Stop Linky, retour sur le procès du 13/05

L'audience de l'action collective contre le Linky s'est déroulée le 13 mai 2024 à 11h au Tribunal Judiciaire de Saint-Étienne. Retour dans cet article sur le combat du pot de terre contre le pot de fer qui opposent les résistants au linky de la Loire aux avocats d'ENEDIS, à travers un récit de l'audience.

Le procès contre le linky dans la Loire a enfin eu lieu le 13 mai 2024. L'aboutissement d'une action d’ampleur lancée il y a une dizaine d'année dans la Loire et partout en France - à laquelle plusieurs membres de notre collectif ont participé - et concernant à présent près de 2000 plaignant·es dans toute la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Sur toute la France, beaucoup de ménages ont refusé la pose du compteur électrique communicant Linky (d’après Enedis, il y aurait plus de 10% de foyers non équipés, soit au moins 3,5 millions).

Les collectifs Stop Linky, et le collectif Stop Linky 5G Loire contestent :

  • La violation du droit à la protection de nos données personnelles,
  • Le risque pour la santé et la méconnaissance du principe de précaution en matière d’exposition aux ondes,
  • Le risque d’incendie notamment lié à une pose des Linky non conforme aux normes en vigueur (un jugement du 24/03/2023, à Nanterre, l'a d’ailleurs confirmé),
  • Les pratiques abusives et trompeuses utilisées par ENEDIS pour le déploiement (dont les poses forcées).

Voir notre article : "Linky : jugement au TJ de Saint Etienne ce 13 mai"

Derrière le Linky, c'est aussi le projet des smart-cities qui se dessine, des villes connectées qui cachent en toile de fond un déploiement technosécuritaire de tout un tas d'outils de surveillance...

Voir notre émission : "Smart and safe cities" dans la machine à découdre sur RadioDio, en ligne sur notre site.

Si de nombreux procès ont été gagnés pour les personnes reconnues comme électrosensibles, le droit au refus n'est ni reconnu par la justice ni appliqué sur le terrain. Seule la Cour d'appel de Bordeaux a reconnu ce droit lors d'un jugement le 17/11/2020.

Cela n'a pas empêché ENEDIS de continuer d'imposer ses compteurs et de mettre la pression aux personnes ayant refusé le linky, que ce soit par le biais du harcèlement téléphonique, de la surtaxation via la CRE, du rationnement de la consommation électrique et même de coupures d'électricité.

En effet, Enedis a coupé l'électricité à Philippe (en Saône et Loire), parce qu'il refusait de remplacer son vieux compteur tombé en panne par un compteur linky.

Voir notre article : "Linky : toujours privé d'électricité depuis le 26 mai, malgré des problèmes de santé"

Le but de ce procès et des autres à venir partout en France, est donc de voir reconnaitre ce droit au refus pour que cesse le harcèlement illégal d'ENEDIS contre les opposants au linky.

Les requérants ont donc demandé au tribunal :

  • de DECLARER que les demandeurs n'ont aucune obligation légale ou règlementaire d'accepter l'installation d'un compteur intelligent et communicant de type " Linky ".
  • d’ENJOINDRE à la SA ENEDIS de ne pas remplacer par un compteur communicant de type " Linky ", les compteurs électriques auxquels sont raccordés l'installation des demandeurs.
  • d’ENJOINDRE à la SA ENEDIS de changer, dans un délai de 3 mois à compter de la décision à venir, les compteurs communicants de type " Linky " déjà installés chez les demandeurs victimes de pose forcée.
  • d’ENJOINDRE à la SA ENEDIS de délivrer une électricité exempte de tout courant porteur en ligne de type " Linky ", notamment dans les fréquences comprises entre 35 et 95 KHz, y compris en provenance du voisinage des points de livraison.
  • d’ENJOINDRE à la SA ENEDIS de rétablir le courant électrique sur les points de livraison litigieux par l'intermédiaire d'un électricien professionnel et qualifié, toutes les fois que cette livraison aurait été interrompue consécutivement au refus de l'installation du compteur Linky ou des nouveaux courants porteurs en ligne.
  • d’ENJOINDRE à la SA ENEDIS de communiquer la liste précise de tous les départs de feu, qu'ils aient ou non donné lieu à un incendie, survenus depuis le 1er mars 2010 sur un point de livraison disposant d'un compteur " Linky ", en amont ou en aval, avec l'indication pour chaque événement de son lieu, de sa date, de la date de pose du compteur, de la date, etc.
  • d’ENJOINDRE à la SA ENEDIS de communiquer la police d'assurance souscrite par ENEDIS pour garantir les risques liés au déploiement du compteur " Linky "

