Ce qui se passe à Gaza porte un nom : "camp de concentration"

[Intro reprise du site Basta!] Pour le magazine israélo-palestinien +972 [dont nous avons, à plusieurs reprises, cité des extraits], les récentes déclarations de ministres du gouvernement d’extrême droite ou de hauts gradés mènent à "une conclusion assez claire : Israël se prépare à déplacer de force toute la population de Gaza – par une combinaison d’ordres d’évacuation et de bombardements intenses – vers une zone fermée, potentiellement clôturée. Toute personne surprise hors de ses limites serait tuée, et les bâtiments du reste de l’enclave seraient probablement rasés." Cette "zone humanitaire" (sic), selon le vocable officiel, où l'armée entend parquer les deux millions d'habitants de Gaza "se résume en deux mots : camp de concentration".

"Ce n'est pas une exagération ; c'est simplement la définition la plus précise pour mieux comprendre ce à quoi nous sommes confrontés", écrit le journaliste israélien Meron Rapoport, dont l’article détaille les faits qui étayent la terrifiante analyse. "Aujourd’hui, la pensée israélienne concernant Gaza semble avoir changé : du contrôle et du confinement externes au contrôle total, à l’expulsion et à l’annexion."

Par ailleurs, l'ONG européenne Access Now rappelle qu'après plus de 15 mois de la guerre la plus meurtrière et la plus destructrice contre Gaza,  les bombardements incessants d'Israël sur Gaza ont tué près de 50 700 personnes et en ont blessé au moins 110 000 autres, dont beaucoup restent ensevelies sous les décombres ou dans des fosses communes. Si un cessez-le-feu fragile a suscité l'espoir, les personnes déplacées par le récent carnage israélien retournent dans des maisons , des hôpitaux et des écoles décimés , où elles luttent pour reconstruire leur vie. Pour cette ONG, les atteintes aux droits numériques en temps de conflit et de crise, ainsi que le recours à la guerre numérique , favorisent les violations des droits humains et aggravent les souffrances des populations.

Un autre auteur se réfère à Hannah Arendt. Pour lui à Gaza, la "banalité du mal" s’affiche en haute résolution. Un clic sur un logiciel suffit à désigner la maison à détruire. Les hôpitaux deviennent des "infrastructures à double usage". L’enfant est désormais un "comportement suspect" dans une base de données. La déshumanisation est devenue numérique. Mais le scandale n’est pas la technologie : c’est l’assurance tranquille de ceux qui s’en servent. Les maîtres de cette intelligence artificielle, ces nouveaux barbares au langage policé, croient perfectionner le monde quand ils ne font que raffiner la cruauté.

Article du site +972 : "La dernière vision d'Israël pour Gaza porte un nom : un camp de concentration" (extraits)

Incapable d’expulser immédiatement et massivement les Gazaouis, Israël semble déterminé à les forcer à vivre dans une zone confinée – et à laisser la famine et le désespoir faire le reste.

Il y a deux semaines, le journaliste israélien d'extrême droite Yinon Magal a publié sur X : "Cette fois, Tsahal prévoit d'évacuer tous les habitants de la bande de Gaza vers une nouvelle zone humanitaire, aménagée pour un séjour de longue durée et clôturée, où toute personne y pénétrant sera préalablement contrôlée pour s'assurer qu'elle n'est pas terroriste. Tsahal ne permettra pas à une population rebelle de refuser l'évacuation cette fois-ci. Toute personne restant hors de la zone humanitaire sera impliquée. Ce plan bénéficie du soutien américain."

Le même jour, le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, a publié une déclaration vidéo laissant entendre une situation similaire. "Si tous les otages israéliens ne sont pas libérés et si le Hamas n'est pas expulsé de Gaza, Israël agira avec une force sans précédent", a poursuivi Katz. "Suivez le conseil du président américain : libérez les otages et chassez le Hamas, et d'autres options s'ouvriront à vous, y compris la réinstallation dans d'autres pays pour ceux qui le souhaitent. L'alternative est la destruction et la dévastation totales."

En reliant tous ces éléments, on aboutit à une conclusion assez claire : Israël se prépare à déplacer de force toute la population de Gaza – par une combinaison d’ordres d’évacuation et de bombardements intenses – vers une zone fermée, potentiellement clôturée. Toute personne surprise hors de ses limites serait tuée, et les bâtiments du reste de l’enclave seraient probablement rasés. 

Sans détour, cette "zone humanitaire", comme l'a si gentiment dit Magal, où l'armée entend parquer les deux millions d'habitants de Gaza, se résume en deux mots : camp de concentration. Ce n'est pas une exagération ; c'est simplement la définition la plus précise pour mieux comprendre ce à quoi nous sommes confrontés.

Paradoxalement, le projet d’établir un camp de concentration à l’intérieur de Gaza pourrait refléter la prise de conscience des dirigeants israéliens que le "départ volontaire" tant vanté de la population n’est pas réaliste dans les circonstances actuelles — à la fois parce que trop peu de Gazaouis seraient prêts à partir, même sous des bombardements continus, et parce qu’aucun pays n’accepterait un afflux aussi massif de réfugiés palestiniens.

