Dessin de Kak
Cet article croise une présentation faite lors du débat organisé sur l'IA à Saint Chamond, un article du site Options (journal de l’Ugict-Cgt) et des données du dernier rapport du Shift Project (oct 2025) sur l'IA et les infrastructures dans un monde décarboné.
A noter que, si le Shift Project propose des études chiffrées assez complètes sur les enjeux climatiques (le plus souvent, c'est une collation de travaux produits par d'autres), nous n'adhérons pas à sa vision d'un développement possible du numérique grâce aux technologies dites "décarbonnées", c'est à dire principalement nucléaires.
"L'impact écologique lié à la consommation de papier est considérable et chaque geste compte", "la sauvegarde de NOTRE planète et de ses ressources s’impose à nous", c’est pourquoi nous avons opté pour la dématérialisation.
Vous avez certainement déjà reçu ce genre de message de votre assurance santé, de votre banque, ou autre. En informatique, "dématérialiser" signifie, selon Le Petit Robert : "traiter des données sous forme numérique sans avoir recours à un support matériel".
Or si le support matériel, tangible, qu’est le papier, disparaît, cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien à la place.
En fait, le terme "dématérialisation" est un leurre, une imposture. Pour faire prospérer l’industrie du secteur informatique, l’industrie de l’IA générative , tous les objets connectés qui ont colonisé nos vies professionnelles et personnelles, il faut des ressourses.
La demande de ressources en électricité, en eau, en terres rares ne cesse de croître. Avec l’IA (en plein développement), on utilise des ordinateurs qui consomment 5 à 10 fois plus d’électricité.
L’IA est avant tout une course à la puissance de calcul, qui consomme beaucoup d'électricité...
Le secteur des centres de données (data centers) doit se caler sur le développement de l’IA d’où la construction de centres de données de "grande capacité" : elle devrait tripler d’ici six ans, a évalué le cabinet Synergy Research.
De fait, des centres de données fleurissent partout dans le monde, avec un taux de croissance de 12,6% par an. Bruno Le Maire, alors brillantissime ministre de l’économie, déclarait que la France voulait devenir le leader européen en la matière.
Bien évidemment, cela génère une demande en électricité toujours plus grande.
- En France, cette accélération de la demande en électricité est déjà très concrète, notamment en Île-de-France. Le seul secteur des centres de données pourrait mobiliser la puissance de cinq à sept réacteurs nucléaires d’ici 2030, dit Cécile Diguet, directrice du département transformations urbaines de l’agence d’urbanisme d’Île-de-France, dans les colonnes du Monde.
- L’ Irlande est un pays qui se veut à l’avant-garde de l’industrie numérique. Selon une projection de l’Agence internationale de l’énergie, relayée par le Guardian, la multiplication des centres de données est susceptible de mobiliser un tiers de la production électrique totale du pays en 2026.
- Aux USA, la construction de centres de données explose, générant un triplement anticipé de la consommation électrique du secteur pour 2030.
- D’après , Guillaume Pitron (chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques, IRIS), le monde "dématérialisé" du numérique absorberait aujourd’hui 10% de l’électricité mondiale et représenterait près de 4% des émissions de CO2 de la planète (lire "L’enfer numérique : voyage au bout d’un like")

D’ici 2030, les centres de données nécessaires à ChatGPT et à ses homologues pourraient engloutir jusqu’à 1500 térawattheures (TWh) par an, soit l’équivalent de la consommation électrique totale de l’Inde.
La consommation d’électricité des centres de données a bondi de 154 % entre 2014 et 2024, particulièrement sur la seconde moitié de cette période : alors que le croissance annuelle était de 7% sur 2014-2019, elle a presque doublé sur 2019-2024, avec 13% de croissance annuelle. Pire, l’Agence internationale de l’Énergie prévoit que la consommation d’électricité de l’IA décuple jusqu’en 2026. En 2025, l’IA représente déjà 15% de la consommation des centres de données, une part qui pourrait bondir à 35% d’ici à 2030.

Au sein de l’Union européenne, trois pays se distinguent : le Luxembourg, le Danemark et surtout l’Irlande voient une part considérable de leur consommation électrique absorbée par les centres de données. Devenue le hub technologique de l’UE, l’Île verte voit ce type d’infrastructure engloutir plus de 20% de l’électricité disponible, dépassant la consommation de toutes les zones résidentielles urbaines.