Le lundi 13 mai 2024, une partie des plaignants du recours collectif de la Loire contre le Linky se sont rendus au tribunal judiciaire de Saint-Étienne, accompagnés de leur avocat maître Raffin (1). Arrivés dans la salle on peut sentir un certain soulagement, cette fois le procès allait bien avoir lieu. Certains arborent discrètement le logo Stop Linky 5G Loire.

Pour cette audience, le tribunal a mis le paquet en faisant déplacer trois juges, habituellement il n'y en a qu'un seul en première instance.

Après une bonne introduction où Maître Roche, l'associée de Maître Raffin, a défendu le droit des usagers, ce dernier a fait sa plaidoirie en exposant plusieurs arguments (ceux mis en avant par les collectifs Stop Linky depuis plusieurs années).

  • Maître Raffin a rappelé une disposition de la CNIL pour les compteurs linky, expliquant que les plaignants n'étaient pas d'accord pour avoir une captation de leurs données par des compteurs connectés.
  • Il a exposé les risques liés aux ondes avec le CPL et l'effet cumulatif (électrosmog), ainsi que le danger pour les EHS.
  • [À ce sujet Maître Raffin a oublié de rappeler la victoire de Joseph qu'il avait défendu à Saint Etienne - confirmé en appel à Lyon - et qui a pu voir retirer son compteur Linky à cause de son électrosensibilité].
  • Il a parlé des risques d'incendie rappelant que 4 à 5 % des départs de feu constatés par les pompiers seraient liés à la pose d'un compteur linky, soulignant que ce point est reconnu par les contradicteurs eux même dans les audiences, même s'ils attribuent seulement le risque d'incendie à des poses sur des panneaux de bois sans parler des risques d'échauffement lié aux impulsions du CPL.
  • [Sur ce point le tribunal judiciaire de Nanterre a condamné Enedis pour non respect des règles de sécurité lors de l'installation d’un Linky en mars 2023 ; un jugement qui n'a pas été mentionné par maître Raffin, mais qui figurait dans le dossier transmis aux juges]
  • Il a parlé de l'infraction des conditions de vente, le changement de compteur étant imposé sans demander l'avis aux usagers. Il a rappelé qu'en refusant ceux-ci s'exposaient au risque de se voir priver de courant, ce qui est illégal (cf : cas de Philippe, dont Maître Raffin a également assuré la défense au tribunal de Macon).

L'avocate d'ENEDIS, a essayé de dédouaner ENEDIS de ses responsabilités, en se cachant derrière les décisions politiques de l'Europe et du gouvernement.

Elle a argué que la société ne faisait qu'appliquer "une directive européenne" transcrite dans le code de l'énergie.

Face à l'un des juges qui demandait s'il n'y avait pas tout de même une obligation de consentement de la part des usagers, elle a sorti une clause qui stipule que, certes, l'accord du consommateur est requis sauf lorsque "les modifications contractuelles sont imposées par la loi ou le règlement." Ce qui est le cas, pour le Linky du fait de cette directive européenne et du code de l'énergie.

Elle a cependant été reprise par ce même juge, qui lui a fait remarquer que la directive européenne fixe seulement les objectifs, pas les modalités. Et que le code de l'énergie n'impose pas le type de compteur communiquant. Le choix du compteur communiquant de type "Linky", reste donc tout de même de la responsabilité d'ENEDIS.

À cela on pourrait rajouter que si le Code de l'énergie stipule bien que « les gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité » s'engagent à mettre « en œuvre des dispositifs de comptage permettant aux utilisateurs d'accéder aux données relatives à leur production ou leur consommation et aux tiers autorisés par les utilisateurs à celles concernant leurs clients », rien n'indique que le compteur communiquant est obligatoire et encore moins que ces « dispositifs » doivent être des linky.

