16 assos et syndicats contre le décret "sanctions" des demandeurs d'emploi, allocataires du RSA

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Un décret durcissant les "sanctions applicables aux demandeurs d'emploi" a été pris fin mai par le gouvernement Bayrou (quelques semaines avant sa chute), dans la ligne de la "chasse aux pauvres" engagée depuis plusieurs années par la droite et l'extrème droite.

Ces pauvres, "assistés", suspectés à priori de fraudes, sont d'abord ciblés par des algorithmes de "scoring" particulièrement discriminants (envers les femmes seules avec enfant(s), les immigré.es ou descendants de, les handicapé.es...), puis sanctionné.es sans moyen de se défendre. S'en suit des pertes d'allocations et/ou de couverture santé, qui peuvent amener la perte de logement et des ruptures de soins, et entraîner les familles dans la spirale de la pauvreté.

16 associations et syndicats (les principaux) attaquent devant le Conseil d’État ce décret "sanctions" et demandent son abrogation.

Par ailleurs un rapport de l'ONU montre l'effet du démantèlement des outils de solidarité sur la montée de l'extrème droite, comme celui de la mise en place des outils numériques de la surveillance sociale.

Depuis le 1er janvier 2025 et l’entrée en vigueur de la loi "pour le plein-emploi" du 18 décembre 2023, l’inscription à France Travail est devenue automatique pour l’ensemble des personnes sans emploi. Les 1,2 million d'allocataires du revenu de solidarité active (RSA) et leurs conjoints, les 1,1 million de 16-25 ans suivis par les missions locales et les 220 000 personnes en situation de handicap accompagnées par les Cap emploi sont ainsi inscrits d’office (soit plus de 2,5 millions) sur les listes de France Travail.

Cette inscription s’accompagne de la signature d’un "contrat d’engagement" qui définit les actions et obligations que la personne accompagnée doit entreprendre pour trouver un travail (principalement le fait de réaliser 15 heures d’activités non rémunérées par semaine), sous peine de sanctions.

Auparavant, tout manquement - absence non justifiée à un rendez-vous fixé par France Travail par exemple - se soldait par une radiation. Depuis la parution du décret, un nouveau régime de sanction appelé "sanction-remobilisation" est mis en place. Toute personne inscrite à France Travail peut désormais voir son allocation chômage ou son RSA être suspendu de 30 à 100 % pour une durée d’1 à 2 mois dès le premier manquement (non-respect du contrat d’engagement, oubli d’un rendez-vous, actualisation incorrecte…).

Au deuxième manquement, l’allocation peut être suspendue de 30 à 100 % pendant 1 à 4 mois. En cas de suppression totale 4 mois d’affilée, la personne sera "radiée de la liste des demandeurs d’emploi" pour la même durée.

Liberté, égalité, sanctionnés

Un collectif de 16 associations et syndicats attaque l’Etat pour sa politique de sanctions à l’encontre des chômeurs et allocataires du RSA.

Par le décret dit “sanctions” publié le 31 mai dernier, le Gouvernement s’en prend à nouveau aux droits des personnes privées d’emploi. Face à ces mesures tant injustes et inefficaces que contraires au droit à des moyens convenables d’existence, nos associations et syndicats ont pris, dans le cadre d’une alliance inédite, la décision d’attaquer ensemble ce décret devant le Conseil d’Etat.

Depuis la parution de ce décret, toute personne inscrite à France Travail est menacée de se voir suspendre de 30% à 100% de son indemnité chômage ou de son RSA dès le premier manquement (non-respect du contrat d’engagement, oubli d’un rendez-vous…). Une fois notifiées d’une suspension, les personnes ne disposent que de dix jours pour contester cette décision, soit un délai ne permettant pas de se défendre convenablement seules comme accompagnées.

Ce décret, adopté alors que le taux de pauvreté explose et en dépit des alertes associatives et d’institutions rattachées au Premier ministre comme la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) et le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté (CNLE), parachève le volet coercitif de la loi plein emploi qui impose désormais à toutes les personnes inscrites à France Travail de “mériter” leur RSA ou leurs indemnités par un minimum de 15 heures “d'activités” hebdomadaires obligatoires.

De l’autre côté du guichet, les agents de France Travail et les travailleurs sociaux dénoncent quant à eux les coupes budgétaires, des conditions de travail délétères et une perte de sens de leurs métiers, amoindrissant les missions d’accompagnement par la massification des contrôles.