Le livre du Dr Dotan Halevy ("Gaza : Place et Image dans l'espace israélien") présente un essai du Dr Omri Shafer Raviv exposant les projets israéliens visant à "encourager" l'émigration palestinienne de Gaza après la guerre de 1967. Le titre, "J'aimerais espérer qu'ils partent", reprend une citation du Premier ministre de l'époque, Levi Eshkol. Publié en janvier 2023 – deux ans avant que le président Donald Trump n'annonce son plan "Riviera de Gaza" –, il reflète à quel point l'idée de transférer la population de Gaza est profondément ancrée dans la réflexion stratégique israélienne.

L'article révèle la double approche adoptée par Israël pour réduire le nombre de Palestiniens à Gaza : d'abord, les encourager à migrer vers la Cisjordanie, puis vers la Jordanie ; et ensuite, rechercher des pays d'Amérique du Sud disposés à accueillir des réfugiés palestiniens. Si la première stratégie a connu un certain succès, la seconde a complètement échoué car le plan s'est retourné contre Israël. Bien que des dizaines de milliers de Palestiniens aient quitté Gaza pour la Jordanie après qu'Israël a délibérément abaissé le niveau de vie dans l'enclave, la plupart d'entre eux sont restés. Mais surtout, la détérioration des conditions a donné lieu à des troubles et, par conséquent, à une résistance armée.

En fin de compte, les services de sécurité israéliens sont arrivés à la conclusion qu'il était préférable de contenir les Palestiniens à Gaza, où ils pourraient être surveillés et contrôlés, plutôt que de les disperser dans la région. Aujourd’hui, la pensée israélienne concernant Gaza semble avoir changé : du contrôle et du confinement externes au contrôle total, à l’expulsion et à l’annexion. 

Et pourtant, malgré ce changement radical de stratégie, Israël reste fermement prisonnier de sa propre politique. Pour que le "départ volontaire" soit suffisamment efficace pour permettre l'annexion et le rétablissement des colonies juives dans la bande de Gaza, on pourrait penser qu'il faudrait expulser au moins 70 % des habitants de Gaza, soit plus de 1,5 million de personnes. Cet objectif est totalement irréaliste compte tenu de la situation politique actuelle, tant à Gaza que dans le monde arabe.

De plus, comme le souligne Halevy, le simple fait d'évoquer une telle proposition pourrait relancer la question de la liberté de circulation à l'intérieur et à l'extérieur de Gaza. Après tout, si le départ est "volontaire", "conformément au droit international, toute personne quittant Gaza pour travailler doit être autorisée à y retourner".

Il reste à voir si l'armée – ou même le gouvernement – ​​est prêt à aller jusqu'au bout d'un tel plan. Il entraînerait presque certainement la mort de tous les otages, ce qui pourrait avoir des conséquences politiques majeures. De plus, il rencontrerait une résistance farouche du Hamas, qui n'a pas perdu ses capacités militaires et pourrait infliger de lourdes pertes à l'armée, comme il l'a fait dans le nord de Gaza jusqu'aux derniers jours précédant le cessez-le-feu.

Parmi les autres obstacles à un tel plan, on peut citer l'épuisement des réservistes de l'armée israélienne, avec des inquiétudes croissantes quant au refus "silencieux" et public de servir ; les troubles civils générés par les efforts agressifs du gouvernement pour affaiblir le système judiciaire ne feront qu'intensifier ce phénomène. Ce plan est également fermement opposé (du moins pour l'instant) par l'Égypte et la Jordanie, dont les gouvernements pourraient aller jusqu'à suspendre ou annuler leurs accords de paix avec Israël. Enfin, il y a le caractère imprévisible de Donald Trump, qui menace un jour d'"ouvrir les portes de l'enfer" au Hamas et le lendemain envoie des émissaires négocier directement avec le groupe, les qualifiant de "gens plutôt sympas".

Pourtant, la pression combinée en faveur d'un accord – de la part de la population de Gaza, qui exige la fin de ce cauchemar et se retourne contre le Hamas , et de la part de la société israélienne, épuisée par la guerre et réclamant le retour des otages – pourrait ne pas conduire à un nouveau cessez-le-feu.

Le gouvernement et l'armée croient peut-être qu'un "départ volontaire" de la population de Gaza effacera les crimes d'Israël – qu'une fois que les Palestiniens auront trouvé un avenir meilleur ailleurs, les actes passés seront oubliés. La triste vérité est que, si un transfert forcé d'une telle ampleur est pratiquement impossible, les méthodes qu'Israël pourrait employer pour le mettre en œuvre pourraient conduire à des crimes encore plus graves – camps de concentration, destruction systématique de toute l'enclave, voire extermination pure et simple.

L'IA en temps de guerre : complicités technologiques et massacres (02/2025)

Israël : des outils pour sa propagande (01/2025)

Gaza, Ukraine... Quand la technologie exacerbe l’horreur de la guerre (11/2024)

Gaza, Cisjordanie, Liban... Où s'arrêteront les massacres ? (09/2024)

All eyes on Palestine (08/2024)

Il faut mettre fin à la catastrophe en Palestine : cessez-le-feu immédiat ! (05/2024)

Gaza : tuerie par IA (05/2024)

Gaza, laboratoire et vitrine de la destruction par l’IA (03/2024)

Israël utilise des drones snipers à Gaza, la guerre par l'IA (12/2023)

Rester en sécurité en ligne... (11/2023)

Israël, Nice... : la chimère des approches cyber-sécuritaires (10/2023)