Cette fois ça se précise, le gouvernement déclare "envisager de généraliser la vidéosurveillance algorithmique expérimentée pendant les JO" bien au-delà du 31 mars 2025 (date officielle de la fin de l'expérimentation qui marquait déjà une prolongation). À présent, l'idée "est de faire rentrer de manière permanente cet usage dans le droit." Si cela ne constitue pas vraiment une surprise, il s'agit en revanche bel et bien d'une menace pour nos libertés publiques. Retour dans cet article sur l'expérimentation pendant les JO et sur les dernières annonces gouvernementales.
Des algos dans le métro... et pas que
La Quadrature du Net a récemment publié un article dans lequel elle revient sur ce qu'il s'est passé avec l'expérimentation de la VSA à Paris et partout en France. Nous partageons ce retour ci-dessous.
« la loi du 19 mai 2023 relative aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 a permis aux préfectures d’autoriser un certain nombres d’acteurs à déployer des logiciels dopés à l’« intelligence artificielle » sur les images des caméras publiques afin de repérer un certain nombre de comportements soi-disant « suspects » et déclencher des alertes auprès des agents de sécurité ou des forces de l’ordre.
Contrairement à ce que le nom de la loi indique, cette capacité de mettre en place une surveillance algorithmique dépasse largement le moment des seuls Jeux Olympiques. Les policiers peuvent ainsi réquisitionner la VSA pour des « manifestations sportives, récréatives ou culturelles qui, par l’ampleur de leur fréquentation ou par leurs circonstances, sont particulièrement exposées à des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité des personnes ». Or, ce critère de « risque » a rapidement été apprécié de façon très large.
La VSA a été déployée à l’occasion de concerts, de matchs de foot, de festivals ou encore lors du défilé du 14 juillet. Également, la durée de l’expérimentation dépasse largement celle des seuls Jeux et s’étend jusqu’en mars 2025. La ville de Cannes a ainsi annoncé qu’elle déploiera la VSA à l’occasion de cinq événements à venir : les NRJ Music Awards, le Marathon des Alpes-Maritimes, le marché de Noël, le feu d’artifice du Nouvel An et… le Marché international des professionnels de l’immobilier 2025. On le comprend, il ne s’agit pas tant de prouver un lien avec un risque particulier pour la sécurité que de trouver un prétexte pour tester ces technologies.
Mais revenons aux Jeux et à ce moment de « vraie vie » selon les termes employés par Emmanuel Macron. Que s’y est-il passé ?
D’abord, les algorithmes de détection de l’entreprise Wintics ont été déployés dans 46 stations de métros et 11 gares SNCF ou RER. Comme cela avait déjà pu être le cas pour d’autres expérimentations, les stations concernées n’avaient parfois aucun rapport avec les lieux où se déroulaient les épreuves des Jeux. De nouveau, les acteurs de la surveillance tordent le cadre juridique pour le plier à leurs volontés. Aussi, alors que les pouvoirs publics sont tenus d’informer les personnes filmées qu’elles sont transformées en cobayes, ceux-ci se sont contentés du service minimum. Des petites affichettes ont été placardées dans le métro, peu visibles pour les passant⋅es dont le regard était davantage incité à lire une propagande sécuritaire « légèrement » plus grande.
Ensuite, la VSA s’est étendue aux images de l’espace public aux alentours de 11 sites des Jeux Olympiques (comme le Stade de France ou la Place de la Concorde). Pour cette surveillance des rues, la préfecture de police n’a publié que le 30 juillet au soir l’autorisation préfectorale nécessaire à cette expérimentation, qui avait pourtant débuté… le 26 juillet. Comme on suivait cela de près, nous avons déposé une plainte auprès la CNIL, et ce afin de la pousser à faire son travail en sanctionnant l’État pour ces quatre jours de surveillance illégale.
Les mêmes dispositifs de VSA ont ensuite été renouvelés lors des Jeux Paralympiques pour prendre fin le 9 septembre dernier. Depuis cette date, la course à la promotion de ces outils a repris de plus belle au sein des acteurs du système de surveillance qui n’hésitent pas à jouer des coudes pour imposer leur agenda.»