Dans ce contexte, nos organisations témoignent de la détresse grandissante des personnes concernées face à l’insécurité permanente dans laquelle les met notre système de protection sociale. Mère isolée sans mode de garde ou agriculteur, toutes et tous subissent le parcours du combattant pour obtenir leurs droits : non-recours, suspicion de fraude, contrôles à répétition, risque de radiation…

Ces réformes marquent un durcissement sans précédent des politiques sociales dans notre pays ainsi qu’une dégradation importante du dialogue avec les pouvoirs publics qui ne semblent plus entendre aucune étude, aucun rapport, aucun témoignage, aucune proposition.

Nous ne nous résoudrons jamais à ce que les "devoirs", les "obligations" prennent le pas sur la solidarité et l’effectivité des droits. Il faut cesser de stigmatiser et de tenir les personnes pour responsables de leur situation et rappeler les pouvoirs publics à leurs obligations. Face à cela, nous prenons la décision, historique, d’attaquer collectivement l’Etat pour obtenir l’abrogation de ce décret.

Signataires

AequitazAPF France HandicapATD Quart MondeCFDT
CGTChanger de capCoorraceEmmaüs France
FSULigue des droits de l’hommeMouvement des mères isoléesMouvement National des Chômeurs et Précaires
Secours catholiqueSolidarité PaysansUnion syndicale SolidairesUNSA

L'objectif des contrôles par France Travail a été multiplié par trois pour arriver à 1 500 000 en 2027. Ce qui montre que le pouvoir considère l’ensemble des personnes en difficulté comme "soit des fraudeurs en puissance, soit des personnes qui ne veulent pas travailler". Or "le chômage n’est jamais un choix. C’est une situation subie".

Les contrôles vont très loin dans l'inquisition : une demandeuse d'un RSA s'est vue exiger tous ses relevés bancaires et factures d’une année, ce qui, pour elle, est "humiliant et d’une violence sans nom". Ils poussent les personnes dans des situations inextricables : "l’expression suicidaire chez les gens dont on s’occupe est en forte augmentation ces derniers temps”, d’après un syndicaliste. Ces contrôles s’accroissent sans les personnels adéquats pour les mener, les agent·es de France Travail sont aussi en souffrance.

La loi “plein emploi” (à laquelle est rattaché ce décret “sanctions”) marque un tournant répressif pour le système social, conçu au départ (en application après 1945 du programme du Conseil national de la résistance, CNR) pour favoriser un accès digne à l’emploi pour tous et toutes. Les allocations deviennent "une sorte de rétribution au mérite" qui relève d’une idéologie imposée sans concertation. Il s'agit désormais de "punir les plus vulnérables".

Est soulignée la "disproportion manifeste des sanctions". Et se défendre est quasi impossible : auparavant, une sanction RSA enclenchait la réunion d’une instance durant laquelle la personne était reçue et pouvait expliquer sa situation. Ce dispositif est supprimé, et la suspension des allocations n'est contestable que dans les dix jours qui suivent sa notification, ce qui est très insuffisant (retard de courrier, s’organiser et trouver des conseils…) !

Par ailleurs, il y a une confusion, une "erreur de qualification juridique" entre les allocataires du RSA et les demandeurs d’emploi indemnisés. Le RSA n’est pas une indemnisation du chômage, mais "un revenu de survie au nom du droit à des moyens convenables d’existence, pour des personnes souvent éloignées durablement de l’emploi".

Ces sanctions aggravent le non-recours aux allocations (déjà très élevé : 34% pour le RSA en 2022), la maltraitance institutionnelle, l’exclusion et compromettent le retour à une activité salariée stable de ces personnes. Certaines vont même accepter des emplois précaires pour éviter de perdre leur allocation.

Ce qui est visé, c'est "le découragement des allocataires, pour les dissuader de solliciter ce filet de survie". Et il est impossible pour beaucoup de s’acquitter de l’obligation des quinze heures d’activité hebdomadaire qui, pour le Mouvement des mères isolées, est "une mise à disposition de nos corps et de notre temps tout à fait inacceptable", incompréhensible pour les 8 millions de personnes en recherche d’emploi.

Les départements (il est vrai très lourdement ponctionnés par l’Etat), amplifient la saignée : leur association a déjà annoncé qu’elle ne respecterait pas la revalorisation légale du RSA (1,7 %) au 1er avril 2025.

Par ailleurs, les sanctions sont appliquées à la discrétion des conseils départementaux, en fonction de leur orientation politique. Aucun outil statistique n’a été mis en place. Changer de cap cite l’exemple des départements de la Creuse et de la Saône-et-Loire. Celui de la Creuse a voté une suspension du RSA de 80 % pendant deux mois pour une personne seule dès le premier manquement. En Saône-et-Loire, il a été décidé d’une suspension de 50 % pendant un mois, toujours pour une personne seule et toujours au premier manquement.

