Reconnaissance faciale dans les lycées d'Auvergne-Rhône-Alpes ?

Portique de vidéosurveillance au collège Jules Romain à Nice Photo Franck Fernandes / Nice Matin, repris dans Médiapart

Déjà initiateur du déploiement de la "vidéosurveillance augmentée" dans les gares et trains de la région (convention signée le 2 juin 2023, entre la région, le préfet et la SNCF), Laurent Waukiez veut profiter de l'actualité (assasinat d'un prof à Arras) pour imposer la reconnaissance faciale partout, argument électoral dans le cadre des surenchères sécuritaires à droite (pré campagne présidentielle lancée face à G. Darmanin et autres).

Dès 2015, il voulait équiper les établissements de portiques. Actuellement, 272 des 305 lycées de la région sont dotés d'un système de sécurisation anti-intrusion : portiques, des tourniquets comme dans les métros, ou sas. Certains lycées n'ont pas pu être équipés car ils se trouvent dans des bâtiments classés au patrimoine et qu'ils sont trop hauts, trop lourds... Coût total 102 millions d'€, 89 pour les lycées publics et 13 pour les privés, l'installation d'un portique coûtant environ 100.000 €.

Cependant, à Bron les deux portiques installés au début du premier mandat de L. Wauquiez (2016-2021) ne fonctionnent plus car "les lecteurs de carte ont été vandalisés à plusieurs reprises et ne sont plus remplacés car cela est trop coûteux", explique le proviseur du lycée et secrétaire départemental du Syndicat national des personnels de direction de l'Éducation nationale (SNPDEN). Par ailleurs, ces portiques ralentissent les rentrées et sorties, peuvent créer un attroupement et mettre en danger les élèves. Certains lycées ont décidé de les délaisser et d'ouvrir en grand le portail, d'après le secrétaire régional de l'Unsa éducation.

En 2022, L. Wauquiez a fait voter un "pack sécurité école" de 10 millions d'€, dont 50 000 euros par an et par commune de la région pour "l’installation de systèmes de vidéoprotection aux abords des écoles" (à ce jour tous en ont), mais aussi bornes, alarmes, subventions aux polices municipales...

Aujourd'hui il demande d'utiliser à titre expérimental des "logiciels de reconnaissance faciale" aux abords des lycées pour pouvoir identifier des personnes "suivies pour radicalisation terroriste". Cela rejoint une proposition de loi relative à la reconnaissance biométrique dans l’espace public, à l'initiative de LR et voté seulement au Sénat en juin (par 226 voix, contre la gauche à 117).

Il faut rappeler qu'en 2019 un projet de mise en place de portiques de reconnaissance faciale à l'entrée de lycées à Nice et Marseille a été contesté par notamment La Quadrature du net et la LDH. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL, qui avait déjà formulé des recommandations) a rendu à l'époque un avis qui jugeait le dispositif pas nécessaire et disproportionné.

France Inter a consulté Bastien Le Querrec, juriste de La Quadrature du Net. Son avis ci-dessous :

FRANCE INTER : A-t-on aujourd'hui la technologie nécessaire pour permettre à la reconnaissance faciale d'identifier de potentiels terroristes ?

BASTIEN LE QUERREC : "Techniquement, la reconnaissance faciale ne fonctionne pas. Il y a eu plusieurs expérimentations en France, en Grande-Bretagne, et elle ne fonctionne pas. Mais finalement, le problème n'est pas là, parce qu'à terme, cette technologie pourrait fonctionner. Le problème, c'est qu'éthiquement et juridiquement, ce que propose Laurent Wauquiez, et ce qu'ont proposé par le passé Éric Ciotti et d'autres personnes à droite, est illégal et inacceptable en démocratie."

En quoi cette méthode présente-t-elle selon vous des risques pour la démocratie, plus que d'autres techniques de surveillance ?

"La reconnaissance faciale, ça signifie l’identification de tout le monde à n'importe quel moment. Ça veut dire qu'il n'est plus possible de se promener dans la rue sans être identifié systématiquement. C'est une augmentation du contrôle de l'État sur les populations : c'est donc non seulement un problème de vie privée, mais aussi un problème de liberté d'expression, parce que l'État saura en un claquement de doigts avec qui vous discutez, quels lieux vous fréquentez.

C'est particulièrement dangereux, parce que quand on se sait surveillé, on modifie ses comportements pour rester dans la norme, on va essayer de ne pas faire de vague. C'est un danger mortel pour les démocraties, ce type de surveillance générale dans l'espace public."

Mais ne peut-on pas limiter, comme le propose Laurent Wauquiez, cette surveillance à des profils très particuliers et dangereux ?

"Laurent Wauquiez parle des lycées, parce qu'ils sont de la compétence de la région. Juridiquement, il faut rappeler que la région PACA a déjà tenté la reconnaissance faciale pour contrôler l'entrée de lycées : la justice lui a dit que c'était illégal, et que ce n'était pas acceptable de scanner les visages de tous les mineurs, tous les lycéens qui passent, alors même que l'utilité n'est absolument pas démontrée. On est vraiment sur un effet d'annonce.

Le problème, c'est qu'en matière de sécurité, d'augmentation de la surveillance, c'est que l'effet cliquet se met en marche : si aujourd'hui, on cantonnait aux lycées, demain évidemment, ce serait tout l'espace public. Ensuite, même si on limite aux fiches S, ou à des personnes fichées en général, il faut vérifier le visage de tout le monde. On ne peut pas faire de la reconnaissance faciale uniquement sur certaines personnes : si on recherche une aiguille, il faut regarder toute la botte de foin, c'est tout le problème de la reconnaissance faciale."

2 réponses sur « Reconnaissance faciale dans les lycées d'Auvergne-Rhône-Alpes ? »

[…] Nous avons déjà présenté ici deux projets de L. Wauquiez pour la région Auvergne-Rhône-Alpes : tous deux relèvent de la techno-sécurité, l'un pour les gares et TER de la région (Vidéosurveillance "augmentée" dans 129 gares d'Auvergne-Rhône-Alpes), l'autre pour les lycées (Reconnaissance faciale dans les lycées d'Auvergne-Rhône-Alpes ?). […]