La propagande est un "ensemble de techniques de persuasion mises en œuvre pour propager une opinion ou une idéologie sur une population afin de l'influencer, voire de l'endoctriner". Son âge d'or date du temps du nazisme (Joseph Goebbels était "ministre de la propagande du Reich") ou de l'union soviétique. Elle n'avait bien sûr pas disparue : ses versions soft (publicité, communication...) ont poursuivies, voire perfectionnées ses techniques de manipulation.
Leur utilisation coordonnée par Israël, dans une stratégie de long terme déployée bien avant le 7 octobre 2023, leur redonne un aspect d'arme au service d'une idéologie totalitaire. Les exemples cités ci-dessous, à partir d'articles issus de différents médias, ne représentent qu'une partie des outils déployés. La composante numérique est certes déterminante aujourd'hui, mais pas exclusive.
Une infiltrée chez Meta (Facebook, Instagram)
Le Monde diplomatique relate que, depuis 2016, Mme Cutler, la directrice des politiques pour Israël et la diaspora juive chez Meta, propriétaire de Facebook et d’Instagram, est une ancienne haute responsable du gouvernement israélien. Elle a conseillé Benyamin Netanyahou durant quatre ans.
Le site The Intercept a montré qu’elle a utilisé les procédures de dénonciation interne pour faire censurer des comptes Instagram appartenant à Students for Justice in Palestine ("Étudiants pour la justice en Palestine", SJP), organisation qui mobilisait dans les campus américains contre la guerre menée par Israël à Gaza. Elle a utilisé une directive interne de Meta relative aux "organisations et personnes dangereuses", qui précise dans une liste secrète de plusieurs milliers d’entités celles dont la plate-forme interdit la "glorification". Elle a aussi signalé pour censure des vidéos Instagram présentant le point de vue de Palestiniens, a incité à la censure du compte de la chaîne satellite libanaise Al-Mayadin...
Pour Marwa Fatafta, d’Access Now organisation internationale de défense des droits numériques), qu’une cadre de Meta puisse représenter les intérêts d’un État et réclamer à ce titre la suppression de contenus doit inquiéter. "Ça sent le parti pris à plein nez". Mme Cutler elle-même ne cache pas son jeu : "Mon rôle, c’est d’être la voix du peuple israélien et de son gouvernement, de porter leurs préoccupations au sein de l’entreprise.", comme elle le déclare au Jerusalem post (vidéo).
Meta entretient des liens avec quantité de gouvernements et envoie ses lobbyistes dans les Parlements du monde entier, mais rares sont les États qui disposent d’un émissaire attitré aux plus hauts échelons de la compagnie. Les dizaines de millions d’utilisateurs qui se connectent au Proche-Orient ou en Afrique du Nord se partagent un seul directeur des politiques, même chose pour l’Asie du Sud-Est et ses près de 700 millions d’habitants, dans les deux cas de fait indépendants par rapport aux Etats concernés. Bien sûr, il n’existe pas de poste équivalent à celui de Mme Cutler pour défendre le point de vue des Palestiniens.
Cela pose aussi la question de la censure déployée par Meta : alors que le département d’État américain a retiré le FDLP (Front démocratique pour la libération de la Palestine) de sa liste des organisations terroristes étrangères en 1999 — "en raison principalement de l’absence d’activité terroriste" —, Meta l’a maintenu dans la sienne. Ce qui l’autorise à censurer des citations empruntées au romancier palestinien Ghassan Kanafani, un auteur de renommée internationale dont les œuvres ont été traduites dans de nombreuses langues. Cela empêche des étudiant.es de partager des contenus en lien avec cet auteur, et peut aboutir à une désactivation de leur compte.
Pour M. Ashraf Zeitoun, ex directeur des politiques pour le Proche-Orient et l’Afrique du Nord pour Facebook en 2017, "si j’allais raconter à la télévision que je représente les intérêts de mon pays chez Meta, on me virerait aussi sec." Les salariés de Facebook s’alarmaient en 2017 de la position occupée par Mme Cutler et se demandaient "quels intérêts elle défend[ait] vraiment". Ainsi, M. Zeitoun se souvient que Mme Cutler militait pour que Facebook adopte, pour désigner la Cisjordanie, l’appellation de territoire "disputé" plutôt que celle de territoire "occupé", pourtant officiellement reconnue par les Nations unies.