Par ailleurs, l’article L341-4 du Code de l’énergie précise bien que ces dispositifs doivent être mis en place « sous réserve de l'accord du consommateur ». Il n’y a donc légalement aucune obligation accepter un compteur Linky contrairement à ce qu'affirme ENEDIS.

Sur la question des ondes, l'avocate d'ENEDIS a ressorti le même discours qu'à chaque procès, à savoir qu'ENEDIS s'inscrivait dans les obligations que lui fixait la loi et respectait les niveaux d'émission. Évidemment, sans préciser que ces seuils d'émission sont très bas en France par rapport aux autres pays européens, ce qui les rend très faciles à respecter.

Voir notre article sur ce sujet : "La bataille européenne des valeurs limites d'exposition aux ondes".

Cet argument ne tient pas non plus compte des récentes et nombreuses victoires de personnes électrosensibles contre ENEDIS et le linky. Le respect des seuils n'implique pas l'absence de responsabilité et si ENEDIS est pour l'instant en règle sur le papier, rien ne dit que tout cela ne changera pas à l'avenir, sous la pression de ces victoires juridiques.

Mais comme l'ont fait remarquer les juges, la justice ne fait pas de la politique, elle se contente de faire appliquer les lois, sans se soucier de leur pertinence ni des enjeux qui se jouent dans leur élaboration.

Noéline Roche, l'associée de maître Raffin, a pris en charge la partie de la plaidoirie sur la question des données en citant le jugement de Bordeaux, où la cour a reconnu que :

« La collecte par défaut des données de consommation au pas de trente minutes des foyers équipés du compteur Linky apparaît particulièrement intrusive en ce qu’elles sont susceptibles de révéler des informations du la vie privée des personnes concernées telles que les heures du lever et du coucher ou le nombre de personnes présentes dans le logement.» 

« L’inobservation des dispositions de l’article 7 du RGPD constitue également un trouble manifestement illicite.» 

"LINKY - Le jugement de la Cour d'appel de Bordeaux (17/11/2020)", Robin des toits

Hélas il s'agit du seul jugement mentionnant cette question des données, comme l'a souligné le juge, vivement appuyé par l'avocate d'ENEDIS. Celle-ci a en plus le culot de déclarer que la société respectait le RGPD (ce qu'infirme le jugement de la cour de Bordeaux !), mais bon ENEDIS n'est plus à un mensonge près.

Face aux accusations de violences exercées par ENEDIS sur les usagers, l'avocate de la défense a simplement déclaré qu'ENEDIS n'avait jamais "violé la propriété privée pour poser un compteur", ce qui ne répond pas du tout aux accusations de harcèlement téléphoniques ou de poses forcées des plaignants.

Pourtant cette violence existe, comme en atteste plusieurs témoignages et coupures de presse au national.

L'audience s'est conclue après la plaidoirie de l'avocate d'ENEDIS. Contrairement aux procès au pénal, ce type de jugement est relativement court, laissant seulement le temps aux avocats des deux côtés d'exposer chacun une plaidoirie. Il n'y a donc aucun dialogue, ni droit de réponse, ce qui peut être frustrants lorsqu'on est du côté des plaignants. Surtout en tenant compte tenu du temps et de l'énergie qu'il a fallu pour enfin arriver au bout de cette bataille, lancée dans la Loire il y a près de dix ans.

Le tribunal rendra son jugement le 17 juillet 2024.

Après un ultime report, le tribunal a finalement rendu son jugement le 25 juillet 2024. Malheureusement les membres du collectif Stop Linky 5G Loire ont été déboutés. Un résulat au goût amer... Cela dit si cette bataille juridique a été perdue, la lutte, elle, continue !

Pour plus d'informations sur les conclusions du tribunal, voir notre article : Linky, le combat continue

(1) Jeune avocat qui avait défendu le collectif lyonnais, il a étendu cette action à d'autres zones (Saône et Loire, Gard, Nancy, Ain). Puis à l'ouest de la région Auvergne-Rhône-Alpes en s'associant aux avocats de la plateforme V pour Verdict (Isère, les deux Savoies).