Techno-luttes, débat le 30 novembre au Méliès

Halte au contrôle numérique invite Fabien Benoit, co-auteur de Techno-luttes au Méliès Saint-François, 8 Rue de la Valse à Saint-Étienne, le mercredi 30 novembre à 20h30

Cette intervention sera précédée de la projection d'une vidéo présentant les actions du collectif, et suivi d'un débat avec la salle.

Entretien avec Nicolas Celnik, l'autre co-auteur

Extraits d'un entretien des auteurs avec Irénée Régnauld, éditeur du blog maisouvaleweb et un des responsables de l'association du Mouton numérique


Vers un renouveau des Techno-luttes ?

Le progrès ne va pas de soi : il croise sur son chemin des travailleurs en colère et des citoyens inquiets : des technocritiques. Dans leur ouvrage Techno-luttes. Enquête sur ceux qui résistent à la technologie (Reporterre / Seuil, 2022), les journalistes Nicolas Celnik et Fabien Benoit sont allés à la rencontre de ceux qui veulent "arrêter la machine" : opposants au Linky, à la 5G, à l’agriculture connectée, à l’algorithmisation du travail, etc.

Vous avez mené une multitude d’entretiens avec des personnes en lutte contre différentes technologies : à quoi vous attendiez-vous et qu’en retirez-vous ?
Plusieurs hypothèses nous travaillaient et sont à l’origine de ce livre. La première était celle d’une réactivation de la critique de la technique à la faveur de la crise environnementale. Nous voulions voir dans quelle mesure la crise climatique conduisait des profils nouveaux à s’intéresser à la question technologique.

Cette interrogation en rejoint une seconde : celle de caractériser un moment où, nous semblait-il, la technocritique sortait des sphères expertes et intellectuelles pour se démocratiser. Ce faisant, nous avions aussi l’idée d’explorer les convergences entre des groupes, d’horizons divers, qui se retrouvent à militer ensemble sur les enjeux liés au numérique. Nous avons donc rencontré des membres de la Quadrature du Net – association de défense des droits et des libertés sur internet -, de l’Atelier Paysan, d’Ecran Total ou encore de Faut pas pucer, et surtout beaucoup de citoyens et d’activistes qui ne se présentent pas de prime abord comme « technocritiques », ainsi de celles et ceux qui se sont mobilisés contre le compteur connecté Linky puis la 5G, ou encore de ceux qui participent ou ont participé aux Marches pour le climat ou qui militent dans les mouvements qui y sont associés : Extinction rébellion, Alternatiba, ANV-COP 21, les Amis de la Terre

Notre enquête nous a aussi conduits dans les champs, aux côtés d’agriculteurs qui interrogent le machinisme et comment il a détruit leur métier, ou dans les administrations, à Pôle Emploi par exemple. Beaucoup de personnes s’intéressent aux questions technologiques parce que celles-ci les touchent au quotidien. Elles ne partent pas d’une réflexion théorique, ni de considérations philosophiques ou de principes moraux sur la technique, mais d’un constat : ma situation personnelle s’est dégradée, pourquoi ? Avant, j’avais le temps de faire des rendez-vous, puis on m’a imposé un algorithme qui détériore mes conditions de travail : comment ça marche ? Ce sont des entrées pratico-pratiques, pragmatiques dans le sujet : des savoir-faire qui sont détruits, une forme d’aliénation ressentie au travail, un compteur Linky imposé alors que l’ancien système marchait parfaitement bien… De fil en aiguille, au croisement d’autres mouvements, cela devient une critique contre Linky "et son monde" ou la 5G "et son monde", une critique de la numérisation dans son ensemble.

Ce constat est assez conforme aux premières critiques de la technique, celles des luddites notamment, qui eux aussi partaient de situations de travail très concrètes. Votre ouvrage aborde aussi les techno-luttes sous l’angle de courants d’idées qui reviennent, y compris dans les livres : qu’en est-il ?
Il y a en effet dans ces mouvements une réactualisation d’idées anciennes. Comme le dit l’historien François Jarrige, la technocritique connaît des mouvements de flux et de reflux, ce que nous voulions caractériser à notre hauteur. En allant notamment à la rencontre d’auteurs et d’éditeurs d’ouvrages critiques.

Comment se fait le lien entre les luttes et les livres ? Sans doute par les conseils et échanges de lectures qui ont lieu dans les groupes formés lorsque des problèmes émergent. Par les réseaux sociaux aussi. Nous avons croisé des gens de vingt ans qui avaient dans leurs sacs des livres d’auteurs assez surprenants, comme Bernard Charbonneau, des personnes qui nous disaient avoir lu Jacques Ellul ou André Gorz. Un jeune homme rencontré à Lyon lisait lui Hervé Krief, alors que pour obtenir son livre il fallait envoyer un courrier à un tout petit éditeur… En somme, que ce n’était pas simple d’y avoir accès. La pensée technocritique circule, autour de certains auteurs comme François Jarrige (auteur de Technocritiques : Du refus des machines à la contestation des technosciences) – on parle ici d’un livre d’histoire de quatre cent pages – de certaines maisons d’éditions comme l’Echappée, La lenteur ou Le passager clandestin. Les magazines Socialter, Reporterre ou la Revue Z sont souvent cités, tout comme des auteurs plus grand public comme Philippe Bihouix ou Guillaume Pitron qui sont bien diffusés. Ce phénomène est difficilement quantifiable mais il y a quelque chose d’empirique qu’on a constaté auprès des militants : on revient souvent sur les mêmes noms. La pensée circule.