L'ONG internationale Access Now, qui documente depuis le début la guerre contre Gaza, élargit le propos en appelant Meta à prendre des mesures pour mettre fin à la censure systématique des voix palestiniennes.
Cet appel s'incrit dans la campagne #StopSilencingPalestine qui réunit 19 ONG internationales, dont Access Now, 7amleh-TheArabCenterfortheAdvancementofSocialMedia, SMEX, Digital Action, Article19, Kandoo, Fight for the Future, RedLinefor Gulf (RL4G), Lebanese Center for HumanRights, Mnemonic...
Une lettre ouverte (en anglais) a ainsi été adressée aux responsables de Meta en mars 2024.
Des élu.es en excursion tous frais payés en Israël...
Médiapart montre l’action d’une officine lobbyiste, Elnet (ou ELN, European Leadership Network), qui mène sur la longue durée une stratégie d’influence au profit d’Israël au sein du Parlement français.
Créée en 2010, la branche française d’Elnet – qui dispose également d’antennes en Belgique, au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Italie – a pour ambition de "renforcer le dialogue diplomatique, politique et stratégique entre la France et Israël".
Mais Elnet cache difficilement son tropisme en faveur du gouvernement d’extrême droite emmené par Nétanyahou. "C’est un lobby qui a pignon sur rue", résume le sénateur socialiste Rachid Temal, auteur d’un rapport publié en juillet sur les influences étrangères.
Depuis 2017, ce lobby a envoyé, tous frais payés (4 000 euros pour quatre jours, hôtel et trajet en avion compris), une centaine de parlementaires (55 députés, 46 sénateurs) en Israël. Ces séjours proposent des rencontres "de haut niveau" avec des intellectuels, des ambassadeurs ou des officiers de Tsahal, mais aussi des visites de la Knesset, du mémorial de Yad Vashem ou de bases militaires à la frontière palestinienne…
© Infographie Mediapart
En mars 2023, quinze députés LR se rendaient encore à Jérusalem pour, entre autres, écouter un commandant de police leur présenter le dispositif de vidéosurveillance avec reconnaissance faciale de la vieille ville. Deux mois auparavant, c’était au tour de députés macronistes d’écouter un député du Likoud leur assurer que le gouvernement ne porterait en aucun cas atteinte aux libertés fondamentales…
Après le 7 octobre 2023, Elnet a renforcé son action. "Alors que l’attention médiatique se tourne vers les images de destructions à Gaza, il est encore plus critique pour les décideurs européens de voir la réalité sur le terrain du point de vue israélien pour contribuer à maintenir le soutien nécessaire de la part des alliés européens clés". En retour d’un voyage Elnet, en janvier 2024, une délégation de 22 sénateurs et sénatrices, publiaient une tribune dans laquelle ils déclaraient : "Ce voyage a renforcé notre attachement à la société israélienne et notre conviction profonde qu’Israël [...] est à l'avant-garde d'une guerre de la civilisation contre la barbarie".
Le 23 septembre, dans une interview au média en ligne Qualita, une chaîne destinée aux Français ayant immigré en Israël, le président d’Elnet-France, Arié Bensemhoun, se félicitait ouvertement de l’influence de son organisation sur le microcosme politique français. "D’un côté, il y a la diplomatie officielle, et de l’autre côté, il y a la diplomatie parlementaire. Je rappelle que l’immense majorité du parlement [français] soutient Israël […] dans son combat contre le Hamas et le Hezbollah, et c’est le résultat de décennies de travail qui a été fait par les uns, par les autres, nous y avons fait plus que notre part."
De fait, depuis 2017, les débats sur le conflit israélo-palestinien ont peu à peu changé de ton dans une Assemblée nationale qui affichait jusque-là une ligne plutôt bienveillante à l’égard de la cause palestinienne, à l’unisson avec le Quai d’Orsay. Entre le vote, en 2019, d’une résolution visant à condamner tout discours "antisioniste" au motif qu’il serait automatiquement antisémite, le réquisitoire, en plein hémicycle, contre l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri en 2022, la démission du président du groupe France-Palestine, privé de parole lors d’un débat sur "l’apartheid" en Israël, et le "soutien inconditionnel" à l’État hébreu décrété par la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet en 2023, c’est peu dire que l’ambiance a changé.
