laquelle Grokipedia "affirme que la prolifération de la pornographie a aggravé l'épidémie de VIH dans les années 1980".

Selon la présentation qu'en fait Elon Musk, Grokipedia aurait pour mission de produire un savoir "pur", objectif, délivré des passions et des compromis humains.

La philosophe américaine Anaïs Nony précise que "la rationalité [capacité de raisonnement] se crée justement de nos relations, de la manière dont on va se confronter à la réalité des choses et les modifier au fur et à mesure, c'est pour ça que Wikipédia est un système ouvert, alors que la proposition de Musk est fermée, omnipotente, au-dessus de la foule, elle est comme un dieu".

Pour elle, l''intérêt du savoir, est justement qu'il n'est pas neutre. L'idée d'une quelconque neutralité est totalement illusoire. Une technologie porte dans sa création les contenus du créateur. Le design, le déploiement, la fonctionnalité d'une technologie reflètent eux-mêmes les aspirations et les valeurs de son créateur. Il n'y a pas de technologie qui soit neutre, de la même manière qu'il n'y a pas de science qui soit neutre. C'est toujours un parti pris."

Pour autant, avec le temps, les articles deviennent plus "impartiaux" grâce aux révisions de la communauté. Elle est corrigée en temps réel et elle évolue constamment, tout comme les sources.

Pour Anaïs Nony, Elon Musk propose une plateforme qui ne pourra pas être modifiée par des pairs, aux antipodes de ce qui constitue le savoir. "La base-même du savoir, c'est l'interprétation, le dialogue avec des pairs, la confrontation à des faux résultats pour pouvoir en avoir des meilleurs. Il y a donc une idéologie derrière qui est de placer l'épistémologie [la recherche et la formation du savoir] sous une emprise algorithmique. Une emprise algorithmique qui, elle aussi – et surtout elle – s'ancre dans des biais : de genre, de classe, de race…"

La chercheuse australienne Kate Crawford dans son ouvrage "Atlas of IA" (Yale University Press, 2021), précisait que "Les systèmes d'IA ne sont ni autonomes, ni rationnels, ni capables de discerner quoi que ce soit sans un entraînement intensif en calcul avec de grands ensembles de données ou des règles et récompenses prédéfinies". D’autant que les données sur lesquelles ils sont entraînés sont, dans le cas de Grok, majoritairement originaires de X, au corpus marqué idéologiquement.

Pour elle, "l'intelligence artificielle telle que nous la connaissons dépend entièrement d'un ensemble beaucoup plus large de structures politiques et sociales. Et en raison du capital requis pour construire une IA à grande échelle et des façons de voir qu'elle optimise, les systèmes d'IA sont finalement conçus pour servir les intérêts dominants existants".

Complotisme, plagiat… Elon Musk lance Grokipedia, son encyclopédie anti-Wikipédia (Numerama)

Elon Musk lance Grokipedia, son Wikipédia jugé biaisé idéologiquement (Le Monde)

Avec Grokipedia, Elon Musk veut enterrer Wikipédia et imposer sa vérité (France 24)

Grokipedia - Quand Elon Musk décide de réécrire l'histoire à sa façon (blog sur Médiapart)

Elon Musk lance Grokipedia, le concurrent raciste et désinformateur de Wikipédia (Next)

Wikipedia, savoir coopératif à défendre (HACN, d'après Basta !)

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