Cela entraîne une rupture dans l’égalité des droits. Dans le Finistère, l'objectif est clairement de baisser le nombre d’allocataires (entre 2021 et 2024, il est passé de 18 000 à 14 700, permettant 8 millions d’économies sur le budget du département).

On assiste à une véritable chasse aux précaires dans certains départements, comme l’ont notamment documenté Libération et  L’Humanité.

Le décret "sanctions" est, pour les associations et syndicats, une atteinte au droit car réduire les allocations à titre de sanction revient à supprimer les moyens de subsistance. Surtout au regard de la faiblesse du montant du RSA (646 euros en 2025 pour une personne seule), qui est deux fois inférieur à celui du seuil de pauvreté (60 % du revenu médian, soit 1 216 euros en 2025).

Or le droit à des moyens convenables d’existence est un droit fondamental, garanti par le préambule de la Constitution française de 1946 et par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme sur les traitements indignes.

Derrière cette réforme, c’est une logique budgétaire assumée qui se dessine : faire des plus précaires une variable d’ajustement des finances publiques. La complexification administrative des conditions d’accès, la multiplication des contrôles, des sanctions et des suspensions / radiations hors de tout droit au contradictoire visent en fait à une coupe du budget de la protection sociale que Changer de cap chiffre à environ à 10 milliards d’€, au prix d’une précarisation accrue.

Le gonflement du non-recours aux droits sociaux devient une politique publique, comme la défiance des politiques envers les services sociaux. Les décisions budgetaires ne tiennent plus compte de la situation réelle des personnes concernées ou des textes réglementaires mais de choix politiques, clairement en défaveur des pauvres.

Un rapport des Nations Unies, sur "Le populisme d’extrême droite et l’avenir de la protection sociale", montre comment la "guerre aux pauvres" est menée en France et ailleurs, en cherchant à imputer la responsabilité de la pauvreté aux personnes elles-mêmes.

L’auteur du rapport, Olivier de Schutter (rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté), démonte le mécanisme de la montée de l’extrème droite, résultante directe du démantèlement des outils de solidarité. Lors d’une enquête menée en France au lendemain des élections européennes de juin 2024, les personnes rencontrées exprimaient une colère et une perte de confiance à l’égard des pouvoirs publics, notamment leur capacité à comprendre leur situation et à les soutenir.

Or l’extrême droite progresse là où les gens se sentent abandonnés, notamment dans les zones rurales, avec moins de services publics, une faible connexion à Internet [alors que les procédures administratives numériques sont de plus en plus obligatoires] ou des administrations absentes. Ce phénomène n’est pas circonscrit à la France et se retrouve dans la géographie du vote pour Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne ou Reform UK au Royaume-Uni, par exemple.

Les réformes de l’État social sont caractérisées par une fragilisation des parcours individuels depuis vingt-cinq ans. Il faut prouver qu’on recherche du travail à tout instant. Cela instille une concurrence entre les personnes en quête de cette ressource rare qu’est l’emploi et dans leur obtention de la protection sociale.

Cette insécurité sociale et économique fait le lit de l’extrême droite qui se nourrit des clivages et de la peur du déclassement. L’auteur souligne qu’une fois arrivé·es au pouvoir, ces populistes d’extrême droite veillent, à rebours de leurs discours électoraux, à maintenir les privilèges des élites, tout en démantelant les dispositifs de soutien aux plus démuni·es, aggravant la pauvreté, comme c’est le cas en Argentine ou aux États-Unis.

Comme le montrent les études, les électeurs de l’extrême droite ne sont pas forcément ceux qui subissent la grande pauvreté, mais plutôt ceux de la classe moyenne fragilisée. Ils craignent de perdre leur statut dans une société de plus en plus perçue comme un lieu de concurrence, l’autre (l'étranger, ou le "cas soc’", comme présenté dans la littérature d’extrème droite) est considéré comme une menace plutôt que comme un allié potentiel. Ce sont donc les inégalités et l’insécurité sociale qui nourrissent l’extrème droite.

Les populistes de la droite radicale se présentent comme défenseurs de "l’homme de la rue". Ils expliquent qu’ils peuvent le protéger de cette élite qui évolue sous les ors des palais. Ils portent des discours très pernicieux disant que la société doit se protéger contre d’éventuels profiteurs qui ne méritent pas d’être aidés parce qu’ils ne seraient "pas d’ici". C’est aussi le cas dans la social-démocratie scandinave (Suède, Danemark) où les responsables politiques préconisent un chauvinisme social, avec un discours où la protection sociale est valorisée mais réservée au groupe interne et aux "pauvres méritants".