Le cabinet Deloitte note une explosion de la consommation énergétique de l’IA. Or, celle-ci n’est intégrée dans aucun scénario de planification énergétique au niveau de l'UE. Les émissions européennes liées au numérique augmentent de 9% par an, ce qui entre en contradiction avec l’objectif de réduction annuelle de 5% des gaz à effet de serre, nécessaire pour atteindre la neutralité carbone.

Pour la France, le parcours envisagé n'est pas très différent. Suite au "Sommet de l’IA" organisé par Macron en janvier 2025 à Paris (nous en avons relayé les différentes contestations, comme celle de la coalition HIATUS, dont nous sommes signataires), il n'y a eu aucune remise en cause des constructions de nouveaux "méga data centers" aux quatre coins du territoire. La consommation de ces ogres énergétiques grimperait de 275% d’ici à 2035. Elle représenterait alors un tiers de la consommation électrique de l’industrie française.
À la demande en électricité s’ajoute celle en eau...
Celle-ci est abondamment utilisée pour refroidir les équipements. Les data centers, toujours plus nombreux et plus grands, concentrent des machines (des serveurs) qui produisent de la chaleur et qu’il faut refroidir : l’eau est utilisée en masse pour le refroidissement.
- Pour 2023, Google constate une augmentation nette de sa consommation en eau de 17% par rapport à 2022.
- Microsoft indique une hausse de 34% en 2021.
- Taïwan est le principal producteur mondial de microélectronique de pointe. D’après Gauthier Roussilhe, chercheur, cette industrie accentue le stress hydrique d’un pays régulièrement frappé par la sécheresse.
- Google, dans un rapport environnemental, a révélé avoir prélevé 28 milliards de litres d’eau en une année (c’est de l’eau potable), dont les deux tiers pour refroidir ses data centers. Entre 2018 et 2022, ses prélèvements ont bondi de 82 %.
- Shaolei Ren, rédacteur d’un rapport, indique que "d’ici à 2027, l’IA consommera autant d’eau que la moitié du Royaume-Uni ou 4 à 6 Danemark".
- Aujourd'hui, 87% de la population est équipée d'un smartphone. Combien d'eau est nécessaire à sa fabrication ? En tout, après son assemblage, on avoisine les 13 000 litres pour un smartphone de 135 grammes (soit 96,30 litres pour un gramme).
... et celle des minerais et terres rares
Nous savons que l’eau est une ressource "en tension". Et ce n’est pas la seule. Les minerais et terres rares entrent dans la composition des puces et microprocesseurs (comme ceux fabriqués par le mastodonte étasunien Nvidia).
Selon le Wall Street Journal, c’est en particulier le cuivre qui voit sa production "siphonnée" par l’industrie de l’IA. Or ces métaux précieux sont extraits dans des conditions sociales et environnementales souvent désastreuses.
- En Birmanie, l’industrie numérique génère un "pillage généralisé des ressources naturelles", s’alarme l’ONG Global Witness.
- Des régions, comme celle des Grands Lacs en Afrique, subissent un extractivisme sans limites.
- À partir des années 1990, l’explosion de la production de biens électroniques, caractéristique du passage du capitalisme à son stade numérique, déclenche une guerre des métaux technologiques au Congo (RDC) qui n’a fait que gagner en intensité.
- On parle de "minerais de sang" comme le coltan, essentiel aux smartphones, ou le cobalt.
Vous l’avez compris, les centres de données, piliers du numérique, sont gourmands en électricité, en eau, en minerais et terres rares, et aussi en foncier.
Si l’empreinte matérielle de l’industrie numérique est longtemps restée un angle mort, on ne peut plus faire mine de l’ignorer car tout est parfaitement documenté.
Des ouvrages, comme "La numérisation du monde, un désastre écologique", de Fabrice Flipo (maître de conférences en philosophie à l'institut Mines Télécom de Paris) ne laissent pas de place au doute.

Une réponse sur « L’insatiable appétit énergétique, en eau et matières... de l’IA »
[…] se révèlent un gouffre énergétique, en consommation d'eau et de métaux rares ou moins rares (cuivre par exemple). Pour ces derniers, ils contribuent à une exploitation […]