Vous parlez beaucoup de convergence entre groupes critiques, comment cela se traduit-il ?
Précisons que nous ne parlons pas ici d’un mouvement d’ampleur, d’un raz-de-marée. Toutefois lors des manifestations contre la 5G par exemple, on a pu retrouver beaucoup de collectifs d’horizons divers, de la Quadrature du Net aux Amis de la Terre, en passant par la Ligue des droits de l’homme, Extinction Rébellion ou les anti-Linky. Ces liens sont aussi visibles lors des mouvements refusant l’installation d’entrepôts Amazon en France. Notons que ces groupes ne se revendiquent pas forcément comme « technocritiques », un mot qui renvoie plutôt à une activité intellectuelle…

On comprend que les critiques sont assez hétérogènes, quelles sont les revendications ?
S’il fallait trouver un dénominateur commun, il y aurait d’abord la sobriété, qui renvoie aux enjeux environnementaux. Le mot a bien infusé. Comme le dit Philippe Bihouix, "La sobriété, ça ne fait pas peur, c’est l’équivalent, sans le dire, de la décroissance. C’est une idée qui peut tout à fait descendre au niveau des citoyens. La sobriété, être sobre, c’est positif". Ensuite, on rencontre une forte aspiration au contact humain, une volonté de défendre un lien social mis à mal par la numérisation. Les agriculteurs ne veulent pas être face à leurs machines sans voir personne de la journée, les profs déplorent de passer trop de temps devant leurs écrans, à remplir les cases d’un tableur, les travailleurs de Pôle emploi ne veulent pas répondre à des mails à la chaîne mais rencontrer les demandeurs d’emploi. Partout où le numérique passe, le lien trépasse. La numérisation à tout crin est une entreprise de destruction du lien social.

Enfin, il y a la question du choix. Ce qui motive les luttes, ce n’est pas tant de s’opposer aux technologies en elles-mêmes, tout rejeter, mais d’opter pour des trajectoires techniques différentes, quand celles que nous suivons nous ont été imposées. Le sentiment de ne pas avoir été consultés est omniprésent, tout comme les interrogations sur l’utilité de certaines technologies. Il y a la volonté de s’arrêter pour discuter, une demande de démocratie.

Un autre point que vous abordez est la surveillance de ces mouvements technocritiques. On a l’image de petits groupes dispersés, mais parfois, ils parviennent à bloquer de grands projets : quels sont leurs modes d’action ? Comment le pouvoir réagit-il ?
Ils déploient le répertoire d’action que les militants politiques mobilisent traditionnellement avec tout de même, il faut le noter, une ouverture vers des stratégies de sabotage. On le voit quand des antennes 5G sont détruites, quand des compteurs Linky sont démontés ou des trottinettes électriques neutralisées. Ce qui ressort de tout ça, c’est le constat qu’il faut agir vite : il y a un sentiment d’urgence clairement partagé, la peur que le monde se referme et qu’il devienne impossible de mener une vie hors des réseaux. On s’en rend déjà compte quand on veut accéder à son compte bancaire ou faire certaines démarches administratives, on est obligé d’avoir un smartphone.

D’autres sabotent d’une manière plus "subtile", selon l’expression du chercheur canadien Samuel Lamoureux, en détournant les technologies ou simplement en désertant, en réduisant leur présence en ligne.

La Convention pour le climat s’est prononcée pour un moratoire sur la 5G mais cette mesure a été balayée d’un revers de la main par Emmanuel Macron… Il n’y a donc pas de volonté d’ouvrir un dialogue sur la numérisation, mais plutôt l’idée de juguler toute forme de contestation.

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Autres sources :

"Quels sont les nouveaux visages de la techno-lutte ?", émission de France Culture avec Isabelle Berrebi-Hoffmann, Fabrice Flipo et Fabien Benoit

Larges extraits du livre dans Terrestres

Résistance face à la numérisation de nos territoires, appel du collectif Ecran total,

"La critique de la technologie mérite un débat moins caricatural que le clash entre les anti-5G et Emmanuel Macron" (article du Monde)

Des techno-luttes à foison (dans L'âge de faire)

Techno-luttes, enquête sur ceux qui résistent à la technologie, par le site Reporterre, co-éditeur, et Techno-luttes : Rencontre de Reporterre avec Fabien Benoît et Nicolas Celnik, à Paris, Mille raisons de résister à la technologie numérique (Tribune des auteurs)

© Caroline Varon / Reporterre

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