Une technologie qui n'a pas fait ses preuves
Contrairement à ce qu'affirme le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, la VSA est loin d'avoir réelleement « démontré son utilité », pendant les jeux. À part une baisse de la petite délinquance, qui provient plus vraisemblablement du «plan délinquance zéro» (comme le reconnait le préfet de police à demi-mot), aucun attentat n'a été déjoué par la VSA, car aucune des innombrables menaces redoutées sur la sécurité de l’événement ne s’est concrétisée.
Or les expériences passées sont peu concluantes sur ces points, ni celle menée par la ville de Nice en 2019 (qui avait mis en place une surveillance avec reconnaissance faciale), ni celle menée en 2020 par la RATP sur le port du masque.
Vers une prolongation définitive
Théoriquement, la loi sur les JO prévoit que cette « expérimentation » de VSA soit soumise à une évaluation par un comité créé pour l’occasion, regroupant expert·es de la société civile, parlementaires et policiers. Ce comité est chargé d’analyser l’efficacité et l’impact de cette technologie selon des critères prévus par décret. Un rapport doit ensuite être remis au Parlement, le 31 décembre 2024 au plus tard.
Mais, comme l'a souligné la Quadrature du Net, "Cela n’empêche pourtant pas les promoteurs de la VSA de placer leurs pions en communiquant de manière opportuniste afin de faire pression sur le comité d’évaluation et l’ensemble des parlementaires."
Le préfet de police et ancien ministre Laurent Nuñez, a en effet déclaré être très favorable à la généralisation de la VSA au cours d'une audition par les députés de la commission des lois.
Une déclaration qui n'a rien d'étonnant, lorsqu'on se rappelle, comme l'a souligné le média Contre Attaque, que dès septembre 2023 Amélie Oudéa-Castéra, alors Ministre des sports, sous-entendait déjà que la VSA pourrait être pérenisée « Si ça fait ses preuves et entouré des garanties ». Et de fait cette expérience temporaire encadrée par la loi contenait déjà une application possible jusqu’au 31 mars 2025.
« La généralisation des méthodes liberticides présentées comme «exceptionnelles» et justifiées par «l’urgence» ou le caractère «inédit» d’une situation est désormais un grand classique. Le fichage ADN ne devait concerner que les criminels sexuels, la vidéosurveillance ne devait filmer que les lieux particulièrement concernés par la délinquance, les comparutions immédiates devaient permettre de juger rapidement uniquement certains délits lorsque les tribunaux étaient engorgés, la détention préventive ne devait concerner que les individus susceptibles de fuir ou d’avoir des conduites dangereuses le temps du procès… Autant de mesures qui sont aujourd’hui devenues la normalité policière et judiciaire.
Et c’est sans parler de l’état d’urgence anti-terroriste, dont la plupart des mesures sont rentrées dans le droit commun après l’élection de Macron, des LBD qui devaient se substituer aux armes à feu, de l’usage des QR codes pour se déplacer, qui devait rester strictement sanitaire, et qui a été recyclé pour les Jeux Olympiques, entre autres.»
"Vidéo-surveillance algorithmique : l’expérience “temporaire” généralisée", Contre Attaque
Une menace de plus en plus pressante
Aujourd'hui, alors que l'extrême droite est entrée au gouvernement, la menace que fait planer ces technologies sur notre libertés d'aller et venir et sur notre droit de manifester est plus que jamais inquiétante.
Des manifestants contre les mégabassines avaient déjà été identifiés par reconnaissance faciale en 2013. Si ces technologies ne semblent pas efficace contre le vrai terrorisme, elles sont en revanche un formidable outil de répression contre les mouvements sociaux.
Le projet de loi de finances prévoit une augmentation de près de 600 millions d’euros du budget du Ministère de l’Intérieur, notamment pour la police et la gendarmerie. Le président a annoncé l'augmentation du budget du ministère de l’Intérieur de 20 à 25 milliards en cinq ans. Des moyens qui se rajoute à ceux déjà débloqués pour la loi LOPMI en 2022 qui s'élevaient déjà à 15 milliards d’euros.
La Quadrature du Net a lancé une campagne contre la VSA intitulée Pas de VSA dans ma ville. D'autres façon de lutter sont possibles, à nous de les inventer.
Résistons.
Pour aller plus loin
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