Se développe à l’opposé une "pauvrophobie", c’est-à-dire le sentiment que les personnes pauvres ne méritent pas le respect. Au contraire, elles reçoivent du mépris, parce qu’elles n’ont pas fait les bonnes études ou parce qu’elles sont incapables d’aller aux rendez-vous pour trouver du travail.

Les personnalités politiques portent une responsabilité importante lorsqu’elles tiennent un discours clivant et polarisant en assénant que les aides, comme le RSA en France ou les allocations chômage, se méritent et qu’il faut en être digne. Elles créent une peur qui va favoriser les politiques qui les rassurent sur ce point ou prétendent les protéger, souvent de l’extrème droite mais pas seulement [à ce sujet, une étude des discours de politique générale des Premiers ministres français depuis 1958 montrent que les élus centristes apparaissent comme les principaux vecteurs de diffusion des thèses d’extrême droite].

La dimension territoriale joue un rôle très important pour expliquer les votes de type Alternative für Deutschland, très présente en Allemagne de l’Est, Reform UK, très présent dans les communes rurales, ou le RN en France, beaucoup plus fort dans les petites communes rurales que dans les grandes villes. Ces territoires se sentent abandonnés car les services publics ne sont pas perçus comme bénéficiant à tous et toutes dans des zones plus reculées ou périphériques des grandes villes [voir livre de Clara Deville]. L’augmentation des prix du logement conduit à ce que toutes les personnes précarisées sont obligées de se domicilier à l’extérieur des centres-villes.

L’auteur constate aussi que des algorithmes de contrôle déployés partout en Europe sont mis en place pour traquer les personnes soupçonnées de fraude sociale. Or, ces dispositifs conduisent massivement au non-recours aux droits. Les personnes vont renoncer à leurs droits car elles craignent de faire l’objet d’une enquête des administrations ou des services sociaux. Quelqu’un qui travaille quelques heures par semaine de manière informelle n’osera pas demander le RSA par crainte d’être démasqué par un algorithme.

Cette surveillance crée une insécurité et nourrit cette défiance à l’égard des services sociaux. C’est aussi une forme de maltraitance institutionnelle : sentiment de n’être pas écouté et de n’être pas soutenu par les services sociaux ou les administrations publiques.

Le rapporteur a adressé un courrier au gouvernement français concernant la réforme du RSA. Il estime que la protection sociale est un droit humain et qu’elle devrait servir de rempart contre la montée des populismes. Pour lui, "il est temps de changer de cap. Les dirigeants soucieux de parer au recul de la démocratie devraient éviter toute rhétorique présentant la protection sociale comme une œuvre charitable réservée à ceux qui la méritent. Face à la menace de l’extrême droite, il faut donner à la protection sociale tout le crédit qui lui est dû en tant que droit humain de l’individu et en tant que bien public source d’importantes externalités positives bénéficiant à l’ensemble des membres de la société".

La logique comptable domine aujourd’hui les débats sur la protection sociale, dictés par les impératifs de court terme de réduire la dette et de ne pas voir sa note dégradée par les agences de notation. La protection sociale n’est pas simplement un coût pour les finances publiques ou quelque chose qui va grever les budgets et accroître la dette publique.

Au contraire, à moyen terme, l’investissement social est un investissement avec de très hauts taux de rendement. Parce qu’un enfant mieux nourri, mieux logé et mieux soigné va étudier, va travailler et va ensuite payer des cotisations sociales et des impôts...

Protection sociale : un collectif d'associations attaque l'Etat sur sa réforme du RSA (France Culture, 22/10/2025)

Olivier De Schutter : "L’extrême droite progresse là où les gens se sentent abandonnés" (Interview Médiapart, 22/10/2025)

Réforme du RSA : l’intensification des sanctions attaquée devant le Conseil d’État (site Basta!, 23/10/2025)

Des contrôles "humiliants" : associations et syndicats attaquent l’État sur la réforme du RSA (Médiapart, 22/10/2025)

Décret sanctions des demandeurs d'emploi et bénéficiaires du RSA : nous attaquons l'Etat en justice (Changer de cap, 24/10/2025)

France Travail : des robots pour contrôler les chômeurs·euses et les personnes au RSA (HACN, 25/05/2025)

À France Travail, le contrôle algorithmique baffoue les droits des usagers (HACN, 21/08/2024)

Précaires sous plateforme : la grande arnaque de France Travail (HACN, 03/08/2023)