Arié Bensemhoun, le président d’Elnet-France s’attaque aussi aux "islamistes", "extrémistes de gauche" et autres "wokistes". "L’extrême gauche" reste en effet la cible privilégiée de cet ancien président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), à commencer par La France insoumise (LFI) et son "obsession anti-juive" qu’il étrille à longueur d’éditos. Récemment, c’est Dominique de Villepin qui en faisait les frais, comme en témoigne ce texte publié sur le site d’Elnet, après des déclarations de l’ancien premier ministre.
Le 16 octobre, le patron d’Elnet-France se permettait aussi d’envoyer une lettre ouverte à la présidente de l’Assemblée nationale pour réclamer "solennellement" à Yaël Braun-Pivet de "prononcer des sanctions disciplinaires" à l’encontre du vice-président du Groupe d’amitié France-Israël, Aymeric Caron. L’Insoumis jouerait selon lui "un rôle cynique et prépondérant dans la légitimation de la haine des Juifs dans notre pays" pour avoir relayé des vidéos "non sourcées" des massacres à Gaza ou comparé l’armée israélienne au "monstre nazi".
Pressions, meurtres pour éteindre toutes les voies discordantes
Il faut tout d'abord rappeler que, depuis le début de cette guerre, tous les journalistes étrangers sont empêchés d'entrer à Gaza (et très fortement contrôlés en Cisjordanie, au Liban, dans le Golan syrien...). Le média Al Jazeera, qui y est implanté depuis de longues années, a vu ses locaux systématiquement détruits (comme les hôpitaux, écoles, mosquées et cimetières...), plusieurs de ses journalistes abattus et son activité interdite dans tout le territoire israélien par une loi spécifique. La mention PRESS (sur une chasuble, un casque...), censée protéger, est pour l'armée israélienne l'indication d'une cible.
Le Monde diffuse une tribune de Thibaut Bruttin, directeur général de RSF (Reporters Sans Frontière) qui resitue toutes les mesures liberticides prises par le gouvernement israëlien visant à mettre en place un monopole progouvernemental de l’information, et donc à effacer tout ce qui pourrait présenter des opinions divergentes.
Dans son Bilan 2024, RSF répertorie le nombre de crimes commis par les forces militaires israéliennes à l’encontre des journalistes palestiniens au cours de l’année écoulée (plus de 150 - au 20 décembre - ont été tués). A elle seule, l’armée israélienne est responsable de la mort d’un tiers des journalistes tués dans l’exercice de leurs fonctions dans le monde. En 2024, Israël est également devenu la troisième plus grande prison de journalistes de la planète, avec 41 journalistes palestiniens de Gaza et de Cisjordanie qui croupissent actuellement dans les geôles israéliennes.
Mais le gouvernement de Benyamin Nétanyahou vise aussi les journalistes des médias libres et indépendants en Israël même : d'abord par des mises en cause, des dénonciations visant à exiter les extrémistes, maintenant par une série de mesures en cours d’adoption.
Dès novembre 2023, le ministre des communications, Shlomo Karhi, accusait le journal israélien Haaretz de "propagande anti-israélienne" sur son compte X, en représailles à la couverture indépendante du journal de la guerre en cours à Gaza. Cela a contribué à instaurer un climat où l’intimidation, la violence verbale et même physique à l’encontre des journalistes devenaient tolérées. Début juin 2024, après plusieurs mois d’attaques calomnieuses, les locaux d’Haaretz ont été vandalisés par des inconnus à Tel-Aviv.
Mais le ministre des communications, Shlomo Karhi, ne s’est pas arrêté aux mots. Pour tenter de mettre au pas les rédactions critiques du gouvernement auquel il appartient, il s’en est également pris à leurs finances.
Le site de RSF donne plus d'éléments sur les détentions et procédures arbitraires et les violences exercées contre les journalistes par Israël. Quelques chiffres :
- En 2024, la bande de Gaza concentre un tiers des journalistes tués dans l’exercice de leurs fonctions. Ils ont été tués par l’armée israélienne.
- La Palestine est le pays le plus dangereux pour les journalistes, enregistrant un bilan de morts plus élevé que tout autre pays depuis 5 ans. Plus de 145 journalistes ont été tués par Israël depuis octobre 2023, dont au moins 35 visés ou tués dans l’exercice de leurs fonctions.
- RSF continue d'enquêter sur la mort des journalistes pour dénoncer un ciblage et a déposé quatre plaintes auprès de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre commis contre les journalistes par Israël.
- Israël devient la troisième prison du monde pour les journalistes.