"The Tesla Files. A Whistleblower, a Leak, a Fight for Truth : The Inside Story of Musk’s Empire (non traduit)", de Sönke Iwersen et Michael Verfürden. © Penguin éditions
Ce livre est intéressant à plusieurs titres : parce que les voitures produites poussent très loin l'intrication dans un système de surveillance généralisée (6 caméras dans et autour de la voiture, pilotage et mise à jour à distance...), parce que leur patron est une des figures marquantes du technofascisme, de l'IA, des neurotechnologies...
Il démontre aussi que ces systèmes automatisés (ici de conduite autonome d'un véhicule) mettent clairement en danger ceux qui leur font confiance aveuglément.
Le journaliste souligne que ce livre n'existe qu'en allemand et en anglais - pas en français, ce qui devient une habitude, signe d'un pays qui ne sait plus observer ce qui se passe dans le monde ? - d'autant que ses révélations ont fait la une de médias du monde entier. Elles ont valu en 2023 à l’ex-technicien norvégien de Tesla - à l’origine d’une gigantesque fuite de données de l’entreprise - un prix destiné aux lanceurs d’alerte, le Blueprint Europe Whistleblowing Prize.
Ci-dessous extraits d'un article de Médiapart.
Données privées librement accessibles
Lukasz Krupski, le salarié de Tesla Norvège, a tout simplement récupéré les données en tapant des mots-clés sur le moteur de recherche interne de l’entreprise, qui était à l’époque ouvert aux quatre vents. Toutes les données sur les employé·es et les client·es de Tesla partout dans le monde, ainsi qu’une multitude de documents et de rapports internes, étaient accessibles à n’importe quelle personne de l’entreprise. Jusqu’aux données personnelles d’Elon Musk, numéro de sécurité sociale compris.
"Mes collègues, mon chef, nos avocats… tout le monde se disait que ce n’était pas possible. On parlait tout de même de Tesla et d’Elon Musk, qui était vu à l’époque comme l’icône absolue de l’industrie automobile", rappelle Sönke Iwersen. "Il nous semblait que personne ne pouvait récupérer toutes ces données comme ça et partir avec". C’était pourtant le cas.
L’histoire personnelle du lanceur d’alerte est tout aussi décoiffante. En 2019, juste avant une présentation de véhicules à la presse, il éteint de justesse l’incendie démarrant sur l’une des Tesla de démonstration, se brûlant les mains au passage. Le lendemain, il reçoit un courriel d’Elon Musk en personne, qui le remercie et le félicite. Il lui glisse aussi de ne pas hésiter à lui signaler si des choses dysfonctionnent chez Tesla.
Lukasz Krupski prend cette demande au pied de la lettre. Il entreprend de dresser la longue liste de ce qui lui paraît aberrant dans l’entreprise. Tant et si bien qu’il finit par indisposer le grand patron, qui cesse de lui répondre, alerte son supérieur, puis finit par le faire virer. Le technicien se tourne alors vers la presse pour partager ce qu’il a peu à peu compris : les Tesla sont beaucoup moins sûres que ce que clame l’entreprise.
Les dangers de l’Autopilot
Notamment, la fonction "Full Self-Driving" ("conduite entièrement autonome") est en fait peu fiable, et la direction de Tesla en est consciente, sans doute depuis le lancement de son fameux Model S en 2012. Mais il aura fallu attendre septembre 2024 pour que le groupe annonce que son Autopilot ne peut fonctionner que "sous surveillance humaine".
Selon les autorités, au moins douze personnes sont mortes aux États-Unis à cause des erreurs du logiciel.
Le logiciel présente en effet des failles qui peuvent se révéler très dangereuses. Et les client·es de Tesla sont des milliers à le dire, depuis au moins dix ans : "Les 'Tesla Files' contiennent plus de 2 400 plaintes portant sur des accélérations involontaires et plus de 1 500 problèmes de freinage – 139 concernant des freinages d’urgence sans raison, 383 freinages fantômes déclenchés par de fausses alertes de collision", indique le livre. Il signale que "plus de mille accidents sont répertoriés" entre 2015 et 2022, aux États-Unis, en Europe et en Asie.
Le régulateur états-unien des routes, la NHTSA (National Highway Traffic Safety Administration), a étudié 953 de ces accidents entre janvier 2018 et août 2023. "La NHTSA a conclu que les conducteurs impliqués 'n’étaient pas suffisamment engagés dans l’acte de conduite' et que les alertes d’Autopilot 'ne s’assuraient pas de manière adéquate que le conducteur restait attentif'", rappellent les auteurs.
Selon les autorités, au moins douze personnes sont mortes aux États-Unis à cause des erreurs du logiciel. En Allemagne, le tribunal de grande instance de Berlin a même déclaré qu’un "Autopilot enclenché signifie un danger sur les routes". En octobre 2024, la NHTSA a lancé une enquête de fond sur l’Autopilot, et elle l’a récemment renforcée en s'intéressant à la fonctionnalité "Mad Max", déployée aux États-Unis ces dernières semaines, qui permet au logiciel de se livrer à une conduite beaucoup plus nerveuse – et dangereuse.
En août, Tesla a aussi été condamnée pour la première fois aux États-Unis à une très lourde amende de plus de 200 millions d’euros pour son implication partielle dans un accident mortel en avril 2019.
Données non fournies
Et c’est dans ce contexte qu’il faut lire les principales révélations du livre : les Tesla sont "une inquiétante boîte noire", et dans le cas de certains accidents mortels, "les informations critiques sont soustraites à l’examen du public". Certaines des consignes de l’entreprise en cas d’accident sont limpides : "Si vous devez partager des informations avec le client, faites-le ORALEMENT." ; "NE FOURNISSEZ PAS les données d’un véhicule au client sans permission explicite".
Les cas racontés par Sönke Iwersen et Michael Verfürden sont glaçants. Dans l’un des premiers accidents fatals en Europe, le 10 mai 2018, un conducteur allemand s’est tué en Italie après avoir percuté la glissière de sécurité à 100 kilomètres-heure. Sa Model S a pris feu sans que les témoins sur place parviennent à ouvrir les portes du véhicule, contrôlées de l’intérieur et sans système mécanique d’ouverture.
S’ils étaient honnêtes et transmettaient les données, on s’apercevrait que la voiture a fait quelque chose que le conducteur n’a pas réussi à contrôler. Sönke Iwersen
Même chose pour un accident du 13 avril 2021, lors duquel un modèle X s’encastre dans un arbre dans le nord-est de l’Allemagne. Ou encore pour un salarié de Tesla mort à 33 ans en mai 2022, et pour deux jeunes de 18 ans qui ont péri en août 2022.
Dans aucun de ces cas, l’entreprise n’a fourni d’informations sur les circonstances exactes des accidents, parfois même si la justice le demandait. Ce qui ne manque pas d’interroger dans le cas de véhicules bardés de capteurs et de caméras, censés envoyer à tout instant des données précises au logiciel qui aide à conduire les voitures, et à l’entreprise.
"En 2018, Elon Musk avait assuré qu’il publierait toujours les données liées à des accidents, et que ne pas le faire serait dangereux", souligne Sönke Iwersen. "Mais quand quelque chose se passe mal, que la route est droite, que le temps est clair, que le conducteur n’est pas saoul et n’a pas eu d’accident depuis dix ans, mais qu’il percute un arbre et que des gens demandent à voir les données… soudain la réponse est qu’en fait il n’y a pas de données".
Pour le journaliste, aucun doute : "s’ils étaient honnêtes et qu’ils transmettaient les données, on s’apercevrait que la voiture a fait quelque chose que le conducteur n’a pas réussi à contrôler".
D’autant que pour certains accidents, dans lesquels la responsabilité de l’entreprise n’est pas mise en cause, les informations réapparaissent. Tout à coup, l’entreprise est capable de "montrer exactement quand [les occupants] ont ouvert une porte, détaché une ceinture de sécurité et avec quelle force le conducteur a appuyé sur l’accélérateur", notent les auteurs, pour qui "les données sont là, jusqu’à ce qu’elles ne le soient plus".
Le cas le plus extrême remonte au 1er janvier 2025, lorsqu’un Cybertruck Tesla explose devant le Trump Hotel de Las Vegas. Un suicide orchestré par l’ancien militaire états-unien Matthew Livelsberger, resté au volant. Dans ce cas, Tesla a transmis aux enquêteurs toutes les données dont elle disposait avec une très grande diligence.
L’entreprise reste silencieuse
Les articles et le livre The Tesla Files sont donc une sérieuse épine dans le pied de l’entreprise. D’autant que la justice norvégienne a donné raison en août à Lukasz Krupski, dont l’appartement situé dans le pays avait été perquisitionné en 2023 à la demande de Tesla. Les juges ont décidé que l’ex-salarié avait le droit de transmettre des informations à des journalistes et ont ordonné à l’entreprise de lui verser jusqu’à 170 000 euros de dommages-intérêts et de frais de justice.
"Lukasz a déjà gagné à trois ou quatre reprises devant plusieurs tribunaux, mais Tesla continue, car ils ont des milliards à dépenser", dit Sönke Iwersen. "À un moment, ils lui ont même proposé de l’argent, à condition qu’il ne parle plus des 'Tesla Files'. Je lui avais dit qu’il devrait accepter, car toutes les informations étaient déjà entre les mains de journalistes. Il n’a pas voulu".
Les journalistes, eux, n’ont jamais rien eu à craindre de l’entreprise. Elle n’a répondu à aucune de leurs questions, ni fait le moindre commentaire sur leur travail. Quand ils l’ont questionnée la première fois en 2023, elle leur a demandé de détruire les documents en leur possession – confirmant implicitement qu’ils étaient authentiques. Puis elle s’est murée dans le silence.
"Rien sur les données révélées, rien sur nos articles, rien sur le livre : depuis trois ans, Tesla ne répond pas", résume Sönke Iwersen. "Et en même temps, que pourraient-ils dire ? Ils savent que s’ils parlent, ils attireront la lumière sur ces documents. Nous aurions adoré qu’Elon Musk tweete et informe 200 millions de personnes de l’existence de notre travail. Il ne l’a jamais fait".
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